Citations de Pierre Louÿs (280)
Les Filles du Dieu
À André Walckenaer.
Elles avaient piqué des lotus dans leurs boucles
Et mouillé leurs cheveux avec des parfums lourds
Leurs flancs souples roulaient des houles de velours
Leurs longs yeux palpitaient comme des escarboucles.
Des couleuvres d’argent tournaient sur leurs bras nus
Des colliers descendaient sur leurs mamelles grises
Leurs souffles délicats erraient comme des brises
Dans leurs voix tristes et leurs rires ingénus.
Et les rougeurs des fleurs sur leurs bouches nocturnes
Tremblaient avec des somnolences taciturnes
Au bout de leurs doigts blancs ongulés de carmin
Et les sourds tapis bleus déroulaient le chemin
Où les filles du dieu, sur des fleurs de verveines,
Se charmaient l’une l’autre au cours des heures vaines.
Novembre 1890.
(« Astarté », 1891)
Ne crayonnez pas des boucles noires sur le pubis des Vénus nues. Si l’artiste représente la déesse sans poils, c’est que Vénus se rasait la motte.
Je suis satisfait quand je referme un livre en emportant le souvenir d'une ligne qui m'ait fait penser. Jusqu'ici, tous ceux que j'ai ouverts contenaient cette ligne-là. Mais aucun ne m'a donné la seconde. Peut-être chacun de nous n'a-t-il qu'une seule chose à dire dans sa vie, et ceux qui ont tenté de parler plus longtemps furent de grands ambitieux. Combien je regrette davantage le silence irréparable des millions d'âmes qui se sont tues !
“Il fait déjà grand jour. Je devrais être levée. Mais le sommeil du matin est doux et la chaleur du lit me retient blottie. Je veux rester couchée encore.”
Une femme qu'on n'a pas encore eue a quelque chose d'une vierge ; mais quel bon résultat, quelle surprise attendre d'un deuxième rendez-vous ? C'est déjà presque le mariage.
Hyacinthe ! Ô mon cœur ! Jeune dieu doux et blond !
Tes yeux sont lumière de la mer ! Ta bouche,
Le sang rouge du soir où mon soleil se couche...
Je t'aime, enfant câlin, cher aux bras d'Apollon.
Tu chantais, et ma lyre est moins douce, le long
Des rameaux suspendus que la brise effarouche
À frémir, que ta voix à chanter, quand je touche
Tes cheveux couronnés d'acanthe et de houblon.
Mais tu pars ! Tu me fuis pour les Portes d'Hercule ;
Va ! Rafraîchis tes mains dans le clair crépuscule
Des choses où descend l'âme antique. Et reviens,
Hyacinthe adoré ! Hyacinthe ! Hyacinthe !
Car je veux voir pour toujours les bois syriens
Ton beau corps étendu sur la rose et l'absinthe.
« Une lettre écrite en vers libre par Mr Oscar Wilde à un ami et traduite en vers rimés par un poète sans importance », 1893.
On s'agite, on lutte, on espère, quand une seule chose est précieuse : savoir titrer de l'instant qui passe toutes les joies qu'il peut donner, et ne quitter son lit que le moins possible.
Eh bien, vous êtes vif! dit-elle. Nous emménageons hier, maman, mes soeurs et moi. Vous me rencontrez aujourd'hui dans l'escalier. vous m'embrassez, vous me poussez chez vous, la porte se referme... Et voilà. (incipit).
Au catéchisme, si le jeune vicaire vous demande ce que c’est que la luxure, ne lui répondez pas en rigolant : « Nous le savons mieux que vous ! »
L'âme féminine est d'une simplicité à laquelle les hommes ne peuvent croire. Où il n'y a qu'une ligne droite ils cherchent obstinément la complexité d'une trame : ils trouvent le vide et s'y perdent.
PÉGASE
À José Maria de Heredia.
De ses quatre pieds purs faisant feu sur le sol,
La Bête chimérique et blanche s'écartèle,
Et son vierge poitrail qu'homme ni dieu n'attelle
S'éploie en un vivace et mystérieux vol.
Il monte, et la crinière éparse en auréole
Du cheval décroissant fait un astre immortel
Qui resplendit dans l'or du ciel nocturne, tel
Orion scintillant à l'air glacé d'Éole.
Et comme au temps où les esprits libres et beaux
Buvaient au flot sacré jailli sous les sabots
L'illusion des sidérales chevauchées,
Les Poètes en deuil de leurs cultes perdus
Imaginent encor sous leurs mains approchées
L'étalon blanc bondir dans les cieux défendus.
Ne vous mettez pas à la fenêtre pour appeler les passants, même si vous avez grande envie de baiser, et personne pour vous satisfaire.
- Je suis l'inconnu, oui madame, j'avais toujours rêvé d'être l'inconnu, le jeune homme masqué, l'épée du mystère, la main d'ombre, le chevalier du lac.
C'était ma vocation depuis mon berceau.
Craignez que je ne disparaisse brusquement au milieu de la rue Piat avec une imprécation blasphématoire dans une odeur d'acide sulfureux ...
Le chiffre des naissances est en raison directe du degré de promiscuité : très faible dans les ménages bourgeois, très élevé dans les quartiers pauvres, et considérable chez les vagabonds. Loin de favoriser la conception des femmes, le mariage n'est souvent qu'une école mutuelle de stérilité volontaire. Mais j'admets que cette école soit en même temps une occasion quotidienne d'heureuses méprises, fût-ce au besoin par l'adultère furtif qui nous donne une bonne part de naissances légitimes.
Car l'amour est un art, comme la musique. Il donne des émotions du même ordre, aussi délicates, aussi vibrantes, parfois peut-être plus intenses ; et Chrysis, qui en connaissait tous les rythmes et toutes les subtilités, s'estimait, avec raison, plus grande artiste que Plango elle-même, qui était pourtant musicienne du temple.
Oui ; ta femme travaille à l’étable. On dit même qu’elle a mille tendresses pour le plus jeune de tes ânes. Ah ! Ha ! c’est un bel animal ! Il a une touffe noire sur les yeux.
On dit qu’elle joue entre ses pattes, sous son ventre gris et doux… Mais ceux qui disent cela sont des médisants. Si ton âne lui plaît, Agorakritès, c’est que son regard sans doute lui rappelle le tien.
- [...] le charme d’une femme s’accroît toujours au moment où elle se tait ; mais c’est une vérité spéciale dont l’évidence n’apparaît qu’aux hommes.
Il n'y a que deux manières d'être malheureux : ou désirer ce qu'on n'a pas, ou posséder ce qu'on désirait.
J'étais venue, me dit-elle enfin, savoir comme tu étais mort. Je croyais que tu m'aimais davantage et que tu te serais tué dans la nuit.
Le malheur est un bonheur ancien qui ne veut pas recommencer.