Citations de Sébastien Raizer (43)
Les nuits étaient rouges comme l’acier en fusion qui éclairait de l’intérieur les carcasses noires des hauts-fourneaux.
Martèlements, sifflements, hurlements industriels dans son crâne. Les nuits étaient rouges des fusées éclairantes brandies au sommet du crassier, qui illuminaient les visages charbonneux de la colère et du désespoir, les yeux luisants de l’angoisse.
L’odeur de poudre, de sulfures et de méthane lui prenait la gorge, il aurait fallu boire quelque chose, maîtriser ces tremblements.
Les nuits étaient rouges des incendies allumés sur l’autoroute. Les cornes de brume étouffaient le vacarme des hélicoptères dont les carapaces d’acier brillaient sous la lumière de la lune. Les gyrophares de la police et des ambulances étaient tenus à distance par des fusils de chasse et des lances-pierres. Les gaz lacrymogènes formaient une brume sanguine qui dansait autour des fumées noires et orange des pneus de tracteurs et de semi-remorques en feu.
"Ils ont tué le tissu social, la conscience de classe, la solidarité, la culture ouvrière, la notion de révolte. Ils nous ont hypnotisés par la peur jusqu’à nous faire oublier notre propre pouvoir. Il n’y a plus rien.”
Et soudain il s'était rendu compte que cela faisait longtemps qu'il était seul.
Il s'était aussitôt demandé depuis combien de temps exactement, mais n'avait obtenu aucune réponse. Tout est perdu, c'est ce que son instinct lui avait dit, avec une clarté irrévocable. Seulement ces trous mots: tout est perdu. Le reste était incompréhensible.
J'observais alors des inconnus et mon pressentiment devint une évidence : tous les gens, sans exception, étaient aussi solitaires que les étoiles du ciel nocturne, aussi inaccessible et silencieux.
Naître à un instant T. Mourir à un instant T + x. Entre les deux, vivre. C’est aussi simple que cela. On accepte comme allant de soi le premier événement tandis qu’on nie de toutes ses forces le second. Toute l’incapacité à vivre vient de là. Vivre, c’est d’abord accepter de mourir.
Et soudain, il fut saisi d’un terrible sentiment d’urgence. Tout s’écroulait dans le mensonge et l’hystérie générale, dans l’aveuglement et le désespoir, le meurtre, me suicide et la guerre. Partout.
Il ne parvenait pas à se l’expliquer de façon rationnelle, mais il savait que ce monde somnambule poursuivait son inexorable errance vers la nuit, le feu et la mort.
Il considéra ses chats. Un subtil mélange de profondeur et d’indifférence brillait dans leurs pupilles changeantes. Les chats profitaient de chaque crépuscule et de chaque aurore, et mourraient quand viendrait la mort. Le reste, tout le reste, était insensé et grotesque. Même la question de donner un sens à son existence dans un monde dépourvu de sens. Car la vie, ne compte que pour elle même. La seule jauge de la vie, c’est le vivant, et rien d’autre. N’est-ce-pas ?
J'étais le seul au monde à connaître et à souffrir de l'impossibilité et de l'incapacité de vivre, comme j'étais le seul à savoir la canaliser, l'assouplir, l'assouvir, la déguiser en normalité apparente, afin de rendre l'air autour de moi respirable, les choses visibles, les gens supportables - ni difformes, ni monstrueux, ni à moitié brûlés et à moitié gelés, ni fous de chagrin: juste supportables.
la promenade reste identique et recommence sans cesse, toujours différente.
En règle générale et dans votre situation particulière, le profit pour seule boussole, c’est aller droit à la mort. L’économie comme finalité et non comme moyen, c’est un suicide pur et simple. Il existe une autre voie que la paranoïa et la destruction, Allen.
Dans un sarcasme qui l’amusait, il aimait se dire que tout comme Dieu, il n’existait pas : les gens qu’il employait ignoraient travailler pour un système inédit nommé Mezzo Grigio et n’avaient jamais entendu parler de Nicola Serra ni de la ‘Ndrangheta. Toutefois, Santo orientait chacun de ces salariés vers des banques en ligne, des sociétés d’assurances, de prêt et de conseils en investissement détenues par sa famille. Il avait développé son réseau d’hommes de confiance en même temps qu’il n’avait cessé d‘étendre son influence invisible.
Ce qui se profilait, c’était la vraie vie vivante. La vie pleinement vivante, l’être inépuisable dans l’infini du monde, et cette sensation l’accaparait tout entier.
Puis il s’assit pour observer les méandres de la rivière. Ils figuraient le destin de toutes choses et de toutes formes de vie. Des courants, des écueils, des coudes, des zones alluvionnaires. Et une unique force qui menait le tout vers la mort. Le grand tout de l’océan et du néant.
La rivière apathique qu’il avait sous les yeux était un lacet de boue, de métaux lourds, d’azote, de produits phytosanitaires et de merde, sur lequel scintillait le soleil.
Keller l'avait recadré dès le début, poliment et inutilement. Il fallait passer aux choses sérieuses et ce déjeuner provoqué par Faas en était l'occasion - d'autant que l'albinos lui-même semblait désireux de monter d'un cran dans ce rapport de force.
"Hé, lèche ce bout de poiscaille tout lisse en matant la serveuse, dit Faas. Sérieux, ça te fait penser à quoi ?"
Keller arqua les sourcils et se dit que finalement, les choses étaient peut-être bien plus simples qu'il ne l'imaginait : Faas était tout bonnement con comme un cintre, pas besoin d'aller chercher plus loin.
Je parvenais - ou du moins le croyais-je absolument - à paraître normal. J'étais le seul à être au fait de mon inexistence, de mon invisibilité, de ma tragique absence au monde qui revêtait, grâce à mon subterfuge miraculeux et magique, les apparences d'une présence fade, foncièrement banale, insipide, silencieuse.
La vipère ferma à nouveau les yeux et revit toutes les étapes de l'alignement de Karen. Il recommença plusieurs fois, étape par étape, détaillant l'ensemble du processus auquel il avait soumis celle qui allait devenir l'alignée zéro.
Et il comprit. L'évidence de l'explication éclairait la loi de l'alignement elle-même.
L'élève avait tout simplement dépassé le maître. Karen avait porté au point le plus haut son degré d'alignement. Jusqu'à son équinoxe.
L'enfant pensa à la solitude et à la mort, qui étaient les deux seules armes qui peuplaient désormais sa vie. Ce serait difficile. Alors il comprit qu'il venait d'entendre la voix de l'unique survie possible.
Il fallait devenir un être au-delà du réel et du simulacre, dans une réalité de son choix et de son invention. Au-delà des mots et des mensonges.
Et pour cela, il était prêt à se faire dépouiller de toute réalité. Comme il l'avait toujours secrètement souhaité, en définitive.
Partout où Chatov a effectué des missions, c’est la même chose. Pauvreté, ignorance et violence systémiques : les stigmates de la défaite. Le cynisme et l’humiliation, c’est cadeau, grince-t-il pour étouffer la pensée qui lui vrille les tripes : plus nous générons de pauvreté, d’ignorance et de violence ailleurs, plus ces maux se répandent chez nous, dans la Nation under God.
Peu après leur rencontre, Dimitri avait été happé dans une mécanique de mort qui avait transformé son passé en champ de ruines et rendu leur présent invivable. Il avait été témoin d’atrocités difficiles à décrire et fait les meilleurs choix possible dans une guerre qui n’était pas la sienne. Pour s’en sortir, il avait tué trois hommes.
« Tu sais que le trafic de migrants concurrence le trafic de drogues ? » demande Santo.
Il observe un grand chêne à moitié dévasté qui tend de nouvelles branches vers le soleil de midi.
« Qu’est-ce que cela dit de l’humanité ? »