Thomas Louis

Cette nuit-là, Christophe pris conscience qu'une force supérieure à la mort se réveillait en lui : l'envie de profiter.

Vouloir mourir en dormant est une bonne idée, on pouvait pas lui enlever. Dans son hamac, il avait ingurgité plusieurs plaquettes avec du Fernet-Branca, car il a adorait ça. On disait même que c'était un remède contre les maux de tête. Alors pas de quoi se priver. Quel incendie, il avait eu une belle vie.

Dans l’âpreté du village, et depuis quelques morts déjà, la rumeur d’une malédiction gonflait. Si cette hypothèse ronceuse semblait fondée, au sein de la famille personne ne semblait la croire. Il fallait tout de même constater que chacun y allait de son petit suicide. Malgré tout, et quand même.

Les dimanches continuaient à se dérouler de la même manière, selon les mêmes rites, ne manquait qu’une seule chaise au moment du repas pour se rendre compte du contraire. Chacun y allait de son silence, chaque mémoire se taisait.

La mort était une petite rusée. Il fallait tout simplement se réjouir, du moins constater, qu'elle avait failli cette fois-ci, et qu'une pointe d'espoir était permise. De quoi trouver la réparation. Oui, elle n,avait pas réussi à aller jusqu'au bout, la saloparde. Ce loupé allait-il marquer la fin de la malédiction ?

Que faire des souvenirs des morts lorsqu'ils sont morts ?

Il regrettait la majorité, l’âge adulte où tout se complique. Mais là c’était autre chose ; une mère morte, ce n’est pas une complication. C’est un déchirement, un trou impansable. Une pellicule poisseuse sur le visage.

Tout commençait déjà à s'écrire, alors que rien n'était prévu.

On a toute sa vie l'âge d'être mort.

La famille de Christophe était une famille de faux croyants. Des ânes qui n'allaient à la messe que pour se donner bonne conscience auprès des autres. Dieu, ils n'en avaient jamais vu la couleur, pas plus que des miracles, pas plus que de la charité chrétienne. Ils étaient croyants de croire, et leur seul domaine était celui des apparats que procurait la religion.

Chaque jour est une volée d'adieux supplémentaire. Il faudra juste s'y faire : on cherche ceux qui nous manquent le restant de notre vie.

À cet instant, Yann participe à quelque chose de bien plus grand que lui. Comme si on rallumait la nuit, il imagine le cortège de mains sur son épaule, les visages morts et vivants qui posent leur regard sur lui. Il est pédé. Il n'est pas seul.

Même si la vie n'est pas que cela, ils déploient des trésors d'imagination pour oublier ce que cette dernière a de plus désespérant, ensemble. Puisqu'ils le savent, cette histoire-là n'aura qu'un temps.

Au milieu des draps, il y a, pour chacun, la sensation onctueuse d'être à sa place, hors du temps habituel. Un bonheur à savourer par petites touches, dans la touffeur de l'été.

En attendant que la vie prenne de la texture, que quelqu'un vienne le sortir de là, il préfère attendre, penché au-dessus du vide.

Christophe ne touchait plus terre, il était sans fatigue. Il avait osé quelque chose, et on lui avait répondu. Dans ce nouveau monde rempli de recoins surprenants, il n’avait qu’à se pencher pour saisir l’occasion de se sentir exister.