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Le Shôbôgenzô reste une oeuvre difficile et surprenante à maints égards. Par son style très dense, mais aussi par son choix de langage. Il faut en effet savoir qu’au Japon, au moment où Dôgen rédige son recueil, le chinois est la langue « savante » et officielle du pays, comme peut l’être le latin dans l’Europe médiévale. Mais Dôgen innove et choisit la langue vernaculaire pour écrire son oeuvre. Ce sera ainsi un des premiers ouvrages savants rédigés en japonais. A le lire dans le texte originel, on est d’ailleurs frappé par l’énergique travail de langage auquel s’y trouve pliée la langue japonaise. Dôgen sculpte ses phrases dans un étrange amalgame d’archaïsmes et de néologismes, jouant pleinement sur le jeu des métaphores et sur les subtiles évocations croisées que permettent les idéogrammes sino-japonais. Ce travail de langage, Dôgen l’exerce aussi, d’une autre manière, sur les très nombreuses sources qu’il emprunte aux différentes traditions bouddhiques. La plupart du temps, sous sa main, elles subissent des transformations plus ou moins importantes où le sens d’origine est sciemment dévié, déjoué, voire inversé. Tout se passe comme si, avec la méditation assise, cette activité intense de transformation, de trituration, d’inversion, de subversion du sens – ou des sens – participait pour Dôgen à une seule et même pratique du Zen – la pratique se concentrant ici sur l’écriture. Souvent, Dôgen souligne l’importance capitale de fréquenter assidûment les textes.
Depuis les temps anciens de nombreux sages
et saints ont vécu au bord de l’eau.
Quand ils sont sur l’eau, ils pêchent non seulement du poisson,
mais aussi des hommes et la voie.
Ils font encore mieux : ils s’attrapent eux-mêmes à l’hameçon.
En pêchant le pêcheur, ils sont le pêcheur pêché, pêché par la voie.
« C’est ainsi que jadis, le moine Te-Cheng
qui avait fui le monastère du mont Yüeh et s’était réfugié
sur le fleuve attrapa le grand sage Shan-hui.
Ne pêchait-il pas à la fois le poisson, l’homme, l’eau et lui-même ?
Shan-hui en rencontrant Te-cheng devint Te-cheng
et Te-cheng en guidant Shan-hui devint Shan-hui.