Shannon Messenger

- Oh.... Suis-je la seule ici à me retenir de scander : "un bisou !un bisou ! un bisou !" lança Ro à la cantonade.

Il brandit un petit flacon bleu équipé d'un pulvérisateur.
- Tiens, Elwin a préparé ça pour toi. Inhale.
Il vaporisa le produit près du nez de Sophie, qui inspira. Elle toussa, les sinus picotés par le remède.
- Comme au bon vieux temps, remarqua Fitz, la mine triste. Je m'asseyais juste ici pour t'administrer ta dose toutes les heures et te regarder reprendre lentement des couleurs en espérant que tu finisses par te réveiller.
- Vraiment ?
Il confirma d'un signe de tête.
Elle aurait rougi, si elle avait pu.
- Sauf que bien sûr tu t'es réveillée lors de l'une des rares fois où ma mère m'avait obligé à aller dormir.
Il sourit, les yeux toujours emplis de mélancolie.
- Je suis vraiment désolée, Fitz.
- Tu n'y es pour rien... même si tu sais t'y prendre pour me donner des crises cardiaques.

Dès qu'elle vit la Télépathe, Biana se mua en statue. Parfaitement immobile, c'est à peine si elle cillait ou respirait. Pire encore fut la réaction de Fitz, qui abattit sa bouteille de jus de luxuriante sur la table en aboyant :
- Que fais-tu ici ?
- Je... je suis juste venue voir comment vous alliez et si je pouvais aider.
- Non, tu en as assez fait, merci.
Aussi douloureux que soit le reproche, elle l'avait déjà entendu, et s'était tenue prête à l'encaisser de nouveau. Avant de venir, elle avait un instant songé à leur révéler avoir peut-être découvert le moyen de soigner Alden, mais elle ne pouvait décemment leur donner de l'espoir sans être certaine de sa réussite. Elle opta donc pour la réponse qu'elle avait préparée, en se rappelant qu'elle était venue les soutenir.
- Si tu veux me tenir responsable, vas-y, je t'en prie...
- Oh, je ne savait pas que j'avais besoin de ta permission ! l'interrompit Fitz.
Sophie l'ignora et s'en tint au discours qu'elle avait répété en chemin.
- Sache simplement que j'ai conscience de tout ce que tu traverses, et... si m'accuser peut te soulager un peu... fais le. Je ne t'en tiendrai pas rigueur. Je comprends.
- Oh, vraiment ?
Avec un rire, il se tourna vers Biana, qui ne bougeait toujours pas d'un pouce.
- Alors comme ça, tu sais vraiment pourquoi je suis fâché ?
Non, mais elle pouvait deviner.
- Parce que je l'ai accompagné à Exil à ta place, et que tu penses que les choses se seraient déroulées autrement avec toi.
- Tu as tout faux. C'est parce que tu l'as accompagné sans lui signaler que tu avais des problèmes cérébraux !
- Pardon ?
Il se rapprocha, menaçant.
- Tu me l'avais dit ce jour-là... quand tu as clignoté de façon étrange. Tu m'avais dit que tu souffrais de migraine, et que tu en parlerais à Elwin. Mais je lui ai posé la question. Il n'en avait aucune idée. Pas avant que tu ne reviennes, tout évaporée ! Et je parie que mon père non plus n'était pas au courant, je me trompe ?
- Non, marmonna Sophie, qui essayait de faire le tri entre toutes les interrogations, réminiscences et affreuses théories qui s'entrechoquaient dans son esprit.
Avait-il raison ? Était-ce grave ?
- C'est bien ce que je pensais, grommela Fitz. Tu l'as laissé t'emmener, mettre sa vie entre tes mains, sans jamais l'avertir qu'un risque existait.
- Je lui ai dit que je ne voulais pas le faire, mais, selon lui, je n'avais pas le choix.
- Oui, eh bien, peut-être que s'il avait su que tu étais défectueuse, il aurait tenu un autre discours !
Le mot lui fit l'effet d'une gifle.
Défectueuse.
L'était-elle vraiment ?

- Difficile à encaisser, n'est-ce pas ?
   Elle sursauta. Elle n'avait pas remarqué la présence de Fitz, méconnaissable avec ses cheveux en pagaille et ses yeux bouffis.
   Il s'assit à côté d'elle, si près que leurs bras s'effleurèrent. Le cœur de la jeune fille se mit à battre si fort qu'elle entendit à peine son ami murmurer :
     - Ca paraît tellement grave, cette fois...
     - Je sais.
     - Que s'est-il passé pendant votre mission, Sophie ? Et ne me dis pas que c'est confidentiel.
     - Ca l'est pourtant.
     - On s'en fiche ! Mon père est malade !
[...]
- Dis-nous ce que tu sais ! hurla Fitz. Tu ne veux pas l'aider ?
- Bien sûr que si ! Comment peux-tu croire un instant...
Elle se calma d'une profonde inspiration. Fitz était en colère, angoissé. Elle aussi, alors même qu'Alden n'était pas son père.
Peut-être ces informations pourraient-elles les aider ?
- Que veux-tu savoir ? transmit-elle à Fitz, qui sursauta lorsque sa voix lui emplit l'esprit.
- Tout et n'importe quoi. (Il transmettait plus fort que jamais.) Que fabriquiez-vous là-bas ?
Sophie soupira. Pourvu qu'elle ne viole pas quelque loi capitale...
- Nous sommes allés briser la mémoire de Fintan.
- QUOI ? (Une main sur la figure, il tenta de digérer l'information.) Dis-moi que tu ne lui as pas servi de guide.
- J'ai tenté de lui en dissuader. Mais il a insisté pour que ce soit moi.
Fitz secoua la tête.
- Il faut toujours que ce soit toi.
- Que veux-tu dire ?
- Rien.
Elle pensa à lui parler du bracelet et de l'indice, mais quelque chose lui disait que ça ne ferait qu'empirer la situation.
- Un incident est survenu pendant le brise-mémoire, c'est ça ? demanda le jeune homme.
Elle se frotta la main au souvenir des brûlures.
- Fintan a rompu notre concentration en nous brûlant quand nous nous sommes approchés du souvenir qu'il protégeait. J'ai réussi à me retirer de justesse. Mais Alden s'est perdu...
- Il s'est QUOI ? hurla Fitz, sautant sur ses pieds.
- Oh, vous avez enfin décidez de m'inclure dans votre conversation secrète ? lança Alvar lorsque Sophie se leva à son tour. Vous me mettez au parfum ?
- Sophie a perdu la conscience de papa pendant un brise-mémoire, expliqua Fitz d'une voix aussi glaciale que son regard. Comment as-tu oser nous le cacher ?
- Mais parce que je l'ai ramené !
- On ne peut pas ramener quelqu'un qu'on a perdu.
- Alors comment expliques-tu qu'il allait bien hier ?
- Je n'en sais rien, mais ce n'est plus le cas !
- Je n'y suis pour rien !
Elle avait parlé avec toute la conviction dont elle était capable. Mais au fond d'elle, la jeune fille se demandait si c'était vrai.
- D'accord... Minute, tous les deux, lança Alvar, qui s'immisça entre eux. Comme je ne suis pas Télépathe, je ne suis pas aussi au fait que vous sur ce genre de sujet. Mais je croyais que quand on était perdu, c'était définitif.
- C'est le cas, aboya Fitz.
- Alors comment papa a-t-il pu revenir à la maison ensuite ? Quand on s'est parlé hier, il semblait parfaitement normal.
- Je n'en sais rien, admit son frère en se pinçant l'arrête du nez. Mais tu ne vas pas me dire que ça n'a rien à voir avec son état actuel.
[...]
- Que fais-tu ? lui demandèrent Della et Elwin d'une seule voix.
- Je sonde son esprit.
- Pour quoi faire ? demanda le médecin.
- Quelque chose a mal tourné pendant le brise-mémoire qu'il a pratiqué avec Sophie il y a quelque jours. J'essaie de voir si le problème est dans sa tête.
- Ce serait plutôt à Sophie de le faire, remarqua Alvar à l'instant où son cadet appliquait les mains sur les tempes d'Alden.
- Elle en a assez fait.
La fureur du jeune homme frappa Sophie de plein fouet, mais Alvar la poussa à avancer.
- Je suis sérieux, dit-il, attrapant Fitz par les épaules pour le faire reculer. Je sais que tu veux aider... mais l'esprit de Sophie est plus puissant que le tien.
- Pitié, ce n'est qu'une gamine !
Les yeux rivés au sol, Sophie tenta en vain de retenir ses larmes en espérant que personne ne les remarque.
- Fitz, intervint Elwin après un silence gênant. Je sais que tu es bouleversé par l'état de ton père...
- Alors laisse-moi l'aider !
- Je ferai peut-être mieux de partir, chuchota Sophie.
Elle s'apprêtait à sortir, mais Alvar lui bloqua le passage.
- Nous pourrions avoir besoin de toi.
- Non ! aboya Fitz.

Ne me laissez pas , je vous en supplie ( sophie )

Elle se sentait enfin chez elle ( Sophie )

Cette journée a été horrible pour moi . Mais tu avais raison , hier quand tu disait que ma place était ici . ( Sophie )

Cette nuit-là, Sophie rêva que les elfes des biscuits la retenaient en otage jusqu’à ce qu’elle ait maîtrisé toutes leurs recettes. Puis elle leur disait préférer les Oreo, et ils essayaient alors de la noyer dans un grand chaudron de caramel mou. Elle se réveilla en sueur et décida que le sommeil, c’était surfait.

Elle manipula le disque, ordonnant à ses mains de dévisser le couvercle comme Fitz le lui avait indiqué. Mais elle en était incapable, elle ne pouvait pas partir sur un mensonge :
- Surtout... Surtout n'oubliez pas que je vous aime. Je vous serai éternellement reconnaissante pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je dois m'en aller maintenant, mais je ne vous oublierai jamais.
La vue brouillée par les larmes, elle retenait sa respiration et tordait le disque entre ses mains. L'air s'engouffra entre ses doigts à mesure que le gaz s'échappait, et elle le lâcha avant de reculer. Elle parvint à compter jusqu'à trente (pour laisser le temps au gaz de se dissiper) avant de reprendre son souffle et de s'écrouler au sol le visage enfoui dans ses mains.

« Le voyage avait été long et difficile, mais elle savait enfin où était sa place. »

« Elle ne se laisserait plus contrôler par la peur. »

« Roulée en boule, elle pleura tout ce qu’elle avait perdue. Mais une fois endormie, elle rêva d’une vie remplie de joies et d’amis, où elle était enfin à sa place. »

« A présent, sa chambre lui paraissait un désert. Peut-être parce qu’elle-même se sentait comme une coquille vide. »

« Tout lui semblait appartenir à une autre personne – une autre vie. »

« L’ignorance était plus sûre. »

« Si nous t’effaçons, tu ne leur manqueras pas, ils ne sauront même pas que tu existes. Cette douleur ne sera-t-elle pas trop dure à supporter ? »

« Elle sentit sa gorge se nouer quand les mots s’envolèrent, comme s’ils emportaient un peu d’elle au passage. »

« Son cerveau semblait bourré à craquer d’interrogations sans réponses. »

« Elle allait devoir apprendre à garder son calme, à maîtriser ses frayeurs. »

« Mais elle savait que c’était la vérité. Mieux, elle le sentait. Comme si la pièce manquante du puzzle de son identité était enfin tombée en place. »