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EAN : 978B0018JBTQG
(30/11/-1)
4/5   2 notes
Résumé :
Paris, édition La connaissance, 1921. In/8 broché, couverture rempliée illustrée d'une vignette signée Rochegrosse ainsi que le frontispice, 225 p.
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III. — MADAME LA LUNE

Pâle et grasse, et montrant des traits charmants, assez pareils à ceux du divin Théophile Gautier, madame la Lune, à demi couchée en arc dans une barque en ébène, ornée de plaques d’étain, de plomb et de cuivre jaune et d’incrustations de nacre et d’argent, avec une proue et une poupe très relevées, se promène sur le lac du Bourget, entourée des derniers poètes lunaires, chimériques petits-fils des bousingots et des Jeunes-France. Aussi extraordinaires que s’ils se promenaient sur le boulevard en habit d’Arlequins, ces lyriques blêmes sont rigoureusement vêtus à la mode de dix-huit cent trente, et il y en a même deux ou trois qui portent des bottes à glands et des manteaux où le vent s’engouffre !

Ils se recueillent en des poses fatales, et vaguement parmi eux apparaissent, avec des manches à gigots et des bandeaux moyen âge, quelques dames de la même époque, minces comme des saules, s’efforçant un peu d’avoir lieu, mais évidemment reléguées, par la nature même des choses, dans la flottante pénombre des rêves.

Au contraire, leur céleste Maîtresse, qui n’est restée étrangère ni à la modernité, ni au mouvement impressionniste, s’est habillée en Japonaise, pour flatter les idées récentes ; car son esprit est un peu attardé, mais sa coquetterie, non. Les cheveux très relevés par devant, elle est coiffée d’une tiare où le cuivre jaune, l’étain, le plomb, les perles, l’argent, et l’opale aux feux langoureux ont été mêlés dans les combinaisons les plus variées et les plus ingénieuses, et d’où s’échappent ses longs cheveux très noirs, poudrés de mica et de poudre bleue. Derrière la tiare, d’où tombent deux grandes pendeloques en jayet blanc et en or pâle, descend un long voile de gaze noir bleu, avec des dessins formant des méandres compliqués et longs en perles d’acier bleu.

Couchée sur une grande peau de chien noir, madame la Lune porte les unes par-dessus les autres plusieurs robes de satin, dont la plus intime est gris-perle, et dont les autres deviennent de plus en plus claires, jusqu’à celle de dessus, qui est d’un blanc bleuâtre, et que serre une large ceinture gorge-de-pigeon, ornée de plaques de métaux pâles. À son cou brille un collier fait avec des yeux de hiboux, et elle est chaussée de petits souliers recourbés en cuir blanc, aux semelles d’argent, ornés de croissants en cuivre jaune.

— « Ah ! messieurs et chers poètes, dit-elle d’une voix endormie, l’aimable lac, avec son château féodal sur une roche, et son couvent de moines : il n’y manque rien ! C’est là que Lamartine a chanté Elvire. Qu’elle devait être mince et aérienne pour avoir inspiré de tels vers mélancoliques, pareils au gémissement du vent dans les plaintives cordes de fer d’une harpe éolienne !

— Madame, dit un Oswald un peu entaché de réalisme, il ne faut rien exagérer. On assure qu’Elvire était une blanchisseuse…

— Ah ! soupire avec une petite moue la dame au front d’argent, ne m’enlevez pas vos illusions ! »

Et tout de suite, pour montrer que cela lui est parfaitement indifférent, elle rit en découvrant ses petites dents d’opale brillantes ; elle s’évente avec son éventail en plumes de jeune cygne, et le reflet de son céleste visage de Pierrot jette sur les flots doucement agités mille et mille paillettes d’argent, qui les ourlent de délicates et capricieuses broderies.
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L’EAU

Nue comme une comédie de l’École du Bon Sens, mais sans nulle comparaison possible infiniment plus belle, Hyacinthe Marguerit, ses fauves cheveux dénoués, est couchée dans sa vaste baignoire de porphyre rouge aux bords évasés, qui appartenait, dit-on, à la malheureuse Poppée, et que son ami le comte René de Leufroi lui a rapporté de Capri, où il l’a trouvée chez des vignerons. La jeune femme se joue dans une Eau transparente et limpide, — car à Paris, avec beaucoup d’argent, on trouve tout, même à la rigueur, de l’eau pure ! — elle en savoure délicieusement la fraîcheur tiède, qui pénètre par tous les pores de sa peau, et elle admire cette onde émue qui la berce, et qui l’enveloppe comme d’un léger voile.

Mais ce n’est qu’un prêté pour un rendu ; car l’Eau admire plus encore le jeune corps sans tache qui s’est livré à elle, et c’est avec amour qu’elle caresse le cou flexible, la blanche poitrine, les bras héroïques, les jeunes seins aux boutons roses, le ventre poli droit comme celui d’une vierge, le torse hardi, les cuisses, les jambes de chasseresse, les pieds aux ongles transparents. Et quand la blonde Hyacinthe se lève à demi et veut appeler Mariette pour la sortir du bain, l’Eau frémit comme si on y avait plongé un fer rouge, et dans un bouillonnement d’ennui et de regret, murmure indistinctement, d’une faible voix :

— « Pas encore ! »
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I. — LE BON DIEU

Sous le portique dont les pierres sont de la lumière extasiée, brûlée d’amour, et dont le moindre atome, s’il pouvait s’enfuir, aveuglerait le troupeau fou des Soleils, le bon Dieu, en habit d’empereur, voit et contemple les Infinis, assis sur son trône. Sous ses pieds se déroule l’éther frémissant, avivé d’imperceptibles points étincelants, qui sont les Univers. Près de lui sont les Anges terribles, qui s’émeuvent parce qu’ils entendent venir jusqu’à eux des plaintes, des sanglots et des râles.

— « Oh ! Seigneur, écoutez, dit Ananiel. Ce sont des monde innombrables qui, refroidis et glacés, meurent de vieillesse. Voyez leurs cadavres se roidir, et pendre désespérément leurs chevelures inertes ! »

Mais à peine a-t-il parlé que des milliers de mondes nouveaux naissent, s’éveillent, grandissent et, semblables à des enfants joyeux, s’enfuient emportés dans l’ardente musique du Rhythme universel.

— « Mon serviteur, dit le bon Dieu à l’ange, pourquoi t’affligeais-tu sur ce que peut renouveler et réparer l’inépuisable Vie ? Mais dites, quel est ce cri plaintif et doux, que j’entends comme un faible murmure ?

— Seigneur, dit Zadakiel, prenant la parole à son tour, il vient de l’humble planète à jamais bénie où a été versé le sang divin. C’est un petit enfant de Moulins (Allier) qui voudrait avoir un polichinelle.

— Mais, dit Raziel, voyez, Seigneur ! Voici que sur cette même terre un féroce conquérant a dévasté les royaumes, détruit les villes, teint les fleuves de sang rouge. Il a lui-même égorgé des tas d’hommes qu’il a fait manger à son lion, et il a écrasé les cohortes sous les pieds de ses éléphants. Derrière lui il laisse des femmes éventrées aux lèvres blanches, des pyramides faites de têtes coupées, des champs où l’herbe ne repoussera plus, des squelettes de hameaux calcinés, et des chemins nus où il n’y a plus que de la cendre noire.

À ces paroles, les Anges baissent tristement leurs têtes. Mais comme la pensée de Dieu a pitié de leur tristesse, et comme le Temps n’existe pas pour eux, en levant les yeux de nouveau ils voient les temples rebâtis, les villes relevées, les jardins en fleurs, les champs pleins d’épis mûrs, et près des fleuves tranquilles, des mères au beau sein allaitant leurs enfants nouveau-nés, tandis que le soleil de midi baise les fronts des moissonneurs.

— « Messager, dit le bon Dieu à Raziel, tu vois que les maux et les désastres seront guéris, et que nulle douleur n’aura crié en vain. Mais va-t’en vite inspirer de bonnes pensées à la mère du pauvre être ingénu qui se plaignait tout à l’heure. Je tiens beaucoup à ce que ce petit enfant de Moulins ait son polichinelle ? »
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L’AIR

« Lâchez tout ! » s’est écrié le capitaine du Léviathan, le bon Delgy, roux comme Adam et Ève, et on a tout lâché, et comme un oiseau qui d’abord hésite, puis s’élance en plein ciel, l’aérostat géant s’est envolé au-dessus des maisons, des campagnes et des arbres, avec une formidable joie. Les passagers sont Ogier de Lémicourt, Guy de Vauqueleur, — car là, comme partout, la noblesse donne et se donne ! — et le peintre Gariel, qui aura du plein Air puisqu’il en veut, et le spirituel Vens, et quelques autres encore, et parmi eux est la belle petite princesse de Cytre, cette Laure adorable, qu’on aurait dû payer pour avoir une pareille compagne de voyage, mais qui au contraire a acheté à beaux deniers comptants le droit d’aller se mesurer de près avec les étoiles.

Oh ! quelle impression de bien-être, de rafraîchissement, de délivrance, lorsqu’on échappe si complètement et décidément à la terre, à la vie absurde, aux conventions tyranniques, et lorsqu’on se dit avec une ineffable volupté : « Je respire ! » De vertige, de mal de mer, il n’en est pas question ; au contraire, une évidence, une certitude tranquille d’être en sûreté fait que le sang circule librement dans les veines. Et de quoi avoir peur ? on ne fait qu’un avec la nappe, avec le courant qui vous emporte. Assise sur le léger tabouret d’osier, coiffée d’un chapeau à plumes floches, bien prise dans sa robe de satin bleu pâle, aux dentelles rousses, qui s’accorde si bien à l’azur et à la nuée, la petite princesse regarde dans sa lorgnette de nacre, et cherche, par delà des infinis, d’autres infinis. Et lorsqu’elle laisse ce petit outil et qu’elle baisse ses yeux libres, elle voit en bas les rivières couler au haut des collines comme un mince ruban d’argent, les petites maisons, les monuments, les petits arbres, qu’on a tirés d’une boîte de joujoux d’Allemagne, et les verdures sombres, vives, vertes, bleues, claires, fleuries, pareilles à une couverture faite de petits morceaux cousus ensemble.

Où sont-ils, le chœur de ses jalouses amies ennemies, et ses mille amants, et celui-là même qu’elle a failli aimer, et dont elle ne saurait maintenant se rappeler le vague profil ? Tous dispersés ! comme dit monsieur Scribe. Mais surtout, la belle petite princesse se réjouit de l’Air immense, qu’elle boit, qu’elle savoure, qui la baise, la chatouille, la caresse, la flatte, l’enveloppe d’une calme admiration silencieuse, et dans le frémissement de la longue et lointaine vibration rhythmique, la salue mystérieusement de murmures, d’adorations et de louanges !
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II. — MONSIEUR LE SOLEIL

Au milieu d’un éblouissement de rayonnante fournaise, monsieur le Soleil s’apprête à monter dans son carrosse de topaze dont la portière est déjà ouverte, et dont les chevaux orangés, toujours cabrés, jettent par les naseaux des fusées de lumière et de perles. Il est vêtu en général romain, avec la fauve cuirasse aux ornements gaufrés, la ceinture au large nœud, les flamboyants lambrequins à franges au haut desquels brille une figurine d’Hercule, l’épée, le coutelas, et les chaussures de peau de lion à semelles épaisses, qui laissent passer le bout de ses pieds nus.

Sur sa flottante perruque de flamme est posé très haut un laurier de rubis d’où tombent de longs rubans de braise rose, et son visage d’or que coupe au-dessus de la lèvre la toute petite moustache droite, comme dessinée à la plume, s’encadre dans une cravate en dentelle de feu.

À quelques pas, dans un autre carrosse, on voit vaguement le profil de la vieille dame. Autour de monsieur le Soleil s’empressent les Astres princes et ducs, et à l’écart, un vieux courtisan, rougi à blanc et écrivant sur ses genoux, prend des notes. Cependant le Victorieux, le Porte-foudre a vu quelques-uns des rutilants seigneurs de sa suite réprimer un rapide sourire ; il veut en savoir la cause, et les interroge.

— « Eh bien ! dit-il à l’un d’eux, parlez franchement, je vous l’ordonne. Que dit-on de moi dans les gazettes ?

— Sire, murmure le seigneur incandescent, je n’oserais. Le respect…

— J’ai dit : je veux.

— Eh bien ! Sire, des esprits chagrins pensent qu’à force de tout éclairer trop nettement, votre aveuglante lumière rend les objets vulgaires et mesquins, en montre l’infirmité et la laideur, et que celle de la Nuit, avec ses tendres mollesses bleues, donne aux choses un charme plus pénétrant et plus intime.

— Bon ! dit monsieur le Soleil, en mettant le pied sur le marchepied du carrosse, ce sont là de simples idées romantiques, dont le législateur du Parnasse fera bonne justice. Et tout cela ne serait pas arrivé, si on avait continué à représenter régulièrement les excellentes pièces de théâtre de monsieur Racine ! »

À ces mots le carrosse se referme. Les Astres princes et ducs montent à cheval, et bientôt, carrosses et cavaliers et l’escorte de soldats, tout s’envole dans la clarté furieuse, et le cortège n’est plus que flamme et incendie, sauf les larges bottes à entonnoir des cochers, qui apparaissent toutes noires dans la gloire triomphale de l’universel embrasement.
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