Pascal Jardin :
Guerre après guerreOlivier BARROT évoque le souvenir de
Pascal JARDIN ( "mort trop tôt": 46 ans), dont "
Guerre après guerre" reparait chez GRASSET.
Ceux qui voient le soleil dans les yeux d'une maîtresse, et lisent leurs blessures sur des lèvres peintes en rouge, et la houle du large dans les hanches d'une femme, ceux là voient bien plus loin que la plupart des autres.
Je n'ai jamais pu lire de Gaulles sans penser à Chateaubriand, ni Rilke sans entrevoir Proust, ni boire une bière blonde dans le café d'un port sans songer à Carco et à Simenon. Il y a comme ça des filiations référentielles quasi automatiques. Aussi, n'ai-je jamais pensé à Audiard sans voir en filigrane la silhouette de Gabin.
L'enfance sait que tout est possible, nous l'oublions.
Il existe plusieurs vies. La première, c'est l'enfance. Heureuse ou malheureuse, on ne s'en remet pas. L'enfance, c'est le point d'eau. On y revient toujours.
Mais le charme est rompu. Les fées ont déserté. Nous nous acheminons vers un monde sans ensemble. Tu verras, l'esprit piétine, et puis s'y perd.
L'écriture est un véhicule tout terrain, et le langage un transport en commun dont on n'est jamais sûr qu'il arrive à bon port.
On ne vit pas sa vie dans l'ordre qu'il faudrait. Commencer par l'enfance est sûrement une erreur.
Elle était superbe, au physique comme au moral. D'un anticonformisme ahurissant, elle passait du mutisme le plus complet à la provocation la plus vibrante. Elle n'avait peur de rien et cette hardiesse alliée à sa beauté engendrait un mouvement de jeunesse perpétuellement renouvelé, dont rien ne semblait jamais devoir un jour stopper la marche. Pendant près de trente ans, j'ai su ce qu'elle pensait avant même qu'elle ne le pense. Maintenant je ne sais plus où elle va. Chez elle, la méditation a chassé la gaîté, sa fureur à vouloir tout comprendre l'empêche d'agir jusqu'au plan domestique le plus élémentaire. Je l'aime mais je lui en veux d'avoir accepté une certaine vieillesse
Je touche là le fondement du conflit passionnel, tragi-comique, qui nous opposa toute notre vie. Pour mon père, il n'y avait qu'un Jardin : lui.
Très vite, dès l'âge de dix ans, pour tenter d'exister, je décidai qu'il y en aurait au moins un second : moi.
Il me détestait de vouloir prendre sa place. Il m'aimait follement d'être un autre lui-même.
Depuis qu'il est parti, je me sens une moitié, une moitié de moi-même qui court après une ombre qui ne reviendra plus.