De nos jours, le moindre cheveu, le moindre cil, la moindre goutte de sang et une armada de policiers pouvait venir vous arrêter dans votre lit, en plein sommeil. C’était aussi pour cela qu’il s’était coiffé avec tant de précautions, lissant ses cheveux avec une bonne dose de gel, frottant ses sourcils et ses cils avec une brosse à dents et vérifiant qu’aucun petit bouton gonflé ne menaçait de le trahir en crachant son sang.
Il prit la tête de l'homme entre ses mains, à hauteur des tempes, pour la redresser et la rapprocher de celle de la femme, qui attendait toujours avec une patience de sainte. Puis il colla la bouche encore tiède de l'homme à celle, glacée, de la compagne qu'il lui offrait. Il leur ferma enfin les yeux, avant de se reculer d'une dizaine de mètres pour apprécier l'oeuvre dans son ensemble. C'était tellement gracieux, beau, splendide. La mise en scène débordait d'une poésie que seul un écrivain qui ne naîtrait jamais pourrait décrire ! Tom Paul en avait lui-même le souffle presque coupé. Bien qu'en temps normal il en fût intimement persuadé, il n'en revenait pas de posséder un tel talent. Parvenant enfin à respirer, il captura la scène intérieurement et prit un polaroïd mental de ce moment qu'il voulait ne jamais oublier.
… Tom contourna à nouveau les corps pour leur faire face. Il s’accroupit prestement, leur lia les mains à l’aide de la cordelette, posa la lame de rasoir entachée entre eux et se releva. Toujours aux aguets, les sens démultipliés par l’excitation et le plaisir d’avoir à nouveau réussi, il refit un tour sur lui-même. Personne ne venait, rien ne bougeait, il aurait pu être le dernier homme sur terre…
Nuit noire, tiédeur de fin d’automne, libre de hanter les rues jusqu’à ce que le soleil éclaire son œuvre, Tom se dit que c’était le signe qu’il attendait depuis deux mois. Il sourit, pensant à son cahier, à la nuit qui allait être sienne, à ceux qui ne le verraient pas arriver, trop occupés à se dire qu’ils s’aimaient en se tenant la main. . La chasse était ouverte.
Il pouvait y réfléchir encore et encore, laisser jouer son imagination, rien ne remplacerait ce qu’il pensait découvrir de ses yeux. C’était comme tenter de penser a ce que pourrait être un Dali. Personne n’était capable de seulement imaginer le talent fou du peintre, ou ses compositions. Il fallait les voir pour y croire, il n’y avait pas d’autre option possible.
La curiosité morbide pouvait expliquer cela ; la plupart des êtres humains étaient esclaves de ce sentiment ; tous tendaient le cou à la vue d’un accident pour tenter d’apercevoir un peu de sang ou des boyaux. C’était là une façon malsaine de se sentir en vie, de se dire « Ce n’est pas encore mon heure
Jonah Wynn n’avait aucune idée de ce qui l’attendrait, une fois qu’il aurait frappé à la porte de Verne. Il ne savait qu’une chose : qu’il ne pourrait plus jamais trouver le sommeil s’il ne lui posait pas toutes les questions qui s’entrechoquaient dans son pauvre crâne tourmenté.
C’était chirurgical, précis, carré. En un mot professionnel. Même le sang coagulé de l’homme, qui tachait son pull gris, son jean et le sol couvert de riz, ne pouvait être considéré comme un acte de sauvagerie tant le rouge rubis rehaussait la scène autrement presque sobre.
Son humour plus que noir et décalé ne faisait souvent rire que lui, mais c’était déjà ça. C’était sa soupape de sécurité qui lui permettait de ne pas prendre tout ça trop à cœur. Chaque flic avait la sienne. Que ce soit l’alcool, la drogue, les femmes, les jeux d’argent et autres penchants biens humains, ils avaient tous besoin de cette valve pour relâcher la pression. Ceux qui n’en possédaient pas se faisaient sauter le caisson dans leur bureau et laissaient les autres nettoyer les morceaux de cervelle maculant le plafond. Alors ne valait-il pas mieux pouffer comme un demeuré à quelques pas de ces deux victimes, amusé par ses propres blagues de mauvais goût ?
Son humour plus que noir et décalé ne faisait souvent rire que lui, mais c’était déjà ça. C’était sa soupape de sécurité qui lui permettait de ne pas prendre tout ça trop à cœur. Chaque flic avait la sienne.