Notre culture du sens croule sous l'excès de sens, la culture de la réalité croule sous l'excès de réalité, la culture de l'information croule sous l'excès de l'information. Ensevelissement du signe et de la réalité dans le même linceul.
Avec la Réalité Virtuelle et toutes ses conséquences, nous sommes passés dans l'extrême de la technique, dans la technique comme phénomène extrême. Au-delà de la fin, il n'y a plus de réversibilité, ni de traces, ni même de nostalgie du monde antérieur. Cette hypothèse est bien plus grave que celle de l'aliénation technique, ou de l'arraisonnement heideggerien. C'est celle d'un projet de disparition irréversible, dans la plus pure logique de l'espèce. Celle d'un monde absolument réel, où nous aurions succombé à la tentation de ne pas laisser de traces.
Warhol, lui, s’identifie purement et simplement au machinal, comme il s’est identifié au nulle part de l’utopie, afin de la propager, et de se propager lui-même comme réalité automatique du monde moderne. Ça, c’est le véritable snobisme, le machinal intégré. Et c’est ce qui donne à ses images leur puissance contagieuse, alors que chez d’autres, même lorsqu’elles retracent la mécanique de la banalité, elles restent des objets singuliers. C’est qu’ils ne sont pas devenus de véritables machines, donc de véritables snobs, ce ne sont que des artistes. Leur œuvres restent à mi-chemin de l’artifice, de l’artefact inconditionnel. Tout en ayant perdu eux aussi le secret de la représentation, ils n’en tirent pas les conséquences, qui peuvent impliquer en effet, dans le snobisme machinal, une sorte de suicide.
Jean Baudrillard, « Le snobisme machinal », in les Cahiers du Musée national d’Art moderne, n° 34, 1990.
Jean Baudrillard, Le crime parfait, Paris, Galilée, 1995, p. 114.