[Notre civilisation] n’a eu en vue que les conquêtes matérielles et […], au lieu d’enrichir en même temps les âmes, semble, au contraire, s’être donné pour tâche de les laisser plus désespérément vides et inassouvies qu’elles ne l’ont jamais été.
La libation résultait, elle aussi, d’un sacrifice. L’esprit qui résidait dans le breuvage enivrant s’était, pour ainsi dire, offert lui-même en oblation, afin de permettre aux buveurs de recevoir à travers lui une vie surnaturelle et de communier en celle-ci les uns avec les autres.
Il semble donc que l’ingestion des toxiques ait chez le dément précoce des conséquences diamétralement opposées à celles qu’elle produit dans le psychisme de l’individu normal.
Les Paléo-Asiates ont découvert que le principe actif du champignon passe dans l’urine. Aussi conservent-ils soigneusement celle-ci, soit pour la boire eux-mêmes, afin de renouveler leur propre griserie, soit pour l’offrir généreusement à ceux que hante le désir de goûter cette ivresse.
[Les chamans] font appel à la fausse oronge afin de provoquer en eux-mêmes les transes extatiques, qui leur ouvrent l’accès du monde des esprits.
En revenant de jour en jour davantage à ces formes inférieures de la mystique [rassemblements populaires, drogues], qui sont fatalement une cause de régression, l’humanité civilisée travaille inconsciemment à son propre déclin. Les progrès qu’elle réalise dans le domaine technique ne sauraient compenser pour elle la décadence des âmes, à laquelle elle consent, quand elle n’y aide point. […]
Ceux dont les yeux se sont ouverts au péril qui nous guette, comprendront-ils que, pour le conjurer, il n’est qu’un retour à l’authentique spiritualité chrétienne qui puisse être efficace ? Car l’expérience de notre temps suffit à démontrer que, si l’on ne propose plus à l’homme un idéal surnaturel, qui exalte sa personnalité et qui l’entraîne aux vraies conquêtes morales, on le réduit à se jeter sur l’appât des toxiques et de toutes les ivresses, individuelles ou collectives, pour tâcher d’assouvir, mais en s’abaissant alors au-dessous de lui-même, son désir instinctif de s’évader de soi.
Les raisons profondes qui entraînent l’homme moderne vers la boisson n’ont pas changé. L’ivresse reste, pour lui, un moyen de satisfaire au besoin qu’il éprouve toujours de franchir ses propres limites et d’entrer en communion avec ce qui le dépasse. Elle s’est laïcisée à nos yeux, simplement parce qu’elle a cessé d’être associée aux pratiques et aux croyances d’une religion déterminée. Elle n’en a pas moins gardé sa fonction originelle, qui est d’ouvrir aux âmes l’accès d’un monde surhumain.
La solution du problème des intoxications volontaires doit donc être cherchée sur le terrain religieux.
Peut-être serions nous moins fier de notre civilisation moderne, si nous nous rendions compte que, par ses inventions, elle travaille à paralyser tous les efforts que nous tentons pour nous posséder nous mêmes, et quelle ne cesse de nous livrer à des contraintes extérieures, qui s'insinuent en nous afin de nous asservir, en nous évinçant de notre âme.
Boire du vin, c’était donc, en réalité, faire pénétrer en soi la vie divine.
Lorsqu’on pratique sur les capsules du pavot, avant qu’elles aient atteint leur maturité, des incisions longitudinales, il en découle un suc laiteux qu’on laisse s’épaissir et dont on façonne, en le mêlant à divers ingrédients, des espèces de galettes. Ce suc, ainsi recueilli et travaillé, c’est l’opium.