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Citations de Rivers Solomon (103)


Amaba n'aimait pas ce qu'elle appelait "ces sottises". Yetu était le seul dieu qu'elle adorait, l'Histoire était sa seule religion, et sa seule dévotion consistait à en assurer la préservation à l'intérieur de son enfant.
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Bouger, s'agiter était le seul moyen pour elle de se débarrasser de cette énergie sauvage qui brûlait en elle comme un cancer électrique.
- Cette folie existe vraiment , dit Yetu.
Elle avait la tête qui tournait. Ses paroles étaient étouffées par le tourbillon qui l'entourait.
- si je suis comme ça, reprit-elle, c'est votre faute. Je porte le fardeau des souvenances pour que vous soyez libres. Montrez votre gratitude! C'est un fardeau.
Amaba arriva du haut et se jeta sur Yetu. Pour l'immobiliser, elle lui entoura le torse de ses nageoires, et enroula sa queue autour de celle de son enfant.
- Calme, ma petite. Calme-toi.
- Tu me demandes toujours de te dire pourquoi je fais ce que je fais, mais quand je te réponds, tu ne m'entends pas. C'est ma malédiction, c'est ça? Personne ne peut me comprendre? Je ne sais même pas si je suis vivante. Est-ce moi que tu tiens, Amaba? Ou un cadavre?
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Que signifie naître de la mort ?
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Aster had ignored her mother's attempts at communication for so long, and here it was, another chance. (...) If there was another world where Ancestors walked freely, that was all well and good, but what did it have to do with her? She couldn't see it. She couldn't interact with it. The Spirit World was as much a myth as a planet or a real star.
Signs, however, didn't rely on the existence of the supernatural. History wanted to be remembered. Evidence hated having to live in dark hidden places and devoted itself to resurfacing. Truth was messy. The natural order of an entropic universe was to tend toward it.
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Amaba secoua vigoureusement la tête, projetant une onde contre la peau de Yetu. Elle aurait presque préféré être saisie d'une souvenance, car parfois, le seul moyen d'échapper à la douleur est d'éprouver une autre forme de douleur.
- Mais pourquoi tu me dis ces choses atroces ? demanda son amaba.
- Parce qu'elles sont vraies.
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Tu as fait ce qu’il fallait faire pour survivre. Et survivre, c’est le meilleur moyen de rendre hommage aux ancêtres, plus que le respect de n’importe quelle tradition.
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Jadis, il y avait bien longtemps, Theo avait procédé à l’ablation de l’utérus d’Aster. Il lui avait fait respirer un air qui n’était pas de l’air et quand elle s’était réveillée, seul le fantôme d’un organe existait encore en elle. Ses prières aux Ancêtres avaient été exaucées.
Théo, cependant, avait dû trahir le serment qu’il avait prononcé quand, à l’âge de treize ans, il s’était joint au Saint Ordre de la Garde de la Souveraineté. Des médecins avaient examiné les organes génitaux d’Aster et déterminé qu’elle pouvait avoir des enfants, quoiqu’elle provienne d’une « lignée raciale déficiente ». À côté de son nom, sur les registres du Matilda, était apposé le petit symbole qui signifiait : « apte à la reproduction ».
Il existait certes, des méthodes de contraception moins radicales, mais Aster aimait bien l’irréversibilité de l’hystérectomie : on se débarrasse du problème comme d’un cancer.
Quand il était devenu évident qu’elle était stérile, on avait demandé à d’autres médecins de l’examiner à nouveau. Theo les avait fait expulser de la Garde. Puis il avait stérilisé, par des moyens chimiques, tous les hommes des ponts supérieurs qui étaient inscrits dans les registres du programme de reproduction, sous prétexte de leur administrer de simples vaccins.
La Garde lui avait adressé des reproches au sujet de ce qui était évidemment une campagne délibérée. Sans jamais avouer quoi que ce soit, Theo avait affirmé avoir reçu un message de la Divine Providence et que les Cieux trouvaient abject le programme de reproduction du Matilda. S’il n’était pas amendé, l’épidémie d’impuissance continuerait à sévir et risquait de toucher tous les hommes des ponts supérieurs. Il était, tout compte fait, très courageux.
Le matin suivant, le Souverain Nicolaée avait rendu un décret qui interdisait « d’interférer dans l’ordre naturel de la reproduction humaine ».
Aster supposait que le Chirurgien avait fait allusion à cet épisode, quand il avait dit l’avoir toujours aidée et protégée. Sa soudaine indifférence envers elle n’était guère conforme à son caractère.
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– Maman ? a demandé Agnès, les mains jointes derrière le dos.
Elle avait lu, dans le dernier numéro du magazine Lure, que se tenir droite avait un effet amincissant, et cette idée lui avait plu immensément – comme si ses flancs se faisaient raboter, peu à peu, jusqu’à ce qu’il ne reste plus d’elle qu’un étroit ruban. Elle ne serait plus une fille avec un corps, elle serait une ligne, et une ligne est comme une corde, et une corde peut étrangler.
– Oui, ma chérie ? Qu’est-ce que tu veux ? a répondu maman.
Elle étendait la lessive, dehors, dans le jardin. Elle portait un fin débardeur, qui laissait voir le galbe athlétique de ses bras. Sur le devant était inscrite la devise de son club de fitness : DES MUSCLES, PAS DES MOLLUSQUES ! Quand elle la regardait, Agnès pensait toujours à une statue de dieu grec.
– Tu veux manger un truc ? a dit maman. Dans mon portefeuille, il y a un billet de cinq, tu peux le prendre et aller t’acheter du poisson.
Agnès a secoué la tête en remuant les orteils dans l’herbe jaune et rêche. Elle avait le sentiment que sa mère savait exactement ce qu’elle voulait, mais espérait, priait pour que ce soit autre chose. Pourquoi, sinon, lui proposer autant d’argent ? – J’ai déjà mangé des céréales, a répondu Agnès.
Ce n’était pas vrai. Elle suivait un régime qui consistait à ne manger que le soir. Mais là n’était pas la question. Elle n’avait pas envie de poisson. Ce qu’elle voulait, c’était l’intuition artistique de sa mère.
Le bas du débardeur d’Agnès avait remonté, laissant apercevoir son ventre bosselé. Des vergetures ondulaient sur les bourrelets. Les cicatrices d’une césarienne, désormais presque invisibles, rappelaient l’époque où elle était deux personnes à la fois.
– Tu veux quoi, alors ?
Agnès s’est arc-boutée mentalement avant de répondre :
– J’ai des questions pour un de mes projets.
Maman attachait avec une pince un bas de pyjama à la corde à linge. Elle a soupiré, en baissant la tête comme si elle voulait demander à l’herbe : « Pourquoi est-ce qu’elle est comme ça, ma fille ? » Agnès connaissait bien cette mine ; au cours des trois dernières années, elle s’était quelque peu adoucie, mais on sentait toujours, derrière, un jugement critique.
– Bon, je finis ça et j’arrive.
– Il faut que tu viennes tout de suite, a dit Agnès. C’est important.
Elle s’est hâtée de retourner à l’intérieur pour ne pas laisser à sa mère le temps de répondre, courant sur la pointe de ses pieds nus pour éviter de marcher sur les cailloux et les branches.
La porte s’est refermée bruyamment derrière maman quand elle est rentrée. Elle portait le panier de linge sale, rose comme des viscères, et l’a posé par terre.
Agnès lui a fait signe de regarder la table, sur laquelle reposait sa dernière création.
– Quoi ?
– Quand je façonne le ventre d’un être humain avec de la viande hachée, la texture est complètement différente d’un vrai ventre. Pourquoi ? La chair humaine, c’est de la viande, la chair d’une vache aussi, alors quand on les regarde, quand on les touche, ça devrait être plus ou moins pareil, non ?
Avec le dos d’une cuillère en bois, Agnès a creusé la cavité des yeux de sa sculpture de viande et, la considérant désormais comme achevée, l’a présentée à sa mère. Elle a décidé de l’appeler, après un moment de réflexion : Fille dans la mer, avant d’être avalée. Elle avait accidentellement mis les bras de travers et la silhouette avait par conséquent l’air de se contorsionner, comme une proie, pensait Agnès, qui cherche désespérément à échapper à son prédateur.
– Je ne comprends pas ta question, ma chérie, a dit la mère d’Agnès, sourcils froncés.
Comme presque toujours quand elle était confrontée à une œuvre de sa fille, elle paraissait inquiète, les lèvres étirées en un rictus. (« Avant d’être avalée », 2018)
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Dans une maison en bois sur une petite ferme, non loin d’un bois touffu, au bord d’une rivière sinueuse, à l’ouest d’un bourg, loin de ce déchaînement de fureur que l’on appelle la guerre, vivaient la Maîtresse, ses deux filles d’âge adulte Adélaïde et Catherine, sa sœur Bitsy, sa mère valétudinaire Anna, et son esclave, Sully, une fille de quinze ans qui avait des crocs dans le cœur. Dès qu’elle apprit qu’Albert, le mari de la Maîtresse, était mort au champ d’honneur, elle donna l’assaut à la famille qui l’avait élevée : elle versa subrepticement quelques gouttes d’essence de valériane dans leur tasse de lait chaud et, pendant la nuit, leur trancha la gorge.
L’au-delà, qui observe le monde des vivants avec une attention soutenue, remarqua cet événement. Il était possible d’exploiter ces importants dérèglements, de s’en servir pour frayer un chemin entre notre domaine et le leur. Quand une fille si jeune assassinait une famille entière, un lien d’une effroyable puissance se créait entre ces royaumes – car un tel geste va contre l’ordre naturel des choses, et l’au-delà prospère lorsque règne le désordre.
Sully, hors d’haleine, sa respiration un murmure rauque, regardait les cadavres à ses pieds. Du sang tachait ses vêtements, ses cheveux, sa peau. Elle en avait même dans la bouche, il avait giclé lorsqu’elle avait coupé l’artère de Bitsy. Elle en sentait le goût sur sa langue, mais Sully refusait d’avaler, ne pouvait pas supporter l’idée d’incorporer le fluide salé de cette horrible femme à son propre sang. La salive s’accumulait dans sa bouche, et elle finit par cracher sur le tapis de la seconde chambre, celle où dormaient Bitsy et la Maîtresse.
Elle descendit au rez-de-chaussée en titubant, sortit, se dirigea vers la grange. D’une boîte en fer-blanc, dans laquelle elle avait mis toutes ses possessions, Sully tira un pain de savon. Elle en frotta énergiquement sa langue, puis le mordit et avala le morceau, au cas où une goutte ou deux du sang de Bitsy seraient entrées en elle : il fallait tout éradiquer.
Sa respiration sibilante, précipitée, faisait penser aux râles d’un coyote à l’agonie, ou aux premiers souffles d’un poulain qui vient de naître, ou aux appels guerriers d’une chouette de chasse, ou au rugissement des vents de tempête. Sully ferma les yeux. Dans le calme et l’obscurité de la grange, elle pouvait entendre les bruits de la nuit, tout aussi distinctement qu’elle aurait entendu une femme chanter à tue-tête en travaillant aux champs. C’était comme une musique, dont elle se laissa pénétrer. Elle perdit connaissance. Quand elle retrouva ses esprits, sa respiration avait repris un rythme normal. elle ouvrit les yeux. Après quelques instants, elle se sentit assez forte pour retourner dans la maison.
Elle prit tous les draps et les porta jusqu’à la rivière, afin de les laver du sang qui les souillait. Elle avait l’habitude de ce genre de travail, parce que l’une de ses corvées avait été de récurer, chaque mois, les dessous ensanglantés de la Maîtresse, de la fille de la Maîtresse et de la sœur de la Maîtresse.
Le vif courant était très froid, un vent aigre soufflait ; quand elle eut les mains gelées au point de ne plus pouvoir remuer les doigts, Sully alla accrocher les draps aux branches dénudées d’un arbre. Le vent faisait bouger les étoffes de lin, qui se balançaient, comme possédées. Elle rentra dans la maison pour se réchauffer les mains près du poêle, puis elle sortit un à un, en les portant à l’épaule, les cadavres des esclavagistes. Elle entreprit de creuser une fosse – elle creusa toute la nuit, et le jour suivant, et toute la nuit d’après, sans dormir. Au fond de cette plaie béante dans la terre, Sully fit glisser la Maîtresse, Adélaïde, Catherine, Bitsy et Anna, puis elle combla le trou.
Elle aurait dû éprouver de douloureuses émotions en pensant à ces femmes – elle vivait avec elles depuis l’âge de six ans – mais son cœur restait insensible. Sa colère n’avait pas du tout diminué, elle avait peut-être augmenté, parce qu’elle avait espéré en vain que ces meurtres, que cet acte radical de rébellion lui apporterait une forme de soulagement. Ces femmes avaient été des Goliath, des menaces constantes, et elles avaient fait subir à Sully tous les sévices que leur imagination avait pu concevoir – mais elles ne valaient guère plus qu’un épi de maïs, désormais. Leurs âmes étaient devenues creuses, et n’avaient plus la moindre importance. Comment cela était-il possible ? Comment des géantes, des créatures immenses, avaient-elles pu être réduites à néant à la suite d’un simple coup de couteau ? (« Soif de sang », 2019)
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Généralement, quand on détruit l’ordre des choses, la nature aime bien rétablir l’équilibre.
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J'ai trois ans, je n'ai toujours pas de dents, maman m'emmène voir un dentiste, qui me greffe des tessons de verre directement dans les gencives.
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Flick hurlait, hurlait, et Aster sut, à ce moment précis, que les dieux n'existaient pas, car les dieux, s'ils avaient existé, auraient immédiatement mis fin à cette horreur.
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Aster n'était qu'à quelques dizaines de centimètres de lui, mais elle avait l'impression que, pour lui toucher la main, il lui aurait fallu traverser un gouffre aussi vaste que l'Univers tout entier. Et ses études de physique lui avaient appris que l'Univers était en expansion constante.
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Il n'y a pas d'église, pas de philosophie, pas d'école de pensée, il ne faut avoir confiance en rien. Croire en quelque chose, c'est faire sacrifice de vos facultés

Vern s'étonnait souvent de constater que de grandes similitudes existaient entre le pays des Caïn et le monde extérieur. Les maris qui cherchaient à dominer leurs femmes et les femmes qui ne savaient pas comment faire pour quitter leurs maris
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Elle avait le calme d'un chanteur de blues, le calme d'un lac.
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La forêt transforme le chagrin en fleurs.
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Les deux-jambes avaient une façon bien spécifique de catégoriser le monde, qui ne plaisait pas à Yetu. Cela, elle ne l'avait pas oublié. Ils organisaient le monde comme les deux camps d'une guerre : eux, les deux-jambes, en lutte contre tout le reste. Quand Suka parlait de cultiver la terre, il ou elle en parlait comme d'une domination, comme si ce qu'elle produisait lui appartenait, au lieu d'une simple coexistence, comme il ou elle venait de le dire au sujet des animaux.
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Les nourrissons de toutes les espèces en veulent toujours plus : plus de caresses, plus de nourriture, plus de réponses, plus de douceur, plus d'univers, plus d'océan, plus de nouveauté, plus de connaissances.
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Que signifie naître de la mort ? Que signifie commencer ?
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Elle cherchait, cherchait, voulait désespérément se souvenir de ce qui s'était passé. Mais ne restaient en elle que des bribes, des impressions, et même ces traces étaient en train de s'évaporer. Elles laissaient derrière elles un calme curieux, une légèreté agréable, mais elle n'aimait pas l'idée d'oublier. Elle avait l'impression de perdre pied.
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