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Omar Sposito (Traducteur)
EAN : 9782370712875
120 pages
Le Temps des Cerises (31/12/2099)
3.75/5   2 notes
Résumé :
Uruguayen d’origine modeste, politiquement engagé, Mario Benedetti (1920 - 2009) est, selon ses propres mots, « un poète qui écrit aussi des nouvelles et des romans ». Considéré par la critique comme l'un des auteurs latino-américains
les plus importants de son temps, il est à l'origine de nombreux essais politiques, de romans et nouvelles, dont plusieurs traduits en français, ainsi que de 27 recueils de poèmes. Il est un des écrivains les plus prolifiques de... >Voir plus
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Mario Benedetti, écrivain uruguayen, est, à l'instar de Pablo Neruda et d'Octavio Paz, une des très grandes figures de la poésie sud-américaine. Personnage très populaire dans son pays et au-delà, il publie son premier recueil en 1945 - il a alors 25 ans – et enchaîne d'autres publications où il alterne des vers romantiques et d'autres plus réalistes, décrivant la vie quotidienne.

Romancier, dramaturge, essayiste et critique, Mario Benedetti était un homme sensible, amoureux de celle qui fut son épouse durant 60 ans - Luz López Alegre -. Il fut aussi un idéaliste, un homme très engagé politiquement. Dans les années 70, il fut un membre actif de la gauche latino-américaine, combattant de l'intervention américaine et des dictatures locales.

C'est au travers de la très belle anthologie en version bilingue qu'a publié cette année le Temps des Cerises que j'ai découvert sa poésie. Dès les premières pages de cette Antologia Poética (Anthologie poétique), j'ai été séduit par la beauté de son écriture.

L'utilisation de mots simples, l'évocation de situations banales, tirées du quotidien, deviennent sous sa plume comme une exaltation, une appartenance à quelque chose d'essentiel, de vital, une pensée profonde qui sait se conjuguer avec l'ironie et la lucidité.

Plus que mes mots, je veux laisser à ceux de Mario Benedetti prendre la place qu'ils méritent, la plus grande.
Voici un de ses poèmes, à savourer comme une promenade au bord de l'eau. le texte est long, mais la vue est imprenable, belle et sensible :


« À côté du chêne

Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé,
au Jardin botanique, ce parc endormi,
de vous sentir arbre ou quidam
à condition qu'on respecte une règle :
Que la ville reste tranquille, au loin.

L'astuce consiste à s'appuyer contre un tronc
et écouter le galop des tramways au carrefour des rues
Millán et Reyes à travers l'air perméable aux bruits morts.

Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé
mais le Jardin botanique a toujours eu
un agréable penchant pour les rêves
pour les insectes qui grimpent sur les jambes
et pour une mélancolie qui descend le long des bras
jusqu'à ce qu'on finisse par la rattraper en serrant les poings.

Après tout le secret est de regarder vers le haut
et de voir les nuages se disputer la cime des arbres
et de voir les nids se disputer les oiseaux.

Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé
ah mais les couples qui fuient vers le Jardin botanique
en taxi ou accrochés à un nuage
parlent en général de sujets très importants
en se regardant fanatiquement les yeux dans les yeux.
comme si l'amour était un bref tunnel
et comme s'ils se contemplaient à l'intérieur de cet amour.

Ces deux-là par exemple à gauche du chêne
(je pourrais aussi bien l'appeler amandier ou araucaria
du fait de mes lacunes en matière de Pan et de Linné)
ils parlent et apparemment les mots
sont tout émus en les regardant
puisque je n'arrive même pas à entendre leur écho.

Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé
mais c'est très beau d'imaginer ce qu'ils disent
et plus encore s'il mâchouille une brindille
tandis qu'elle laisse sa chaussure sur l'herbe
et plus encore s'il a la tristesse collée aux os
tandis qu'elle essaie en vain de sourire.

Je crois que le jeune homme est en train de lui dire
ce qu'on dit parfois dans le Jardin botanique

hier l'automne est arrivé
le soleil d'automne
et j'étais heureux
comme il y a longtemps
ah que tu es belle
je t'aime dans mes rêves
la nuit
on entend des klaxons
le vent sur la mer
et cependant tout cela
est silence aussi
regarde-moi comme ça
je t'aime
je travaille avec enthousiasme
je fais des comptes
je remplis des dossiers
je discute avec des crétins
je je me laisse aller et je blasphème
donne-moi ta main
tout de suite
tu le sais
je t'aime
je pense parfois à Dieu
bon très rarement
je n'aime pas abuser
de son temps
et en plus il est loin toi
tu es à mes côtés
je suis triste à présent
je suis triste et je t'aime
passent les heures
la rue comme un fleuve
les arbres qui aident
le ciel
les amis
et quelle chance
je t'aime
il y a longtemps j'étais un enfant
il y a longtemps et peu importe
le hasard était simple
tout comme entrer dans tes yeux
laisse-moi entrer
je t'aime
heureusement que je t'aime.

Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé
mais il se peut que soudain on remarque
qu'en vérité il s'agit de quelque chose de plus désolant
un de ces amours de Tantale et de hasard
que Dieu n'admet pas car il est jaloux.

Vous voyez qu'il l'accuse tendrement
et qu'elle s'appuie sur le tronc
vous voyez qu'il égrène ses souvenirs
et qu'elle est mystérieusement consternée.

Je crois que le jeune homme est en train de lui dire
ce qu'on dit parfois dans le Jardin botanique

tu l'as dit
notre amour
a toujours été comme un enfant mort-né
par moments on croyait
qu'il allait vivre
qu'il allait nous vaincre
mais nous avons été si forts
que nous l'avons privé de son sang
de son avenir
de son ciel
un enfant mort-né
juste cela
merveilleux et condamné
il avait peut-être
un sourire comme le tien
doux et profond
il avait peut-être une âme triste
comme la mienne
pas grand-chose
il aurait pu apprendre avec le temps
à se déplier
à se servir du monde
mais les enfants qui arrivent ainsi
morts d'amour ont un coeur si grand
qu'ils se détruisent sans le savoir
tu l'as dit
notre amour a toujours été comme un enfant mort-né
en voilà une vérité dure et sans ombre
en voilà une vérité facile et c'est dommage
j'imaginais que c'était un enfant
mais c'était juste un enfant mort-né
que reste-il maintenant
il ne reste plus qu'à mesurer notre foi et nous souvenir
de ce que nous aurions pu être
pour lui
qui n'a jamais pu être à nous
quoi d'autre
si un abîme et un vingt-trois avril
arrivent
où que tu sois
apporte-lui des fleurs
moi je serai là aussi à côté de toi.

Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé
mais le Jardin botanique est un parc endormi
qui ne se réveille qu'avec la pluie.

Maintenant le dernier nuage a décidé de rester
et il nous trempe comme de joyeux mendiants.»


(a la izquierda del roble – A côté du chêne).


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