Citations de Yasushi Inoué (420)
Moi, et Misugi aussi, nous sommes des pécheurs. Et puisqu'il ne nous est pas possible de ne pas être des pécheurs, soyons au moins de grands pécheurs.
Alors une idée traversa l'esprit de Sugi, de Sugi qui s'était efforcé de ne pas y penser depuis qu'il avait quitté Tôkyô, une idée qui venait de loin, de très loin, d'infiniment loin : "Et si j'essayais de vivre ?"
Si on aime ses petits-enfants, c'est qu'à l'âge d'être grand-père, on comprend pour la première fois la beauté de l'enfance.
Je croyais que l'amour gagnait peu à peu en puissance, tel un cours d'eau limpide qui scintille dans toute sa beauté sous les rayons du soleil, frémissant de mille rides soulevées par le vent et protégé par des rives couvertes d'herbe, d'arbres et de fleurs. Je croyais que c'était cela l'amour.
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Quand donc ai-je entendu pour la première fois parlé d'Obasutéyama - le "mont où l'on se débarrasse des petites vieilles"- et de la légende qui lui donne son nom ? Ma famille est originaire d'un village de montagne situé au milieu de la péninsule d'Izu. C'est là que j'ai grandi. Or, sur la côte ouest de la péninsule, près de To.i, on raconte encore que, jadis, on avait coutume d'abandonner les vieillards dans la montagne. L'histoire que j'ai entendue dans mon enfance mêlait sans doute tradition orale et légende. Elle me plongea dans la plus vive affliction.
Je devais avoir cinq ou six ans et je venais d'entendre l'histoire. Sortant de l'engawa, je me mis à pleurer bruyamment. Je ne sais plus où se déroulait la scène, j'ai juste le vague souvenir que, intrigué par ces hurlements, un membre de ma famille - était-ce ma mère ou ma grand-mère ?- se précipita vers moi et me prodigua quelques paroles de consolation. Bien sûr, je ne comprenais pas vraiment le sens du récit, mais je percevais, sous une forme abstraite, la tristesse du propos : un homme part dans la montagne, portant sur son dos la mère qu'il va abandonner. Cette tristesse pénétrait mon cœur, pareille aux gouttes d'eau qui perlent entre les rochers. Je me voyais, forcé de quitter ma mère, et je pleurais de plus belle, incapable de surmonter ma douleur.
p85
En fait, je déplore que les circonstances quotidiennes ne me permettent pas d'appliquer toujours ce principe de la Voie du Thé : "Dans la maison, il suffit de ne pas laisser l'eau s'infiltrer ; dans la vie, simplement de ne pas mourir de faim."
« Même si la vie enfermée dans cette lettre ne doit durer que quinze ou vingt minutes, oui, même si cette vie doit avoir cette brièveté, je veux te révéler mon « moi » véritable. » (p. 66)
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Il suffit que deux êtres humains, père et fils, maître et serviteur ou tout simplement deux inconnus en voyage se trouvent face à face, pour que se noue entre eux un pacte réglant leur relation. C'est ce qu'on appelle "humanité" ou, en d'autres termes, le "souci de l'autre", la faculté qu'a un être humain de se mettre en pensée à la place d'un autre.
(...)
En ce qui concerne en particulier la notion d'"humanité", j'ai eu maintes fois l'occasion par la suite d'assister à des débats sur cette question entre le Maître et nombre de ses Grands Disciples. Souvent ces conversations étaient d'une complexité qui ne pouvait que dépasser l'entendement d'un homme comme moi. C'est pourquoi j'en restais toujours à l'explication qu'en avait donnée le Maître à la capitale de Chen quand il avait défini l'humanité comme la vertu prenant racine dans la relation entre deux êtres humains. Je ramenai tout à cet unique principe et m'efforçai de le mettre en pratique. J'ai beau n'y être jamais parvenu, je n'ai jamais jusqu'à ce jour relâché mes efforts.
Autrefois, les hommes avaient le cœur plein de bonté parce que la nature les protégeait.Ils voyaient un arbre ou une montagne et les trouvaient beaux.Aujourd'hui , s'ils les regardent, c'est seulement en se demandant combien cela peut rapporter.Il est, certes, nécessaire de bâtir des logements. Je me demande seulement qu'on cherche comment y parvenir sans dégrader la nature.
Comment l'homme est-il devenu assez arrogant pour se croire le seul être vivant ?Les montagnes, les rivières, les arbres et l'herbe aussi sont des êtres vivants.(p.304)
"Comment en suis-je arrivé à aimer autant le vert des arbres?"
Il pouvait y avoir trois explications: la première était qu'il n'y avait plus guère de verdure à Tokyo.En tout cas, pas sur le trajet quotidien qui le menait à son bureau.Ce qu'il apercevait par la vitre de sa voiture ne lui permettait pas de se faire une idée précise des saisons. (...)
La deuxième explication était peut-être en rapport avec son âge. La jeunesse des hommes passe et, comme ils savent qu'elle ne reviendra plus, la période de renouveau de la nature leur paraît particulièrement belle...C'est une sorte de nostalgie du temps qu'on ne retrouvera plus.
Et puis enfin, en vieillissant, on commence à comprendre les beautés de la nature.(p.181)
Qu'est-il donc ce serpent qui, dit-on, habite chacun de nous? Egoïsme, Jalousie, Destin? Peut-être quelque chose d'analogue au Karma, qui les contient tous trois, et dont nous ne pouvons disposer à notre gré.
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Le genre épistolaire n'est habituellement pas ma tasse de thé, mais j'ai néanmoins beaucoup apprécié Le Fusil de Chasse, faisant confiance à juste titre à la qualité d'écriture de Yasushi Inoue qui, avec retenue, en peu de mots et peu de pages, nous suggère néanmoins une intrique -on a presque le sentiment d'un huis clos- complexe, autour d'un homme énigmatique qui ne se livre pas, mais produit les lettres de trois femmes blessées.
Amour, secret, honte, amertume... l'âme humaine y est disséquée avec la minutie de Balzac ou Flaubert, mais dans un style résolument japonais : simple épure des sentiments, ces lettres, pleines de poésie, restent pudiques et tout en suggestion... comme un un Haïku.
Des sentiments dont le lecteur doit reconstituer l'intensité -rappel de son vécu personnel ?-, au fil d'indices distillés par des narrations croisées avec finesse, tressées d'images symboliques.
Comme dans un lavis oriental, le fusil de chasse, phallique et violent, perd -faussement ?- de sa consistance : point de repentir possible ; une fois le trait lancé, le vide et la forme ne font plus qu'un.... et, à la fin du roman, le voyageur repart "avec son fusil sur l'épaule", tandis que le narrateur, ressentant l'agréable fraîcheur nocturne sur son visage, évoquant "Misugi sur son lit asséché de torrent blême", se contente de plonger son regard "dans l'obscurité qui baignait l'étroit jardin et ses épais buissons"...
Tout être humain passe par une phase où il prend conscience de la valeur de sa vie en la mettant en danger. Cette période dure généralement de dix-huit, dix-neuf ans, jusqu'à vingt-sept, vingt-huit, par là. Passé vingt-neuf ans, les entreprises trop aventureuses paraissent ridicules. On s'aperçoit que la capacité humaine a des limites. On commence à comprendre ce que signifie être humain, autrement dit, pas grand chose. L'aura de gloire de l'aventure s'efface. Le jeune homme devient enfin un adulte à part entière.
Russes et Japonais étaient vêtus de façon identique, mais s'il était impossible de les distinguer par leurs vêtements, on reconnaissait toujours les Russes à leur haute taille. On eût dit des ours accompagnés de leurs neuf oursons.
Pourquoi faut-il que m’accable cette insupportable angoisse, à l’heure où j’affronte la mort, une mort qui sera là dans quelques heures ? Je reçois le châtiment mérité par une femme qui, incapable de se contenter d’aimer, a cherché à dérober le bonheur d’être aimée.
Il me semble qu'un homme est bien fou de vouloir qu'un autre le comprenne. (P. 15)
Certains regards éveillèrent en moi à maintes reprises une tristesse sans nom qui m'ôtait jusqu'au goût de vivre.
Maître de savoir-vivre à la manière simple et saine ; aujourd'hui j'ai recopié les dix engagements nécessaires à l'homme de thé. Cette partie a été probablement rédigée par Monsieur Sōji d'après les paroles de Maître Rikyū, car il me semblait entendre sa voix en traçant ces lignes :
"Pratiquer le thé, de jour comme de nuit, pendant l'hiver et le printemps, en imaginant la neige dans son coeur. En été et à l'automne, le pratiquer jusqu'à huit heures du soir, et même plus tard, par un soir de lune. Pratiquer le thé jusqu'après minuit, même si l'on est seul."
Un jour dans un livre j'ai rencontré ces mots :"Le chagrin d'être en vie", et, tandis que j'écris cette lettre, j'éprouve ces chagrins que rien ne saurait apaiser. Quelle est donc cette écœurante, cette effroyable, cette triste chose que nous portons au dedans de nous ?. P, 78
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Puisque ce poème a un rapport avec l’histoire que je raconte, j’ai décidé de l’insérer ici :
"Sa grosse pipe de marin à la bouche,
Un setter courant devant lui dans l’herbe,
L’homme gravissait à grandes enjambées, en ce début d’hiver,
Le sentier du mont Amagi,
Et la gelée blanche craquait sous ses semelles.
Il avait vint-cinq cartouches à la ceinture,
Un manteau de cuir, marron foncé,
Une carabine Churchill à canons jumelés…
Mais d’où venait son indifférence, malgré son arme de blanc et brillant métal,
A ôter la vie à des créatures ?
Fasciné par le large dos du chasseur,
Je regardais, je regardais.
Depuis ce temps-là,
Dans les gares des grandes villes,
Ou bien la nuit dans les quartiers où l’on s’amuse,
Parfois je rêve,
Je voudrais vivre sa vie…
Paisible, sereine, indifférente.
Par instants change la scène de chasse :
Ce n’est plus le froid début d’hiver sur le mont Amagi,
Mais un lit asséché de torrent, blanc et blême.
Et l’étincelant fusil de chasse,
Pesant de tout son poids sur le corps solitaire,
Sur l’âme solitaire d’un homme entre deux âges,
Irradie une étrange et sévère beauté,
Qu’il ne montra jamais,
Quand il était pointé contre une créature. »