Offrir les clés indispensables pour comprendre des problématiques contemporaines liées à la science en faisant la part belle au débat, telle est l'ambition de ce cycle de conférences. La troisième saison se penche sur la question des origines. Cette troisième table ronde réunit des paléoanthropologues qui révèlent les dernières découvertes sur les origines et l'évolution de l'être humain.Avec Antoine Balzeau, paléoanthropologue, directeur de recherche au CNRS et au Muséum national d'histoire naturelle ; Silvana Condemi, paléoanthropologue, directrice de recherche au CNRS et à Aix-Marseille Université ; Jean-Jacques Hublin, paléoanthropologue, titulaire de la chaire de Paléoanthropologie au Collège de FranceDébat animé par Caroline Lachowsky, journaliste scientifique à RFI, enregistré le 13 avril 2023 à la BnF I François-Mitterrand.
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Un sapiens contemporain vivant dans un quotidien saturé d'écrans couverts d'icônes remplaçant ou limitant à un cadre les fonctions les plus élémentaires de la vie mentale (calculer, s'orienter, regarder, etc.) est-il plus intelligent qu'un de ses contemporains, pêcheur de son métier, qui connaît la mer et le poisson? Est-il plus intelligent qu'un aborigène qui maîtrise le système de parenté de son ethnie, l'un des plus compliqués du monde? Est-il plus intelligent que ne l'était un chasseur arctique du XIXe siècle qui parvenait à nourrir sa famille grâce à cent savoir-faire, tous d'une technicité dépassant de très loin ce dont est capable le premier bricoleur occidental venu? Non, mais l'échelle de l'intelligence présente à l'esprit des Occidentaux tendra pourtant à placer tout en haut l'employé de bureau à l'aise avec écrans, icônes, SMS et toutes les techniques actuelles de communication virtuelle.
Si un Néandertalien habillé prenait aujourd'hui le métro avec nous, nous ne ressentirions que peu d'étrangeté.
Sapiens, un animal (auto)domestiqué ?
Si nous développons autant ce thème de la domestication du loup, c'est qu'il signale et date sans doute la domestication de l'humain par... l'humain. L'homme est un loup pour l'homme, disaient les Anciens, et l'homme a inclus le loup dans la société, disions-nous. En fait, s'il a pu le faire, c'est bien parce qu'il a aussi inclus l'humain vivant en horde dans la société tribale largement plus coercitive, puisque sa cohérence suppose toutes sortes de contraintes. Lesquelles ? Par exemple, le fait de devoir travailler en commun, de respecter divers statuts sociaux, d'observer des rites, de ne pas transgresser des tabous, de partager des ressources selon des règles compliquées, d'observer des règles conjugales dans le cadre d'un système de parenté, etc. Nées de la pensée tribale, les nombreuses règles du mariage sont un exemple de ce type de contrôle sur la reproduction de ses membres : dans la plupart des religions, il est interdit de se marier en dehors de son groupe religieux. Ce n'est là qu'un exemple du contrôle strict du groupe humain sur l'individu.
Chaque membre d'une tribu (et encore plus dans une société plus complexe) est en quelque sorte un animal domestiqué par le groupe !
Le métissage, loin d’être un phénomène marginal, est au contraire le trait social crucial de tous les humains, qui leur a permis de s’adapter partout.
Ainsi, il est bien connu que 90 % des membres de la '' civilisation de la vache '' que sont les habitants originaires de l'Europe tempérée et nordique, digèrent le lactose, le principal sucre du lait de vache, alors que seulement 50 % des Européens méditerranéens (ils font partie de la '' civilisation de la chèvre '') le digèrent et que cette proportion tombe à 10 % chez les Chinois.
Les fouilles révèlent (chez Néandertal) des traces de systèmes culturels complexes et de haut savoir-faire techniques comparables à ceux des sapiens. C'est pourquoi le soupçon que le manque d'"intelligence" de Néandertal expliquerait sont déclin est très probablement spéciocentrique, en d'autres termes, induit par le préjugé inconscient que notre espèce est supérieure à toutes les autres.
Fortes d’un riche savoir-faire utile à la survie des bébés, les grands-mères se sont ainsi investies depuis très longtemps dans l’élevage de leurs petits-enfants. Cet investissement aurait été si efficace en termes de survie des bébés, qu’il a sélectionné des lignées humaines dont les femmes cessent d’être fertiles longtemps avant de mourir, ce qui explique en grande partie ce phénomène proprement humain qu’est une très longue ménopause (les guenons meurent en général assez vite après leur entrée en ménopause).
Cette tendance irrépressible du genre Homo à se métisser se lit de façon particulièrement précise dans le cas des sapiens. Aux époques paléolithiques, néolithiques, protohistoriques et historiques, ces humains généralistes se sont mélangés avec tous ceux qu’ils ont trouvés sur leur chemin ; chaque fois, ils ont commencé par adopter les techniques de leurs hôtes en s’intégrant à leurs groupes ; puis dans les cas où ils devenaient plus nombreux qu’eux, ils les ont absorbés.
l’Homo sapiens, une espèce panafricaine depuis 300 000 ans au moins, a commencé à se répandre en Eurasie à partir d’il y a 200 000 ans ; notre espèce a ensuite investi ce continent ; elle a achevé de mettre en extinction les autres formes humaines il y a seulement 40 000 ans.
Même si l'extinction des néandertaliens nous touche, c'est un phénomène banal à l'échelle de l'histoire évolutive de la planète. Elle est à mettre sur le même plan que la fin de l'écureuil roux d'Europe au Royaume Uni à la suite de l'arrivée de l'écureuil gris d'Amérique.