Premier roman d'un auteur déjà artiste,
Écouter les sirènes est un texte à l'intelligence rusée qui fait tomber les larmes.
Fabrice Melquiot nous emmène aux côtés de Jodie, une jeune femme américaine de 36 ans qui vit à Portland et se démène comme elle peut pour joindre les deux bouts. Quelques jours avant de mourir, son père se déleste du poids d'un mensonge qui a conditionné sa vie. Commence alors pour Jodie une quête identitaire. Elle retrace le passé, les expérimentations de ses parents, leurs vies, à la recherche d'une vérité qu'elle ne trouvera peut-être jamais.
Ce pitch, pourtant simpliste et peu original, pose les bases d'un contenu beaucoup plus dense et ouvre une histoire à tiroirs. Car à travers ce prétexte de quête, l'auteur en profite pour nous faire traverser les époques, les lieux et les événements politiques et sociaux majeurs des États-Unis, se concentrant plus particulièrement sur les années 60/70. On entre dans « l'antre » de la contre-culture, cette période absolument passionnante de lutte acharnée, pour la liberté des droits, des corps, l'égalité raciale, contre le système politique et capitaliste… On rejoue les émeutes de Stonewall, on redécouvre l'affaire Roswell, on se mêle aux Beatniks… Même
Leonard Cohen et
Ursula K. le Guin sont de la partie…
Et
Fabrice Melquiot s'approprie parfaitement cet univers Us dont il semble éperdument amoureux. Il décrit une Amérique authentique, grâce à un oeil critique mais objectif, sans nier la superficialité qui la compose.
Les personnages soufflent en nous une humanité rarement vue en littérature. Jodie est une femme forte, indépendante, anticonformiste, qui peine à trouver sa place dans le monde. L'auteur parvient avec brio à nous faire entrer dans ses pensées les plus intimes, ses réflexions, ses errances psychiques. Solitaire et casanière, elle préfère rêver par la fenêtre ou dans les livres, imaginer la vie des autres pour remplir la sienne, plutôt que d'en assumer sa réalité déboussolée.
« Je pense aux amoureux de la vie pour qui tout a le goût des bonbons au miel. Savourez. Moi, c'est une sucette au sel de mer. »
Jodie est un personnage extrêmement touchant et particulièrement bien construit. Ses nuances, ses contradictions nous éclaboussent comme autant de vérités ressenties et l'on s'attache terriblement à elle et à sa famille « dysfonctionnelle ».
J'ai été soufflée par la très juste vision de l'auteur sur ce personnage. Un auteur, un homme, capable de se mettre à la place d'une femme, de faire naître un personnage féminin avec tant de réalisme, de considérer la femme dans son entièreté, et par extension, de comprendre nos failles, nos doutes, nos peurs et nos sentiments de malaise et d'insécurité dans ce monde patriarcal, c'était du jamais lu pour moi.
Et les mots appuient délicatement cette lourde réalité. le texte est sublimé par une langue magnifique, qui valse, danse, tournoie. Une prose chatoyante, singulière, aux accents poétiques et dramatiques divins. Une écriture imagée par des métaphores et des idées savoureuses.
« Je me couche et, sous ma couette, je pleure une bonne heure, la tête pleine de pommes écarlates et de pastèques. J'ai remarqué que les rares fois où dans ma vie j'ai pleuré de joie, j'avais la tête pleine de fruits sublimes. »
Les dialogues sont brillants, l'humour caustique, malin. le texte pétille. Les références culturelles et les morceaux musicaux donnent en prime un sacré panache au livre.
Écouter les sirènes est un roman bouleversant, qui gratte les secrets de famille pour mieux montrer l'impact terrible du poids des mensonges. C'est une histoire d'introspection, une histoire sur l'Amérique des années 60, une histoire de liberté, de vie, de fantômes errants, une histoire de femmes aussi. Car ce roman est résolument féministe et engagé, mais il est aussi un bel hommage aux décennies passées, à l'Amérique et à
Leonard Cohen.
Écouter les sirènes est un coup de coeur phénoménal que je ne peux que vous recommander.
* le texte est extrêmement riche et ne saurait faire l'objet ici d'une analyse complète. Ne le réduisez donc pas à mes mots, il est bien plus que cela !
**Merci
Actes Sud pour ce service presse.