PRÉMICES
J'ai regardé mon enfant. Elle était bleue et transpa-
rente comme une méduse échouée. Je l'ai touchée. Elle
était froide et flasque. Ainsi mes doigts gardent son
souvenir.
Le cercueil avait cinquante-huit centimètres, et, sans
savoir pourquoi, j'ai vissé dessus un crucifix en bronze,
très lourd.
Après vingt ans, j'ai compris. Ils faisaient eux deux le
poids du désespoir.
Sirmione
Il faisait un soleil du tonnerre et je pensais croiser Catulle avec des filles.
Je n'ai trouvé personne, hors mon ombre courte dans les ruines.
Alors, je suis descendu contre le lac, pour y faire mon poème, et j'ai jeté
dans l'eau des pierres qui ont fait des ronds. Mais je ne sais pas s'ils ont
atteint, ces ronds, le pied de la montagne, en face.
Alleluia. Quand même.
Sur l'autre rive de l'étang,
Belle en robe rouge
voltige sur son reflet
sans savoir que je l'adore,
ainsi, la tête en bas,
plus belle qu'elle-même
sur le vertige de l'eau.
Le hibou
Le hibou n’est qu’une horloge à plumes, avec deux cadrans à secondes et une seule aiguille, la petite. Il marque toujours six heures.
Il se moque, je le sais. Pourtant il est minuit moins le quart et demain, peut-être, on aura crevé le soleil !
PLAINTE DU ROBOT
Ma tête est un écrou, ma main une clé anglaise.
Elsa vient d’accoucher d’un transistor. Son cerveau
est un écran, son œil un commutateur. Elle m’offre
au dîner un steak de mazout surgelé.
Où sont nos piscines d’antan ?
Le soleil nous est vendu dans un suaire en cello-
phane. Quand reviendra le temps des avions pour
le confort des oiseaux migrateurs ? Le transistor
vagit. Elsa sort du congélateur, fait l’amour à la
motocyclette.
Qui a volé le feu de nos reins de jadis ?
BABEL
Sur le chemin de la ville, que mes électriciens avaient
envahi pour lui donner les yeux de la prochaine nuit, je
vis un homme assis qui jouait avec un bœuf d'ébène,
plus petit que mon rêve et plus grand qu'un château.
Je lui dis : " Père, as-tu froid ? ", car il était nu. Il
me regarda sans réponse. Je criai : " Père, es-tu
sourd ? ". Mais il ne dit rien non plus.
Quand je fus à l'auberge où je voulais passer la nuit
l'hôte me conduisit à l'écurie. Dans cet étrange pays, les
gens prétendent que je suis un cheval. C'est vrai, sans
doute, et l'homme ne peut m'avoir compris si je hennis.
Dans mon pays, pourtant, je suis ingénieur nucléaire.
DEUIL DE MON PÈRE
Il me cria : Tire ce cheval noir de ma poitrine, puis
il cracha le sang et mourut.
À treize ans, porter un cheval noir passait mes for-
ces.
Pourtant, ce cheval noir, je le porte aujourd'hui,
cabré sur ma vie, qui saigne par la bouche.