Citations de Pascal Quignard (1550)
Ceux qui aiment ardemment les livres constituent sans qu'ils le sachent, la seule société secrète exceptionnellement individualisée. La curiosité de tout et une dissociation sans âge les rassemblent sans qu'ils se rencontrent jamais.
Leur choix ne correspondent pas à ceux des éditeurs, c'est-à-dire du marché. NI à ceux des professeurs c'est-à-dire du code. Ni à ceux des historiens c'est-à-dire du pouvoir.
.... Ils forment à eux seuls une bibliothèque de vies brèves mais nombreuses. Ils s'entre-lisent dans le silence...
Monsieur, vous vivez dans la ruine et le silence. On vous envie cette sauvagerie. On vous envie ces forêts vertes qui vous surplombent.
Chapitre IV.
J'aime la lecture parce que c'est la seule conversation à laquelle on peut couper court à tout instant, et dans l'instant.
Vous pourrez aider à danser les gens qui dansent. Vous pourrez accompagner les acteurs qui chantent sur la scène. Vous gagnerez votre vie. Vous vivrez entouré de musique mais vous ne serez pas musicien.
Avez-vous un coeur pour sentir? Avez-vous un cerveau pour penser? Avez-vous idée de ce à quoi peuvent servir les sons quand il ne s'agit plus de danser ni de réjouir les oreilles du roi?
Cependant votre voix brisée m'a ému. Je vous garde pour votre douleur, non pour votre art.
« Monsieur, il y a longtemps que je souhaite vous poser une question.
— Oui.
— Pourquoi ne publiez-vous pas les airs que vous jouez ?
— Oh ! mes enfants, je ne compose pas ! Je n'ai jamais rien écrit. Ce sont des offrandes d'eau, des lentilles d'eau, de l'armoise, des petites chenilles vivantes que j'invente parfois en me souvenant d'un nom et des plaisirs.
— Mais où est la musique dans vos lentilles et vos chenilles ?
— Quand je tire mon archet, c'est un petit morceau de mon cœur vivant que je déchire. Ce que je fais, ce n'est que la discipline d'une vie où aucun jour n'est férié. J'accomplis mon destin. »
Chapitre XIV.
Désirer est un verbe incompréhensible. C'est ne pas voir. C'est chercher. C'est regretter l'absence, espérer, rêver, attendre.
La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. En ce sens, elle n'est pas tout à fait humaine.
Il y a dans lire une attente qui ne cherche pas à aboutir. Lire c'est errer.
Quand, en 1548, Etienne de La Boétie théorisa la désobéissance civile, il écrit : Je ne vous demande même pas d’ébranler le pouvoir mais seulement de ne plus le soutenir.
Commencez par arrêter de voter pour vos ennemis. Arrêtez de vous donner des maîtres. Arrêtez de payer des surveillants pour vous épier. Arrêter d’offrir par votre travail, au prince, l’or et les armes dont vous serez ensuite les victimes.Arrêtez de donner la liste de vos biens à ceux qui exigent de vous piller. Pourquoi constituez-vous ces files qui montent au bûcher et qui alimentent le sacrifice pour quelques-uns ou pour un seul ? Pourquoi tenez-vous tant à être le complice préféré du meurtre et l’ami fidèle du désespoir ? Les bêtes ne souffriraient pas ce que vous consentez. Ne servez plus. p 124
tous les matins du monde sont sans retour
Tous les matins du monde sont sans retour. Les années étaient passées. Monsieur de Sainte-Colombe, à son lever, caressait de la main la toile de Monsieur Baugin et passait sa chemise. Il allait épousseter sa cabane. C'était un vieil homme.
Chapitre XXVI.
quand je tire mon archet, c'est un petit morceau de mon coeur vivant que je déchire. Ce que je fais, ce n'est que la discipline d'une vie où aucun jour n'est férié. J'accomplis mon destin.
François Busnel : Qu'est-ce que vous aimez dans l'acte de lire ?
Pascal Quignard : Se perdre.
Se perdre. On ouvre un livre, on ne sait pas où on va, on ne sait pas quelle va être son émotion. Le corps s'oublie, on est pris par une histoire, on est pris par quelque chose [...] et on s'y enfonce ou on s'y envole comme un oiseau dans le ciel : c'est ça, cette dépossession totale, cette absence d'identité qu'il y a dans la vraie lecture qui en font pour moi une des plus belles expériences.
La grande librairie, 16 septembre 2020
La meilleure façon de penser est d'écrire.
Monsieur Marais approcha la chandelle du livre de musique. Ils regardèrent, refermèrent le livre, s'assirent, s'accordèrent. Monsieur de Sainte-Colombe compta la mesure vide et ils posèrent leurs doigts. C'est ainsi qu'ils jouèrent les Pleurs. A l'instant où le chant des deux violes monte, ils se regardèrent. Ils pleuraient. La lumière qui pénétrait dans la cabane par la lucarne qui y était percée était devenue jaune. Tandis que leurs larmes lentement coulaient sur leur nez, sur leurs joues, sur leurs lèvres, ils s'adressèrent en même temps un sourire. Ce n'est qu'à l'aube que Monsieur Marais s'en retourna à Versailles.
Tout ce que nos yeux ne peuvent voir et que nos yeux ne peuvent toucher n’est pas absent du monde.
Il y a un plaisir non pas d'être seule mais d'être capable de l'être.
La vie de chacun d'entre nous n'est pas une tentative d'aimer, elle est l'unique essai.
J'ai connu plusieurs milliers d'aubes. Je ne m'en suis jamais lassé. Je ne me suis jamais lassé de la montée du jour, au fond de l'espace, qui précède l'apparition soudaine - soudaine et continue - du soleil. C'est la "bonne heure". C'est le "Soudain à l'état continu".
Je n'ai jamais compris ceux qui dorment dans l'aube, ou qui y restent à sommeiller.
Même quand je voulais mourir, même quand j'en élaborais les moyens, quand j'en préméditais les heures opportunes, je n'en étais pas las. Je ne l'aurais pas choisie pour y plonger.
Pour ne pas la souiller.
La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler.