Voici un témoignage enthousiaste et plein de bons sentiments que je partage pour la plupart.
En forme de bilan, la narratrice montre d'une part que nos conditionnements et comportements sont sujets à caution (soif et course à la réussite, à la célébrité ou à l'argent entraînant stress, égoïsme et matérialisme), et d'autre part que le modèle vertueux présenté par les peuples autochtones peut nous faire prendre conscience de ces excès en prônant la solidarité, l'esprit de famille, l'équilibre entre travail et temps de vivre…
Toutefois, la façon de vivre de ces communautés révèle des limites dont Émilie Barrucand ne tient pas compte.
Par exemple: les traditions restent immuables quand bien même le monde évolue (et quand bien même les peuples autochtones accueillent la technologie pour d'assurer la perpétuation de leur culture et la revendication de leurs valeurs) ; l'organisation du groupe n'est pas démocratique, seuls les hommes sont décisionnels et seule une voix déportée, facultative, de l'ordre de la « suggestion maritale » est accordée aux femmes ; la spiritualité se concentre dans la foi, quand bien même elle est panthéiste ; le partage du territoire est forcément déséquilibré (puisque leur mode de vie implique des déplacements nombreux afin de renouveler leurs ressources) ; la « gestion » des capacités individuelles semble valable en théorie (respect et confiance), mais qu'en est-il vraiment en pratique (paresse, abus) ? ; etc.
L'autrice oppose, sans cesse et sans indulgence, la sagesse des autochtones à la déraison des Occidentaux. Au risque de me faire mal comprendre (et mal jugée) donc, je dirai que sans être franchement moralisateur (Émilie Barrucand décrit, interviewe, rapporte son expérience), le ton est dithyrambique, didactique et prosélyte.
L'option que ces civilisations offrent au manque de repères de notre société contemporaine rappelle
Tristes tropiques (1955) de
Claude Lévi-Strauss qui relativisait déjà la supériorité de nos modes de vie tout en démontrant que le progrès technologique se payait par une perte, spirituelle essentiellement (cela, quelle que soit la foi).Étant entendu que je suis bien d'accord sur ce point, je dois dire que je ne rejoindrai pas pour autant l'autrice dans ce retour à la vie indigène. En faisant preuve d'esprit critique, Il me semble qu'elle aurait pu dégager une vision plus fructueuse. Mais quoi qu'il en soit, je soutiendrai leurs droits.
anne.vacquant.free.fr/av/