Citations de Serge Pey (106)
Quand je parle
de tes poèmes
à un imbécile
c’est comme
si je pissais
face au vent
en voulant que le vent
change de direction
Les imbéciles sont
vraiment nombreux
sur terre
Sûrement plus nombreux
que les poèmes
que tu écris
Un imbécile ne porte
pas de montre
mais décide de l’heure
quand on parle de toi
Un imbécile
peut diviser par zéro
ton espérance
Un imbécile peut faire
pleurer les oignons
quand il parle
de son suicide
en affirmant
qu’on l’assassine
Un imbécile
feint d’ignorer
la vérité en truquant
une photo de la poésie
Pour un imbécile
mille exemples
ne servent à rien
et un seul mensonge
prouve tout
Un imbécile peut dire
qu’un monstre
recrute des milliers d’anges
dans son armée
Un imbécile peut déclarer
que ce texte
n’est pas un poème
Quand la tartine
d’un poète tombe
l’imbécile croit que la confiture
change de côté
quelque part
dans un autre poème
ou dans le monde
Quand le monde tombe
l’imbécile ne le sait pas
Ma grand-mère disait
Un vrai poème
ne s'écrit pas en vers
quand il veut mettre
le monde à l'envers
Ma grand-mère disait
Quand le ciel a le feu
au cul
cela s'appelle un coucher de soleil.
Statistiquement,
parmi les mille lumières,
quelqu'un
attend
quelqu'un,
puis éteint la lampe.
Un poème est toujours
un souvenir
qu'on n'a pas vécu
mais qui a la force
d'une éternité
dans le silence
qui remplace le bois
dans le feu
quand nous n'avons plus
de bois
La liberté libérée / est la condition / du poème / et de l’insurrection // On ne sait jamais / ce que devient / une liberté libérée / car elle ne devient pas / Elle est
Proverbes
Un épi est tout le blé
Une plume un oiseau vivant qui chante
Un homme de chair est un homme de rêve
La vérité est indivise
Le tonnerre proclame les hauts faits de l'éclair
Une femme rêvée s’incarne toujours dans une forme aimée
L’arbre endormi profère des oracles verts
L'eau parle sans cesse et jamais ne se répète
Dans la balance des paupières le songe ne pèse pas
Dans la balance d'une langue qui délire
La langue d'une femme
L’oiseau du paradis ouvre les ailes.
(p. 84)
Sans effort il bascula la porte et me fit signe de la saisir par une extrémité. D'un seul mouvement, nous la déposâmes sur les tréteaux.
Papa, en se retournant vers nous, déclara alors fièrement:
- Voilà maintenant nous avons une table!
LA MONNAIE D'UNE ÉTOILE
En chantant
on se sépare
sans bouger les lèvres
de ce qui nous embrasse
car nous avons faim d'avoir faim
et nous vengeons le vent
d'être la feuille
qu'il n'a pas choisi
de faire tomber
En jetant
nos yeux dans le ciel
nous voyons l'infini
marcher comme un mendiant aveugle
La nuit lui donne parfois
et avant nous
la monnaie d’une étoile
Ce n'était pas les mots ni les choses qui firent de lui un homme mais les trous entre les mots et les choses. Quand quelqu'un parlait, il ne voyait que les trous ouverts qui entouraient ses mots.
Je m'arrête un instant
pour boire un verre de petit brouillard
avec mon père
que j'arrache du monument aux morts
parmi les noms en poussière
sur la longue liste du feu.
7 (p 58)
Papa nous explique que les vrais morts sont parmi nous, et qu'en écrivant à un poète, on devient vivant comme ses poèmes.
Les portes nous abandonnent quand on ne sait plus entrer dans leur maison. Les portes nous aiment quand on ne les ferme pas
Quelqu'un tire un coup de silence dans l'eau
et compte les cercles évadés du centre
Dans un avenir derrière nous
un aboiement nous retient
Nous décrivons simplement le paysage
On boit un verre de vieux ciel
On trinque avec le petit dieu des fourmis
Un arbre dort dans ses branches
sans délacer ses souliers
183
extrait 3
La poésie
ne vient pas de notre monde
mais si loin de lui
et de nos yeux
qu'elle nous saisit
les pieds
par-derrière
et nous pousse
dans le dos
parfois pour nous tuer
Nous avions inventé
une table
qui n'invitait que des chaises
à s'asseoir autour d'elle
où parfois un d'entre nous
se mettait debout
Un chant s'effondre
dans la gorge d'un arbre
ou le contraire :
un arbre s'effondre
dans la gorge d'un chant
Le long de la rivière
nous guérissons
les yeux des phoques
Ils avaient des étoiles
greffées à leurs yeux
par la nuit
qui nous faisaient pleurer
Bâtons de la récitation du feu
(extrait)
1
Notre table est faite
du petit bois des morts
et mange l'enfant d'un jour
endormi dans son assiette
Parfois dans son sommeil
cet enfant mange aussi la table
avec la patience d'un mort
pendant que des mots
qu'il n'a jamais dits
se sèment dans le ciel
en ouvrant des destins
Notre table abandonne son
nom
quand un enfant du jour
donne à manger
à un enfant de la nuit
à travers les miroirs qui les
sépare
Mais nous voici seuls
sous la lumière d'une lampe
en posant entre les deux
enfants
des assiettes de pain vide
et de sel...
Que le mouvement
qui unit un saumon et une cascade
devienne un des éléments théoriques
de la lutte du mouvement
dans une praxis de la libération
Que la violence d'une cascade
est une métaphore physique
de la société générale de l'oppression
Qu'un saumon qui remonte une cascade
illustre le défi du mouvement de libération
contre la société globale de l'oppression
Que la disproportion qui existe
entre le poids fini d'un saumon
et
le poids infini d'une cascade
est similaire à celle qui sépare
un mouvement de libération
et
la société globale de l'oppression
Que le saumon est un poisson révolutionnaire
Qu'un saumon et une cascade
incarnent deux moments d'une
même contradiction
Que le possible (le saumon) et
l'impossible (la cascade)
incarnent les deux termes
de la résolution de cette contradiction
Que la question de comment
dépasser ce qui pèse un million
de fois plus que nous-même
ou comment vaincre
un état moderne organisé pour
la répression
trouve sa réponse dans la relation
entre un poisson et une cascade
114
Extrait 3
La poésie crapuleuse
monte sur la scène
car dans la véritable
Seine
nos couloirs
se sont suicidés
depuis longtemps
Œufs pourris
panneaux de sens interdit
porcs affamés mangeant
de l’or
La nuit verse un alcool
brûlant sur la tête inclinée
de l’épaisseur
TRAITÉ À L'USAGE DES CHEMINS
ET DES BÂTONS
Décheminer
la terre
Décheminer
le ciel
Le double
de nos mains
tournent dans la terre
Une étoile
tombe
dans un poing de la
lumière
Le feu hésite en
devinant la poche du
voleur
pleine de ciel et de terre
Parole du puits où nous
accès avec la terre
Parole d'un arbre qui
devient toute la lumière
p.9
Que nous retournions
horizontalement
les barreaux verticaux
de nos cellules
pour en faire
les barreaux
d'une échelle
que nous dresserons
contre les murs
de notre prison
Ce wagon a transporté du bétail. Il sent le purin et la paille. Je me dis que nous sommes aussi du bétail et que c'est justement la différence entre le bétail et nous qui fonde l'espérance. Pas la survie. Le bétail lui non plus ne veut pas mourir comme la majorité des camarades de ce wagon. Mais la différence entre le bétail et nous est que nous ne nous échappons pas, mais que nous nous évadons.
Ce n'est pas le fait de parler ou d'articuler des mots qui établit notre différence, mais de mettre en alliance cette parole, avec quelquechose qu'elle ne connaît pas. Parler c'est espérer, sinon nos paroles sont des meuglements. (p.121/122)