Citations sur Le fils-récompense (19)
La lumière déclinait, le soleil achevait de replier ses doigts de feu pour se précipiter vers sa demeure – chaque soir c’était la même hâte car il tenait la lune en détestation, il se refusait à frayer avec elle et, plutôt que de la rencontrer, il préférait lui céder la place. C’était un soleil mal luné que nous avions là, un vieil ours solitaire qui n’aimait pas la compagnie, nous le savions. Quand il fut bien claquemuré dans ses quartiers, seule une coulée de clartés molles, comme exténuées, persistait encore du côté du couchant. Alors, et alors seulement, le voile vivant, le voile tendu au-dessus de nous se déchira, il se fendit d’un coup par le milieu sans un seul crissement. Alors nous comprîmes que les oiseaux étaient allés au bout de leur dévouement et que, ayant rempli leur office, ils nous quittaient.
Dans ces moments, ses mains-papillons ne savaient plus voleter entre les ampleurs du bassin, elles restaient affalées sur ses cuisses, inutiles et comme privées du battement de vie. Dans ces moments, quand dame désolation agitait autour d’elle ses sinistres hochets, la faillite de ses rêves d’enfantement accablait ma sopé, elle se laissait glisser sur le toboggan du désespoir. Et moi, son époux, son aimé, son amant, je ne pouvais la retenir. Moi, de la voir là, sans gestes, en proie à cette détresse sèche et sans cris, je sentais le vertige me prendre et ma joie se calciner.
Mais qui peut arrêter la femme et lui imposer silence quand elle a décidé de vider son outre de mots sur vos babouches ? Vouloir empêcher le soleil de quitter sa demeure le matin ou d'aller se coucher au bout de sa journée ne serait pas plus vain.
La scène de ménage venait d’arriver à sa conclusion logique : débâcle du «mâle dominant» avec, pour corollaire, triomphe de la femme offensée et mesquine rétorsion de la même.
Tu dois le savoir, ami, si tu es pourvu d’une épouse, fût-elle d’un naturel gracieux et de la meilleure composition : le plus sage, en pareille occurrence, est de battre en retraite.
Je songeais à ma sôpé, au moyen de l'amadouer, d'obtenir son pardon et de rentrer dans ses grâces. J'aurais aimé lui offrir un quartier de lune, une poignée de poussière d'étoiles, cent printemps, un été indien et une prairie irlandaise, mais ces denrées ne se monnayaient pas dans les échoppes du marché Sandaga.
L’homme qui se noie dans un verre d’eau et ignore comment bricoler le quotidien, cet homme-là venait d’assister à un tour de passe-passe et se sentait tout pataud devant ces magiciennes. Il les voyait capable de plier la difficulté en deux, en quatre, en huit, comme un mouchoir, pour la regarder ensuite jaillir de leur poche sous forme de tourterelle gracieuse qui s’envole et s’éloigne à tire-d’aile.
Le soir venait. À présent que le soleil s’était bien barricadé chez lui, la lune pouvait monter et prendre ses aises au large du firmament. Mais elle tardait, elle devait s’attifer dans quelque chambre secrète de la galaxie, sans doute avait-elle cette nuit l’ambition de se montrer à son avantage. Cependant, lorsqu’elle apparut enfin, elle avait une joue plate et l’autre toute gonflée, pareil que nous quand une dent nous fait misère. Cette pauvre joufflue venait de passer des heures à se pomponner sans réussir à corriger la difformité de son visage.
C'est que mon coeur grossissait de minute en minute, il battait fort, il tambourinait contre mes côtes, il tonnait: place ! Place ! Le tigou tant désiré est là, je l'abrite, il m'habite, allons, faites-moi place ! Et dans mes intérieurs, tous mes organes effrayés par ce tonnerre obéissaient à la formidable injonction, ils reculaient en débandade, ils se ratatinaient, se tassaient peureusement les uns contre les autres. Ma glotte se nouait, le soufflet de mes poumons ne pulsait plus qu'un filet d'air, tout ce joli monde se trouvait bousculé, compressé, réduit au minimum d'espace vital soumis à la suprématie de ce coeur qui prétendait s'agrandir à chaque battement.
À peine signalait-on une difficulté, cet homme-là s’employait à la pulvériser, à peine pointait-on un obstacle, cet homme-là vous invitait à l’enjamber ou vous montrait la meilleure manière de la contourner.
Cette invitation à admirer le petit tigou était pour moi superflue : je le dévorais des yeux, m’étonnant de la capacité de ce corps minuscule à exprimer temps de bien-être et de joie de vivre. Il continuait à agiter bras et jambes, ses mollets grassouillets pédalaient dans le vide et, sous son nombril, sa petite affaire ballottait comme une virgule qui hésite sur la position à choisir dans une phrase.