Citations de Paul Léautaud (232)
La première patrie, quand on est ici bas, c’est la vie.
En revenant, je réfléchissais que mon amour pour les bêtes a grandi en même temps que ma misanthropie.
" Tous mes plaisirs viennent de livres de cette sorte, où la pensée de l'homme qui les a écrits m'occupe en même temps que ma lecture. "
L'amour, c'est le physique, c'est l'attrait charnel, c'est le plaisir reçu et donné, c'est la jouissance réciproque, c'est la réunion de deux êtres sexuellement faits l'un pour l'autre. Le reste, les hyperboles, les soupirs, les élans de l'âme sont des plaisanteries, des propos pour les niais, des rêveries de beaux esprits impuissants.
Je voudrais encore que des bras affectueux me portent dans la vie pour m’en éviter les heurts et les fatigues.
Etonnants, ces gens qui croient d'une façon ou d'une autre, pour se faire lire à gauche, pour se faire lire à droite. Il ne leur vient pas l'idée qu'on peut se ficher de la gauche comme de la droite.
Journal littéraire (1931)
Chacun a son adorée, chacun la trouve la plus belle, chacun débite sa romance, chacun est persuadé d'avoir en elle un objet sans pareil pour le plaisir, chacun voit l'éternité dans son amour. Le sage, lui, se dit qu'il est certes agréable d'aimer, également d'être aimé ou de croire l'être, mais que si ce n'eût été celle-ci et par celle-ci, c'eût été celle-là et par celle-là, qu'il n'y a donc pas lieu de s'echauffer, d'attester les cieux et les enfers, d'exagérer son bonheur ou son malheur, mais de jouir de la musique tant qu'elle joue et tant qu'on peut jouer.
Lundi 4 septembre 1940
Revoilà, à la nuit, avec l'approche de l'automne, le cri délicieux et émouvant de la chauve-souris. Ma fenêtre est ouverte. Elle m'a semblé d'abord être toute proche. Maintenant, le cri me vient, plus éloigné, et un autre cri lui répond. J'en oublie toutes les abominations et stupidités du moment.
Les gens couverts de croix me font irrésistiblement penser à un cimetière.
Les beaux livres, décourager d'écrire ? C'est comme si vous disiez qu'une jolie femme décourage de faire l'amour.
La jalousie est le signe du manque de fatuité, du sens critique, de l'intelligence en amour. Un sot vaniteux n'est jamais jaloux.
J'ai pour les bêtes, toutes les bêtes, un coeur de concierge, et de vieille concierge. Si j'avais l'habitude des phrases poétiques, je dirais que je me sens le frère de ces vieilles femmes à cabas qui portent le soir à manger, aux grilles des jardins publics, aux chats sans patrons. Je ne donne jamais un centime aux pauvres, le spectacle des gens écrasés m'est indifférent, les gens qui pleurent aux enterrements me semblent très laids, et quand ma chère bien-aimée est malade, je vais me promener. Mais mon chat est le maître chez moi, mes fenêtres sont pleines de pain pour les oiseaux, je pars chaque matin avec des provisions de pain que je distribue à tous les moineaux de ma route, je donne du sucre aux chevaux de fiacre dont la misère finira par m'empêcher de sortir, j'achète de la viande aux chiens perdus que je rencontre, et si je m'écoutais, et si je le pouvais, ma maison serait pleine de bêtes, au lieu que j'y sois seul, car vous pouvez vous en douter, vous, un de ses oncles ! est bigrement loin d'être une bête. Que de cochers de fiacres j'ai dans mes relations, pour bavarder de temps en temps avec eux, et que de bonnes bêtes, dans mon quartier, qui me connaissent.
Ces amis inconnus des bêtes existent toujours. Groupe secret, franc-maçonnerie discrète, qui unit des adeptes de tous genres, de toutes religions, de toutes appartenances et qui fait l'Union sacrée sous le signe émouvant de l'amour envers nos frères dits inférieurs.
Marie Dormoy, préface.
La guerre ni les guerriers n'ont mon admiration. Je n'ai pour les hommes qui ont fait la guerre, qu'ils soient d'ici ou d’ailleurs, qu'un sentiment: je plains ceux qui sont mort pour la vie qu'ils ont perdue, ceux qui sont revenus pour ce qu'ils ont souffert. Quand aux "héros"? quand à ceux qui font étalage de leurs exploits ou sont heureux de leurs souffrances! Le monde n'aura pas la paix tant qu'il y aura de ces sauvages et de ces imbéciles.
Paris, 17, rue Rousselet
le 20 août 1906
Ma chère maman,
(....) Quoi vous écrire pourtant, après tant de lettres, depuis quatre ans, toutes restées sans réponse. Je finirai par admirer votre dureté, savez-vous, et comme je voudrais pouvoir la prendre à mon compte aussi. Mais toute la chance aura été pour vous. Vous avez pu avoir d'autres enfants, tandis que moi, je n'ai pu me faire une autre mère (...) (p. 217 / Mercure de France, 1956)
Tout le progrès dont on nous rebat les oreilles n'a jamais dépassé le domaine des choses matérielles. Le monde est ce qu'il a toujours été et sera toujours: une petite élite au milieu d'une foule de brutes ou d'imbéciles, avec les malins, dans un coin, ils ont bien raison, qui tirent les ficelles et gardent les profits.
" On rit mal des autres quand on ne sait pas d'abord rire de soi-même "
On est jamais loin de détester ce qu'on aime.
On ne voit pas bien ce que vient faire ici le mot scandale. L'auteur de ce couplet est un étranger, probablement. Il emploie les mots au petit bonheur.
Quel scandale y a t'il à montrer sur une scène de jolies femmes, même très peu habillées, et quel scandale y a t'il à aller les voir ? Alors, c'est un scandale, quand nous prenons plaisir à regarder notre maîtresse, ou notre femme, nue ou presque, quand elle est jolie et qu'elle a l'esprit de laisser la pudeur de côté ? L'écrivain du Petit Bleu est probablement de ces messieurs qui font l'amour dans l'obscurité, ou en fermant les yeux pour ne rien voir, avec des dames enfermées du haut en bas dans des chemises-sacs, comme on en fait, paraît-il, avec juste l'ouverture strictement nécessaire.
Ce comique devrait leur suffire.
Combien de pas ont effacé les miens dans toutes ces rues où je me promenai, combien d'autres enfants ont joué aux endroits où je jouai ! Dire qu'il y a plus de vingt ans de tout cela, plus de vingt ans que j'ai vécu là, que j'ai respiré là, et que rien de ces choses ne peut revivre. Beautés évanouies, silence éternel.