Puisque nos murs se sont écroulés
Que tout s’en est allé en fumée,
Allongeons-nous sur ce lit d’argile
Et donne-moi tes lèvres, ta fièvre,
O mon radeau, mon ancre, mon île.
(première strophe du poème « Le baiser dans les ruines », p.99)
LE CHŒUR DES JOIES
Il y avait des jours d'été si beaux
dans les jardins saupoudrés d'or en feu,
que les serpents, se glissant de leur peau,
se chauffaient nus sur les grils du soleil.
Des nuits d'été, la lune était si blanche
qu'on lui voyait le nez, les yeux, le cou,
et tout autour, le ciel avait des trous
par où luisait la cuisine des anges.
Il y avait des bleus si merveilleux
sur les pâtis et les champs et les friches,
que l'on voyait sortir des bois les biches,
et s'arrêter, des lunes dans les yeux.
Il y avait des Pâques si fleuries
qu'on ne savait pas où poser le pied
pour n'écraser les œufs durs dans leurs nids,
pondus et peints par le coq du clocher.
Et des Noëls si blancs que les abeilles
avaient changé leurs ruches en igloos
et qu'on disait qu'autour rôdaient des loups
affriandés par le parfum du miel.
Mon deuil est habillé de blanc,
c'est comme un matin de dimanche,
et son foulard qui jour au vent
est un couple d'ailes blanches.
Mon deuil, c'est toi, au bord du fleuve,
assise sur un brise-lames,
là-bas mon cœur, là-bas mon âme,
ma chère est seule comme une veuve.
Là-bas mon âme va vers toi
comme le fleuve suit sa pente.
Écoute mon âme qui chante
dans les eaux à mi-voix.
Et c'est mon âme qui t'effleure
avec les ailes des mouettes
qui s'angoisse et qui volète
et pleure, pleure.
(p. 35)