Derrière toute chose exquise, un roman à la fois sentimental et cruel, qui tisse des liens tragiques entre la beauté et la mort.
Mais écrire est de toute façon un risque. Alors, lire doit en être un de même.
Quand j’écris, chaque mot est une caresse, chaque idée un baiser, chaque phrase une étreinte.
C’est un moment entier, un moment dense, concret, étranger, que ce moment de l’écriture.
Car l’écriture vous possède tout en vous laissant croire qu’elle vous appartient. Et comme la chair a son plaisir, l’esprit connaît en elle une fulgurance exquise qui l’éloigne un instant puis le rejette à terre, vidé et comblé à la fois.
Mais n'est-ce pas grâce à une toute autre force que la femme incite l'homme à créer ? Simplement par le fait qu'elle, de par sa nature, dispose de ce pouvoir de créer ; pouvoir que l’homme n'a pas.
Pour quelle raison était-elle toujours en vie ? Elle ne vivait pas dans un film ; sa peur, la mort de Grégoire, le feu de forêt, les deux hommes assassinés n’avaient rien de fictif. Malgré cela, il lui semblait de plus en plus évident qu’elle jouait, sans en connaître une seule ligne, un scénario qui stipulait précisément qu’elle ne devait pas mourir. Mais qui en était l’auteur ? Pourquoi voulait-il à tout prix le garder en vie ? Et jusqu’à quand cette contrainte de l’intrigue resterait-elle valable ?
Anne voyait sa vie comme celle de la planèze, quand le vent froid du nord l’engloutissait. Il venait, conquérant ; interdisait d'attendre, interdisait de voir, interdisait de vivre. Quand il s'annonce, n'écoutez rien d'autre que les ordres de sa voix plaintive ; elle couvrira tout : les cris affolés des bêtes, le choc des armes des soldats ou des outils des serfs. Même les cantiques des moines ne méritent pas, pour ce prince implacable, le respect. [...] Prisonnière de la neige comme elle l'était à chaque hiver, comment la planèze ne pouvait-elle pas perdre jusqu'au sens même de ce mot : espérance ?
"Ami" est un titre qui ne se perd pas ; il peut seulement s'oublier.
Il ne faut pas donner aux auteurs de fiction plus de poids qu'ils n'en ont. L'idéologue pousse à l'action. Le romancier pousse au plaisir.
Je me retourne,
scrute toute la place, à la recherche d'un mouvement,
d'un bruit qui pourrait me signaler où se trouvent mes enfants,
vers où on les emporte.
Mais la nuit ne me renvoie que le silence.
p 15
Et de toute façon, on est tous comme ça les humains: à dix ans, on vit dans le rêve, à vingt, dans l'illusion, à trente, dans les projets et à quarante, dans les regrets.
La lectrice du train a dû sentir ma présence. Son regard quitte ma chambre noire et se tourne vers moi. A ma vue, elle sursaute, arrondit une bouche d'enfant fautive. Elle éteint aussitôt la lumière de la petite pièce sur le seuil de laquelle elle se tient. L'obscurité nous unit, comme nous avait unis, au cours des minutes précédents, la contemplation de la beauté - cette beauté qui a nourri chacun de mes jours pendant toutes ces années; cette beauté qui me paraît subitement médiocre en comparaison de cette femme unique, inégalable, dont le regard, posé sur ces trente et un visages de mon passé, les a rendus plus beaux encore.
A-t-elle compris, à la façon dont j'avais saisi la clarté de chacune de ces femmes, l'amour que je leur avais porté? En a-t-elle déduit, du fait qu'elle leur ressemble tant, mais qu'elle est bien plus belle encore qu'elles toutes, que je l'aime aussi, mais plus encore qu'elles toutes?