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EAN : 9791041413935
240 pages
Points (12/04/2024)
3.66/5   49 notes
Résumé :
Ils s’appelaient Xu Djin et Liu Lianman, n’avaient jamais vu de montagnes auparavant et encore moins pratiqué l’alpinisme de quelque façon que ce soit. En 1960, le Parti communiste chinois les élève au grade de « désignés volontaires » et leur commande ainsi qu’aux camarades qui les accompagnent de conquérir le Qomolangma, tel que les gens du cru désignent l’Everest depuis toujours. Mission supplémentaire, ils sont tenus de déposer sur le toit du monde (8 849 mè... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Après l'excellent Alpinistes de Staline, prix Albert Londres du livre en 2020, Cédric Gras vient de publier Alpinistes de Mao.
Après s'être plongé au coeur du système stalinien avec une enquête littéraire sur les frères Abalakov, ces célèbres alpinistes, héros des cimes en URSS et pourtant victimes de la Terreur, Cédric Gras revient avec une épopée quasi similaire, inconnue, tragique, gonflée d'idéologie et malgré tout héroïque.
L'auteur était passé à d'autres projets mais a été intrigué en 2020 par un long métrage sorti en Chine, Pan deng zhe, The climbers, une grosse production shanghaïenne avec Jackie Chan qui promettait rien de moins que la première ascension septentrionale de l'Everest par des alpinistes chinois en 1960.
Se posent à lui mille interrogations « Comment les avait-on choisis dans cette Chine populeuse, une poignée parmi des millions ? Par quel miracle les expéditions s'étaient-elles faufilées entre les combats qui faisaient rage au Tibet ? Que s'était-il vraiment passé sur les flancs septentrionaux de l'Everest ? Et puis qu'était-il advenu d'eux par la suite, entre Grand Bond en avant et Révolution culturelle, au milieu des ravages et des arrestations ? Je pressentais que les soldats des cimes n'avaient pu échapper à la fièvre de ces décennies. Que, pour être allés à 8000 mètres, ils n'en avaient pas moins été tributaires des affaires du siècle. »
Cédric Gras ayant plusieurs fois voyagé en Haute Asie, ayant eu accès à des documents inédits réussit à réunir une somme non négligeable d'informations qui vont lui permettre de répondre à ses questions et de reconstituer la véritable chronique des Alpinistes de Mao, le destin hors norme de ces prolétaires que rien ne prédestinait au vertige des cimes.
À partir des années 1950, il devient intolérable pour Pékin que les plus hauts sommets de l'Himalaya soient l'apanage des capitalistes occidentaux. de plus, les Chinois étant en train d'annexer le Tibet, cette ascension par la face nord serait une manière d'achever la conquête de ce territoire. « Pour la Chine, gravir l'Everest revient en réalité à le revendiquer ! » C'est donc pour eux très important aussi bien politiquement que géographiquement.
Pour raconter cette expédition Cédric Gras s'est concentré sur deux des alpinistes qui y ont participé, à savoir Xu Jing et Liu Lianman, deux hommes qui n'avaient jamais vu de montagnes. En 1960, le Parti communiste chinois les choisit avec d'autres camarades sélectionnés parmi des ouvriers en forme dans les usines et des maoïstes zélés dans les syndicats pour porter au sommet de l'Everest (Qomolangma) un buste de Mao Zedong.
Dans ces années 1950, il n'y avait aucun alpiniste en Chine. Ils feront donc leurs gammes au Caucase, sous la houlette des guides russes avant de s'aventurer au-dessus de 8000 mètres.
La conquête chinoise du Qomolangma prévue en 1959 sera ajournée en raison du soulèvement tibétain. L'équipe d'alpinistes découvre en effet un Tibet en ébullition et un Dalaï-lama en fuite vers l'Inde.
Après ce report, c'est au printemps 1960 que l'ascension de l'Everest peut avoir lieu avec Xu Jing, Liu Lianman, Wang Fuzhou, Qu Yinhua, Gonpo et leurs compagnons de cordée, « une expédition d'état pour raison d'état, entièrement placée sous les ordres des autorités militaires ». Quatre batailles : trois acclimatations et puis l'assaut sont la stratégie utilisée.
Le 25 mars 1960, Wang, Qu et Gonpo atteignent le sommet, à 8 882 mètres d'altitude, où ils plantent un drapeau chinois et déposent un buste de Mao en plâtre… Cette ascension hautement politique sera toutefois nimbée de mystère, le drapeau et le buste ne seront jamais retrouvés, aucune photo n'a été prise, aucune trace de leur passage ne sera jamais relevée ultérieurement, des incohérences dans les récits, la plus grande confusion entoure cette ascension. Bref, aucune preuve, de quoi semer au moins le doute… Mais en Chine, pas de place pour le doute.
Qu'à cela ne tienne, qu'ils soient parvenus au sommet ou pas ( ils y parviendront le 26 mai 1975, mieux équipés et sans aucun doute cette fois), ce qui est important c'est qu'ils étaient prêts à tout affronter pour porter ce buste au sommet et faire flotter le drapeau rouge, prêts à sacrifier leur vie pour le Parti.
Ce qui est fabuleux dans cet ouvrage qui se lit comme un récit d'aventure, c'est de découvrir un pan méconnu de l'histoire de la Chine.
Avec ces prolétaires que rien ne prédestinait aux vertiges des cimes, dont Cédric Gras a reconstitué le destin, nous assistons à la colonisation et au génocide culturel du Tibet, vivons cette époque du Grand bond en avant avec effarement et voyons se propager le rouleau compresseur de la propagande anéantissant toute velléité.
Même ces valeureux hommes, ces pionniers de l'alpinisme chinois encensés et portés en triomphe après leur exploit à la gloire de leur chef n'échapperont pas aux camps de rééducation de la Révolution culturelle…
Cédric Gras a su souvent à partir de maigres renseignements ou photos donner une dimension humaine à ses personnages, n'hésitant pas à évoquer une ressemblance entre le jeune Xu Jing et le personnage de Tchang dans Tintin au Tibet, nous permettant ainsi de le visualiser aussitôt !
Ce sont donc comme je l'ai déjà souligné, les implications contextuelles historiques, politiques et géopolitiques de l'époque qui m'ont interpellée. Comment ne pas être incrédule, tétanisé et horrifié, aucun mot n'est à la hauteur, en prenant connaissance des millions de morts qu'a engendré ce Grand bond en avant avec la collectivisation à outrance et la famine qui en a découlé, famine considérée comme la plus meurtrière de l'humanité, sans oublier les laogais, ces camps de rééducation par le travail ou camps de travaux forcés.
Alpinistes de Mao, de Cédric Gras, un livre captivant et hyper instructif, est à lire absolument, à l'heure où la Chine est aujourd'hui plus que jamais sur le devant de la scène internationale !
Un immense merci à Simon et Pauline pour m'avoir offert ce passionnant ouvrage pour mon anniversaire.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Je n'ai pas lu "Alpinistes de Staline" qui a précédé ce livre, mais peu importe, il s'agit d'une autre épopée même si elle parle aussi d'un pays communiste et totalitaire
L'auteur le dit lui-même, il a manqué de documents et de biographies pour écrire cette enquête sur les pionniers chinois de l'alpinisme et plus particulièrement l'ascension de l'Everest que les Chinois nomment le Qomolangma (alors que côté indien son nom est Sagarmatha !)
Jusqu'en 1960, ce sont les anglais Tenzing et Hillary qui sont les seuls à avoir atteint le sommet en 1953, mais c'était par la voie du côté népalais. Quant aux anglais Irvine et Mallaury disparus en 1924, rien ne prouve qu'ils aient atteint le sommet avant leur mort.
Le grand timonier rêve d'une conquête chinoise du plus haut sommet du monde, une première, c'est un projet insensé lorsqu'on sait que l'alpinisme est un sport méconnu en Chine. Mais qu'importe ! Avec l'aide des soviétiques, plus aguerris et expérimentés, les chinois balbutiants apprennent les bases de l'alpinisme. C'est un projet politique car Mao veut sa conquête du plus haut sommet du monde pour prouver sa suprématie sur le monde capitaliste. Pour plus de précautions, l'accès à l'Everest chinois est interdit aux étrangers.

« Ce sont les anglais qui ont appris à ce bas monde que l'Everest en était le toit. La rhétorique maoïste prétend, elle, que la cime était portée sur d'anciennes cartes chinoises tout en qualifiant les Britanniques de « bêtes incultes ». Il est vrai que les Tibétains connaissaient cette montagne depuis la nuit des temps. »

Il y aura plusieurs tentatives stoppées par le mauvais temps.
Le soulèvement du Tibet en 1959 va retarder et compliquer l'expédition. Elle sera réprimée violemment et fera des milliers de victimes. Quant au Dalaï-lama, il réussira à fuir pour se réfugier en Inde.
Après moult difficultés, trois hommes, Qu Yinhua, Wang Fuzhou et le tibétain Gonpo atteindront le sommet du Qomolangma à 8848 m d'altitude dans la nuit du 24 au 25 mai 1960. Cette victoire, c'est la revanche de la chine communiste mais quel crédit donner à cette prouesse face au récit plein d'imprécisions des alpinistes et au manque crucial de preuves ? le monde occidental doute, l'exploit semble trop beau car l'ascension s'est terminée de nuit, ce qui expliquerait l'absence de photo prouvant la véracité de l'exploit. Les conditions de survie à cette altitude sont difficiles. On appelle cela la « zone de mort » car le taux d'oxygène y est trois fois inférieur par rapport au taux au niveau de la mer. Il faut donc respirer avec des cartouches d'oxygène et chaque geste demande un effort colossal. Cette victoire ne sera jamais remise en cause par le pouvoir chinois qui prône l'exploit politique et l'amour de la patrie en ignorant la performance sportive qui prônerait l'individu au détriment du collectif.
En parallèle de cette conquête des sommets l'auteur nous initie à la politique maoïste et à ses excès. On pouvait être déporté dans les laogai, camps de rééducation par le travail, simplement pour une phrase malheureuse ou sur une dénonciation calomnieuse.

Après un début un peu fastidieux, ce récit m'a intriguée et passionnée car, au-delà d'une conquête des sommets, il s'agit bien de l'histoire d'un régime totalitaire qui a voulu faire de la conquête de l'Everest un triomphe politique. Malgré toutes ces zones d'ombre et le peu de documents à disposition, Cédric Gras réussit à reconstituer le destin de ces alpinistes de Mao.


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Après “Alpinistes de Lénine”, que je vais lire sous peu, Cédric Gras s'est attaqué l'histoire des Alpinistes de Mao ! Les choses ne furent pas aisées car la propagande et l'amour du Parti, du moins du Grand Timonier, ont biaisé tous les événements, les relatant à la sauce maoïste !

Il n'a pas fait l'impasse sur les événements politiques et sociétaux qui se sont déroulés, pendant ce qu'on peut appeler l'épopée de la conquête de l'Everest par la Chine communiste !

Dans la mesure où il est difficile de décider si la première arrivée au sommet est réelle ou affabulée, j'ai été plus intéressée et touchée par le sort qui était fait au Tibet et aux masses populaires chinoises avec plusieurs millions de morts !

Revanche de l'Histoire, il semble que ça soit un tibétain, fortement sinisé ceci dit, qui ait mis les pieds en premier sur le Toit du Monde !

Peut-être ne saurons-nous jamais ce qu'il en est car il n'est pas certain que les archives, ultra-secrètes, soient elles-mêmes véridiques.

Un livre qui se lit comme un roman mais je n'ai pas réussi à ressentir d'empathie pour les protagonistes car ils ne pouvaient faire preuve d'humanisme et ne pouvaient se comporter autrement que des marionnettes !

#AlpinistesdeMao #NetGalleyFrance

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L'auteur, le livre (240 pages, 2024) :
On avait beaucoup aimé le précédent opus de Cédric Gras qui nous contait l'enthousiasmante et folle équipée des Alpinistes de Staline, les frères Abalakov qui, dans les années 30, avaient reçu comme mission d'aller planter le drapeau rouge sur la plupart des sommets d'Asie Centrale.
L'écrivain voyageur remet le couvert avec une suite ma foi fort logique : les Alpinistes de Mao, "une épopée similaire, inconnue, tragique, bouffie d'idéologie et malgré tout héroïque".

Le contexte :
Dans les années 50 la Chine envahit le Tibet et quelques camarades reçoivent la mission de porter le buste de Mao sur le sommet du Tibet récemment conquis, le sommet de la Chine Populaire encore toute jeune (elle fête son dixième anniversaire), bref sur le sommet du Monde : le Qomolangma, la déesse de l'univers, que ces infâmes droitiers de capitalistes avaient baptisé Mont Everest pour glorifier l'arpenteur général des Indes Britanniques.
Les camarades sélectionnés par le Grand Timonier n'y connaissent rien : ils n'ont jamais randonné, jamais tenu un piolet ni chaussé des crampons, jamais pratiqué ne serait-ce qu'un peu de varappe.
Qu'à cela ne tienne, pour mettre sur pieds ce "groupe d'élite hautement novice" on demandera un peu de formation et un peu d'équipement au Grand Frère Soviétique.
Assurément, un peu d'entrainement et beaucoup de fanatisme maoïste ne pourra que conduire les camarades et le Parti à la gloire lorsqu'ils réussiront l'ascension de l'Everest (pardon, du Qomolangma) par la face nord, celle du Tibet, une première puisque c'est cette fameuse face nord qui a vu périr les alpinistes britanniques George Mallory et Andrew Irvine en 1924.
[...] Ils partent de très loin, de zéro en vérité. C'est peut-être toute la beauté de leur épopée.

♥ On aime :
• On apprécie le fastidieux travail réalisé par l'auteur : contrairement à la précédente aventure des grands frères russes, il n'existe que très très peu de témoignages de cette épopée maoïste. Des rapports officiels bouffis de propagande maoïste, quelques sources russes, quelques rares photos, ...
Mais il en fallait plus pour arrêter Cédric Gras !
• Dans son précédent ouvrage, Cédric Gras nous donnait en filigrane tout le déroulé de la terrible dérive stalinienne. Cette fois nous allons suivre l'invasion du Tibet en direct : les chinois se lancent à l'assaut de l'Everest en 1960, juste un an après le soulèvement tibétain de 1959 et la terrible répression qui s'en suivit.
L'auteur sait s'effacer derrière son sujet et ses héros et nous livre un passionnant feuilleton à multiples rebondissements alpins, culturels et politiques. Dans ses romans, Cédric Gras nous parle de "la montagne certes, mais comme belvédère sur une époque fascinante".
• le manque de sources et la surabondance de propagande font que les personnages ne peuvent être que dessinés à gros traits, le récit n'a pas le parfum d'aventure de l'épisode russe précédent. Heureusement la prose de Cédric Gras est toujours aussi lumineuse et agréable : sa plume parvient à faire de tout cela un formidable document sur une région et une époque mal connue.

Le pitch :
En 1960, après quelques tentatives mitigées sur des sommets moins prestigieux, c'est une gigantesque expédition d'état, encadrée par l'armée, qui se lance à l'assaut du sommet mythique. Des centaines d'hommes, plusieurs dizaines d'alpinistes (même s'ils sont jeunes et pour le moins inexpérimentés !), des scientifiques, des centaines de porteurs, des camions de ravitaillement, une logistique à l'échelle du pays, ...
Ils seront plusieurs dizaines à dépasser les 8.000 mètres, c'est déjà un record.
Et bientôt la nouvelle tombe :
[...] Wang Fuzhuou, Gonpo et Qu Yinhua de l'équipe d'alpinisme chinoise ont atteint le plus haut sommet du monde à 4 h 20 le 25 mai 1960.
[...] L'agence officielle Xinhua clame : « le mythe de l'impossible voie nord de l'Everest a volé en éclats ! »
Mais aucune preuve ne pourra être présentée, aucune photo, aucun vestige supposé laissé sur place ne sera retrouvé plus tard. Les récits sont confus et peu cohérents, la propagande et la censure prennent le relais.
Alors que s'est-il réellement passé là-haut ?
Lorsqu'ils redescendent du toit du monde, c'est une dure réalité qui les accueille : la Chine est sinistrée dans un catastrophique grand bond en avant et va bientôt basculer dans le chaos d'une révolution culturelle.
Les chefs d'expédition Xu Jing et Liu Lianman vont bientôt partir en rééducation, le Parti n'est guère reconnaissant envers ses héros.
Il faudra attendre la fin des troubles politiques pour qu'en 1975, une nouvelle méga-expédition envoie une dizaine d'alpinistes, dont une femme, jusqu'au sommet : et cette fois, ils ont emporté leur appareil photo, histoire de faire taire les doutes et les médisances capitalistes sur l'expédition de 1960 !
Pour celles et ceux qui aiment les montagnes.
Lien : https://bmr-mam.blogspot.com..
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Cédric Gras s'est fixé comme objectif de faire découvrir une histoire pas facile à raconter : celle de la conquête de l'Everest par la Chine de Mao. Mais ce n'est pas une histoire facile à raconter car les sources ne sont pas abondantes.

Cette conquête ne s'est pas faite à partir de l'initiative individuelle d'un alpiniste passionné comme Georges Mallory, qui en est mort, ou Edmund Hillary et Tenzin Norgay qui ont réussi et ont abondamment raconté l'histoire. Elle est issue de la volonté toute puissante de Mao et du PC chinois. le but était la grandeur de la Chine communiste, la conquête d'un territoire jusqu'à son extrémité et la démonstration que le peuple pouvait tout faire; que les masses sont plus puissantes qu'un individu.
Le régime communiste va donc sélectionner des camarades bons communistes et sportifs. Peu importe qu'ils n'aient aucune expérience de la montagne, ni aucun intérêt particulier pour celle-ci. On ne va quand même pas leur demander leur avis. Il faut porter le buste de Mao au sommet de l'EVEREST et par sa face chinoise. L'échec n'est pas envisageable et leur engagement au service du grand timonier est sans faille.

Cédric Gras a eu vent de cette histoire lorsqu'il faisait des recherches pour un livre précédent consacré aux alpinistes de Lénine. Des témoignages racontaient la formation d'alpinistes chinois envoyés par le pays frère. Les Russes soulignaient tant leur totale inexpérience que la force de leur engagement et de leur volonté. L'auteur a donc voulu en savoir plus. Mais les sources chinoises sont plus difficilement accessibles et il faut savoir faire l'exégèse de la propagande maoïste. Par ailleurs, les protagonistes se sont peu exprimés à l'exception de Liu Lianman, d'autant que certains ont, malgré leur dévouement et leur abnégation dans cette mission parfois délirante, été victime de la révolution culturelle par la suite. L'alpinisme est alors devenu signe de déviance bourgeoise, a déclaré le Grand Timonier.

Xu Jing, Liu Lianman, le tibétain Gonpo, les trois principaux acteurs de cet expédition méritent de voir leurs noms cités car leur exploit est impressionnant quoi qu'il en soit. Même si on doute au terme de la lecture que les chinois aient réellement atteints le sommet de l'Everest le 27 mai 60 comme l'affirme la propagande communiste : aucune preuve matérielle et trop d'invraisemblances soulignées par ceux qui ultérieurement ont réalisé la même ascension. Malgré tout, ces trois hommes et quelques autres sont arrivés très haut, probablement au delà des 8000, alors qu'ils ne connaissaient rien à la montagne. Ils ont soufferts et endurés dans leur corps et dans leur esprit.

Le récit part de la préparation avec les alpinistes russes, essaie de retracer les quelques bribes de la vie des protagonistes, ouvriers ou paysans ordinaires, les ascensions préparatoires. En toile de fond à cette époque, le soulèvement du Tibet de 1959 et la fuite du Dalaï Lama ralentissent les projets d'ascension.
Puis c'est la description, la reconstruction de la tentative d'ascension à base de la propagande chinoise compensée par les témoignages et l'expérience d'autres alpinistes qui permettent de poser un regard critique. On voit une véritable armée s'organiser : construction de routes, livraisons de tonnes de matériel, d'alimentation, mobilisation de centaines de personnes Au final, reste le mystère des derniers mètres de dénivelé et de ce qui s'est réellement passé....

Puis au retour ce seront d'abord les honneurs puis, tout aussi soudainement, l'envoi des héros d'hier vers des classes d'étude de la Révolution culturelle, pour les rééduquer et leur faire reconnaitre le caractère bourgeois de leurs exploits d'alpinistes.

Enfin, dans les années 70, le programme est relancé et d'autres alpinistes atteindront cette fois réellement le mythique sommet.

La particularité de cette enquête est de laisser beaucoup à l'imagination de l'enquêteur et du lecteur. Cédric Gras se livre à une remarquable reconstruction historique d'un moment délirant.
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critiques presse (2)
LeFigaro
16 novembre 2023
L’écrivain raconte l'extraordinaire aventure d'hommes qui n'avaient jamais touché un piolet de leur vie, ni même vu de montagnes.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Culturebox
24 avril 2023
Trois ans après "Alpinistes de Staline", prix Albert Londres du livre en 2020, Cédric Gras revient avec une enquête sur l'histoire des pionniers de l'alpinisme chinois. Où il est davantage question de géopolitique et de grandeur de la nation que de passion pour la montagne.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Ils visiteront ensuite quelques écoles et usines du pays, de Pékin à Tianjin, afin de narrer leur incommensurable exploit et « inspirer des millions de personnes ». Ils ont bien mérité leur repos au sanatorium des travailleurs du textile de Qingdao, où ils coulent ensuite quelques douces journées. Dans son livre, Liu Lianman se montre redevable pour ce qu’il qualifie de « traitement de faveur ». Il est bien conscient de la conjoncture depuis sa villégiature. « Bien que ce soit l’époque de la catastrophe naturelle de trois ans, nous avons quand même reçu trois repas par jour durant notre convalescence. » Ainsi parlait-on du Grand-Bond en avant et de sa terrible famine. Les caprices du ciel étaient coupables à la place de Mao. Les campagnes n’étaient plus peuplées que de silhouettes squelettiques. Jusqu’à quarante millions de morts d’après les historiens. On parle de la plus grande hécatombe qu’ait jamais connue l’humanité. Mais le buste du Grand Timonier trônait au sommet de l’Everest.
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Dans le bas-monde, 8000 mètres en contrebas, la famine décime les campagnes. Depuis trois années, ce Grand Bond en avant qui devait permettre un développement éclair est un désastre. La collectivisation à outrance fait des ravages, les objectifs sont irréels. Mao a ordonné de serrer les plants de riz jusqu’à l’étouffement et d’abattre les moineaux pour préserver les graines. En l’absence des volatiles, la vermine s’est multipliée, les rendements s’écroulent. « Calamités naturelles », affirme pudiquement la radio pour justifier les rationnements drastiques, mais 1960 est une année noire. Dans les villages et les laogais, les gens meurent d’inanition quand ils ne se livrent pas au cannibalisme. Des millions de personnes ont déjà succombé au génie du Grand Timonier quand Xu Jing et ses camarades se préparent à gravir le Qomolangma.
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Parmi les ouvriers qu’on a convoqués, un certain Liu Lianman. Lui non plus n’est pas une évidence. Il se retrouvera pourtant quelques années plus tard avec Xu Jing, dans une tente vers 8500 mètres d’altitude, et jouera un rôle ahurissant dans l’expédition à l’Everest. Mais qu’ils partent de loin ! Liu Lianman n’a jamais connu de neige que l’hiver dans la Mandchourie où il a grandi. Une région de taïga austère et froide que la révolution s’acharne à défricher à grands renforts de condamnés. Quelque chose comme le Nord chinois où beaucoup d’alpinistes seront recrutés à cause du climat et sur la foi d’une étude incongrue. Des scientifiques auraient démontré une meilleure acclimatation à l’altitude chez les sujets des hautes … latitudes.
Commenter  J’apprécie          280
J’avais mille interrogations. Comment les avait-on choisis dans cette Chine populeuse, une poignée parmi des millions ? Par quel miracle les expéditions s’étaient-elles faufilées entre les combats qui faisaient rage au Tibet ? Que s’était-il vraiment passé sur les flancs septentrionaux de l’Everest ? Et puis qu’était-il advenu d’eux par la suite, entre Grand Bond en avant et Révolution culturelle, au milieu des ravages et des arrestations ? Je pressentais que les soldats des cimes n’avaient pu échapper à la fièvre de ces décennies. Que , pour être allés à 8000 mètres, ils n’en avaient pas moins été tributaires des affaires du siècle.
(P 17)
Commenter  J’apprécie          290
Certains n’ont jamais vu d’éminences, même modestes. La plupart ne savent rien du vertige ou des déserts froids. Ils ignorent qu’on puisse gravir des cimes et jusqu’au mot « alpinisme ». Ils s’imaginent du Tibet ce qu’on colporte de rumeurs à son sujet : les habitants y sont crasseux, barbares, primitifs et benêts, soumettent leurs existences à mille superstitions naïves sous la coupe d’un dieu-roi nommé dalaï-lama. Eux sont nés dans les plaines humides, au bord de la mer Jaune peut-être, dans les collines de Mandchourie au mieux, et partout un soleil appelé Mao y chasse l’ordre ancien dans le sillage de la révolution.
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Vidéo de Cédric Gras
À l'occasion de la 33ème édition du festival "Étonnants Voyageurs" à Saint-Malo, Cedric Gras vous présente son ouvrage "Alpinistes de Mao" aux éditions Stock.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2741688/cedric-gras-alpinistes-de-mao
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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