Pascal Voisine interview de Le Mag média
[ 1977 ]
Il avait dû se rendre à l'évidence : la voix de David Bowie l'excitait. Est-ce que ça faisait de lui un potentiel homosexuel ? Il ne pouvait poser la question à personne. Si la réponse s'avérait positive, il s'exposait à de graves ennuis. Aussi aberrant que ça puisse sembler, certains patients étaient enfermés à [l'hôpital psy de] Champs-Choisy, à la demande de leur famille, pour les soigner de leur attirance envers les gens du même sexe.
Vingt ans de mariage et pas une infidélité. Il aurait aimé avoir un tas d'histoires sales à raconter, mais il n'était pas parvenu à les vivre. A chaque fois que se profilait une situation salace pleinement consentie par les deux parties, sa bonne conscience y mettait un frein. Il pourrait consacrer le restant de ses jours à écrire une anthologie des plans cul ratés par excès de morale judéo-chrétienne.
Il obtint, non sans une certaine fierté, le droit d'insérer la missive timbrée dans la fente de la boîte à lettres.
- Ça va te porter chance, assura-t-il à Thierry en embrassant l'enveloppe. On aura la réponse quand ?
- Mi-septembre, je crois.
- Ça tombe un quel jour, mi-septembre ? Il faut que je le note sur mon calendrier.
Pour moi, l'âge n'est pas une circonstance atténuante. Ni de quoi est fait sa tête. Un assassin reste un assassin, ponctua Gérard en apportant la touche finale à son dessin.
Emu par ce souvenir de jeunesse, il n'avait pas respecté sa consigne de départ et avait tracé sur le plâtre de Thierry, sans s'en rendre compte, une petite guillotine.
Comme il avait pris du retard sur son planning musical, il sélectionna quelques vinyles. Il tomba sur l'album "Hunky Dory". Il hésitait à passer du David Bowie sur sa chaîne depuis qu'il avait ressenti de petits picotements parcourir son gland en l'écoutant, début juillet.
- Le 17 août 1977, à dix heures moins le quart, je jouais avec un chat dans le jardin et j'ai tout vu.
Les infirmiers ceinturent Gilles qui n'oppose aucune résistance.
- Poussez-vous, monsieur, cet homme est dangereux, lance celui qui semble diriger les opérations en entraînant Gilles vers le fourgon.
- J'ai tout vu par la fenêtre, Thierry. J'ai tout vu...
Entre patients, on se surveille, on s’aime bien parce qu’on est obligés de se supporter mais surtout on attend qu’il y en ait un qui regarde ailleurs pour lui piquer son dessert ou ses cigarettes.
Les chansons tristes font parfois de bons slows.
Il commençait à comprendre pourquoi tous les garçons l’enviaient quand il traversait le village en sa compagnie. Il rapprocha encore son bras du sien jusqu’à les faire transpirer tous les deux. Il aima cette sensation autant que le spectacle qui se déroulait sur le grand écran : le croiseur de l’Empire et l’odeur de la délicate transpiration d’Émelyne, le géant en armure noire au souffle persistant et la respiration d’Émelyne, la princesse qui manifestement ne portait pas de soutien-gorge et Émelyne non plus…
Là où les non-initiés pointaient du doigt un camp de concentration pour fous, Marc voyait une sorte de principauté où les malades mentaux étaient exonérés d’impôts sur la différence.