Arkady la protégeait de tous les dangers et en contrepartie, elle le protégeait de lui-même. Sans elle, il serait perdu parce qu'il faisait partie de ceux qui ont besoin d'être guidés.
Leur duo fonctionnait à merveille depuis cinq ans. Magda avait toujours été le cerveau et Arkady était le bras ou plutôt, la main qui tenait l'arme. Pour elle, il avait éliminé des ennemis, beaucoup d'ennemis. Elle était consciente d'en avoir fait un tueur froid et implacable, mais elle n'avait pas eu le choix et elle n'en éprouvait aucun remords. De toute façon, personne parmi les survivants du ghetto n'avait eu le choix.
Sa propre guerre venait de commencer aujourd'hui parce que le destin lui avait confié une mission sacrée, celle de sauver Alicja, sa soeur mystérieusement dont elle refusai catégoriquement d'envisager la mort.
Etre juive ne se limitait pas à une question de religion de son point de vue. Ce n'était pas non plus une race. C'était avant tout une culture, une histoire, des principes moraux et un mode de vie auxquels elle était profondément attachée. Or la haine et la vengeance n'étaient pas des valeurs juives.
(...) Magda était donc convaincue que ce ne serait pas en entassant ses anciens ennemis dans des chambres à gaz qu'elle trouverait le salut de son âme ; même si ces bourreaux auraient pourtant mérité de subir le sinistre sort qu'ils avaient eux-même infligé au peuple juif.
_ Petite soeur, nous avons maintenant une couche de sang si épaisse sur les mains qu'aucun savon ne pourra jamais la faire disparaître.
_ Je sais Arkady... J'en souffre aussi et je comprends que u sois lassé de te battre, mais il nous faudra continuer encore et encore.
_ Pourquoi ? Au nom de quoi ? Pour nos parents que nous avons déjà vengés plus de cent fois ou pour une soeur qui ne nous aimait même pas ? Ou bien peut-être pour la cause juive alors que nous avons tous les deux perdu notre fois en Yahvé et que le ghetto n'existe plus ?
_ Pour nous-mêmes, mon frère, juste pour nous-mêmes. Si nous baissions les bras nous reconnaîtrions notre défaite.
Mais surtout, un nouveau don était récemment apparu chez cette sauvageonne n'ayant jamais contemplé nul autre visage humain que celui de Selena. Elle semblait connaitre instinctivement le langage des animaux.
Il avait été formé pour tout remarquer, tout décrypter, cela faisait même de lui le meilleur dans sa profession de tueur à gages. Rien ne lui échappait, un geste, un mot, une intonation de voix et il savait ce que sa future victime ressentait. C’était cette faculté presque animale qui lui avait toujours permis de s’adapter à toutes les situations et d’anticiper les réactions de ses cibles.
La seconde des trois vies de Magda débuta ce jour-là, dans le chaos, mais pas dans les larmes.
Elle était très belle et son visage n’affichait aucune expression particulière, mais il pressentait une sorte de fêlure en elle. Cette fille n’était pas heureuse ou elle était profondément triste, il en était maintenant convaincu. Il avait toujours été très fort pour détecter ce genre de choses. Elle serait une proie parfaite pour cette nuit, les femmes qui venaient de se faire larguer ou qui éprouvaient de la solitude étaient souvent très vulnérables. Un peu d’humour, une conversation légère et quelques compliments suffisaient pour percer leur carapace, la plupart du temps.
La clientèle des palaces parisiens était si cosmopolite qu’il aurait apprécié de découvrir si cette jeune femme encore plus magnifique de plus près était française ou étrangère.
Smithson était un homme patient. Se précipiter sur une fille seule était l’une des meilleures façons de passer pour un dragueur invétéré. Il fallait savoir observer une possible conquête pour adopter d’emblée la bonne attitude une fois qu’on l’approchait.
Ici, les fauteuils qu’éclairaient des rangées de spots à la lumière tamisée étaient réservés à l’élite sociale. On ne risquait pas d’y croiser des touristes sans le sou avec leurs sales mômes ou d’avoir à la table basse d’à côté une bande de cadres en goguette et braillant plus fort les uns que les autres.