Iris en feu - Le dernier amour de Van Gogh
De plus en plus, j'ai la conviction que les plus grands spécialistes de Van Gogh ne sont pas ceux qui sont rémunérés pour l'être, mais ceux qui se déplacent pour aller regarder les tableaux dans les yeux. Ceux qui reconnaissent des émotions qui font écho à leur propre histoire, et non à l'histoire de l'art.
Trop de détails effacent la rêverie - p. XI
La différence entre ce qui est classique et novateur, au fond, ce n'est tant ce qui est, mais ce qui est perçu. Le classique d'aujourd'hui est le novateur de d'hier, et le novateur d'aujourd'hui est le classique de demain. Il y a peu de chances que cela change un jour.
La valeur de l'art et du savoir, p. 105
En ce début de XXIe siècle, on entend souvent que l'art serait avant tout une affaire subjective ; ce qui compte, c'est ce que l'on sent. L'artiste peut se contenter d'avoir idée, sans même toucher à ce qu'il produit. Ou ne pas avoir d'idée. Il peut crier, nu et recroquevillé, dans une bassine remplie d'urine entourée de papier journal froissé sans avoir besoin de se justifier. Un critique, un commissaire d'exposition ou un élu trouveront les mots pour lui.
(...)
N'importe quel numéro du magazine Art Press témoigne des profondeurs de ce monde-là.
À l'exception de ce qui est vrai, tout ce qui suit est rigoureusement faux.
Il est impossible de saisir à quel moment précis Van Gogh prit la décision de tourner le dos à la religion organisée et de vouer sa vie vie à l'art. Ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'une évolution graduelle et non d'un coup de tête. Tout comme sa reconversion vers la chose religieuse avait été précédée de longs mois de dévotion fanatique, son glissement de la religion vers l'art s'est opérée progressivement tout au long de la seconde moitié de l'année 1879. Les doutes ont dû le gagner assez rapidement, mais sa décision définitive lui a été imposée par ses employeurs, comme chez Goupil & Cie.
Theo, le petit frère du pauvre, p. 67
******
Lettre à Théo 22 janvier 1889 : « Ce que tu sais que je cherche, moi, c’est de retrouver l’argent qu’à coûté mon éducation de peintre, ni plus ni moins. Cela c’est mon droit avec le gain du pain de chaque jour. »
***
Aux Pays-Bas, cette bourgeoisie urbaine nouvellement enrichie ne construisait pas de palais, de monuments à sa propre gloire ou d'amphithéâtres pour se divertir, faute de place, de pierres de taille et surtout d'ambition terrestre. Car le Néerlandais du XVIIe siècle, en plus d'être commerçant, entrepreneur, prêt au compromis et marin dans l'âme, était calviniste.
Les Pays-Bas et l'invention du capitalisme - p. 47
L'image d'un peintre aux prises avec une panique intérieure permanente est le levier utilisé le plus souvent pour le présenter au public, qu'on prive ainsi de sa propre liberté d'interprétation. Ce qui est montré dans ces cas-là, ce n'est pas le Van Gogh historique. C'est le Van Gogh mémoriel, l'idée erronée et littéralement aberrante que d'autres ont déjà colportée.
L'affront - p. 11
Le syllogisme de la gloire de Van Gogh semble inspirer aussi ceux qui ont renoncé à la pratique d'un art, peut-être parce que, comme le disait Musset : "Il se trouve, en un mot, dans les trois quarts des hommes, comme un poète qui meurt jeune, tandis que l'homme survit". Les mythes de Van Gogh permettent de faire le deuil de son "poète mort jeune", puisqu'ils suggèrent qu'il faut être fou, pauvre et alcoolique pour être un grand artiste. Casser ces mythes, c'est aussi casser les excuses de ceux qui ne créent plus rien.
Il rêvait de publier des séries de gravures bon marché : l'art avait à ses yeux le pouvoir d'élever moralement les humains et pouvait les aider à voir le monde d'un œil toujours renouvelé ; une transposition quasi littérale de la pensée évangélique, qui est à son tour à l'origine de l'ordre économique capitaliste.