80 mots de Tunisie d'
Emna Bel Haj Yahia fait partie d'une très intéressante collection, « 80 mots du monde », aux éditions de l'Asiathèque. Elle vise à "l'ouverture d'esprit et à la réflexion", selon l'éditeur. C'est surtout une approche d'un pays par l'entremise d'un lexique très personnel établi par l'auteur.
Deux pages sont consacrées à chacun des vocables, présentés dans leur écriture arabe au graphisme magnifique, puis écrits en français, et dans leur traduction. L'auteur ne cherche pas à donner une définition à proprement parler, mais plutôt à évoquer ce à quoi le terme est associé dans sa pensée, et ce qu'il dit des réalités et particularismes du pays et de sa population.
Emna Bel Haj Yahia fait souvent référence à l'année 2011, lorsqu'a eu lieu la révolution du jasmin, qui a déclenché les "printemps arabes". le peuple tunisien, aux espoirs déçus, apparaît comme désabusé, aujourd'hui, tenté pour une part par la migration qui prend une dimension périlleuse autant que désespérée, ou bien pour une catégorie diplômée, plus organisée.
Pour avoir effectué un séjour touristique en Tunisie dans les années 2000, certains mots réveillent des souvenirs. C'est par exemple la maison, dont j'ai gardé l'image de murs blancs et de belles portes ou moucharabieh bleus, avec, devant, le vert des cactus en pots. L'auteur fait l'impasse sur cet aspect sans doute trop cliché. Elle préfère évoquer la fraîcheur des cours intérieures et les jardins ombragés.
Les vêtements, en revanche, burnous et chechias pour les hommes, et les femmes voilées sont conformes à ma mémoire, les types de regards, aussi. le pain chaud au sésame m'a rappelé les étalages appétissants des commerçants.
Emna Bel Haj Yahia ne fait pas mention des oranges, pourtant très présentes. Une très belle entrée est consacrée à la fleur d'oranger, en revanche. Olive et oliviers sont cités, bien sûr, ainsi que le café, qahwa, consommé aux cafés par les hommes entre eux.
Le vocabulaire garde des traces de latin pour la cuisine, koujina, proche de l'italien, cucina, qui est une affaire de femmes. On apprend par ailleurs que le chocolat n'est pas interdit par la fatwa. le chat, quattûs, est partout dans les rues.
Le hammam, non mixte, est toujours fréquenté.
Emna Bel Haj Yahia va bien au-delà des modes de vie. Elle aborde les questions liées à la mentalité et à l'histoire du peuple tunisien, comme l'éducation, la religion, la démocratie, la liberté et le bonheur. Il est triste de la voir constater que la Tunisie n'est pas faite pour le bonheur, et que la peur, demeure la base de l'éducation et de l'ordre social.
Emna Bel Haj Yahia présente souvent pour chaque mot un aspect négatif contrebalancé par une image plus positive ou optimiste. Certains passages se rapprochent du journal intime, tant l'émotion de l'auteur est grande.
Le joli volume est agréable à parcourir et peut facilement se glisser dans la poche pour l'emporter où l'on voudra et le consulter quand l'envie vous en vient. Il donne accès à la culture et à la vie d'un pays resté proche de la France, fraternel, bien que probablement plus sur la réserve aujourd'hui que par le passé. A travers l'exercice des 80 mots,
Emna Bel Haj Yahia donne des clés pour comprendre. Elle donne envie de se rendre à la rencontre du pays.