Le cœur de Swann
cognait contre sa poitrine
mais elle n’avait pas peur
elle avait oublié qu’elle était Swann
elle se rappelait juste qu’il était Vadim
et c’était doux d’être là
avec lui
leurs deux chaises collées
dans cette bibliothèque obscure.
La nuit suivante
recroquevillée
entre minuit et quatre heure du matin
l'œil sec et brûlé
elle relut le livre.
Parfois
elle croyait sentir
une flopée de boucles
caresser ses oreilles
elle s'assoupissait
et remontait le livre
sur ses genoux
de ses nouvelles mains
longues
dorées
masculines.
Elle s'arrêta
haletante
la poitrine aplatie
les côtes broyées
par le souffle de la foule
ce souffle uniforme
bruyant
qui martelait son corps
avec la force
d'un troupeau de rhinocéros.
C'est rien
dit comme ça
mais ça me fait tout drôle
de penser que
l'année dernière peut-être
le dix août
je m'ennuyais
je m'ennuyais
alors qu'il aurait suffit
que je sache que ce jour était spécial
pour toi
- et peu importe si je ne te connaissais pas
ça n'a aucune espèce d'importance ici -
il aurait fallu que je sache ça
pour tourner les talons
et regarder ma journée.
Ses doigts
finirent par la démanger
elle attrapa son carnet
le plaqua contre ses genoux
et fabriqua
un collier de mots maladroits
apeurés d'un amour
primitif et prématuré
des mots
qu'elle n'oserait jamais
lui envoyer
Juste du miel
et des contes
des coquillages qu'on porte aux oreilles
le roucoulement de la mer
maman qui s'assoit au bord du lit
et raconte une histoire.
Elle enfila ses tongs
et s'assit contre le tronc
du cerisier.
Ses pieds baignaient dans l'herbe
trempée de rosée
de soleil mal réveillé et de jasmin.
Elle resta là.
Cette nuit-là
elle n'éteignit pas son portable
elle le laissa à côté de son oreiller
et imagina
qu'à la surface noire
se substituait
le voile d'un corps allongé.