Julie avait finalement franchi le parcours de l’école primaire. Une traversée longue et pénible qui avait laissé tant de blessures en son âme. Délaissée dans la cour de récréation, elle ne retrouvait pas toujours la compréhension dont elle aurait eu besoin dans les salles de classe. Non pas qu’elle fût dépourvue d’intelligence. Au contraire, Julie était dotée d’un potentiel intellectuel supérieur. Mais prisonnière de ses secrets, elle était hantée par la honte du vice auquel elle se livrait, vice dont elle se sentait coupable, mais dont elle ne pouvait repousser les assauts, sans cesse troublée par les répugnantes images qui lui sillonnaient l’esprit.
"Salutaires sont les générations du monde et il n'y a point, en elles, de poison mortel ni, sur terre, d'empire de l'Hadès, car la justice est immortelle." (Sg 1. 14-15)
Défendre les côtes de l’Angleterre contre l’invasion ennemie, ce n’est quand même pas de tout repos. Les fusées allemandes, qui nous sifflent de chaque côté de la tête, ne sont pas, non plus, les plus douces berceuses pour nous endormir le soir.
Julie détenait cependant un avantage qui lui valait une forme de respect, et il s’agissait de ses capacités intellectuelles bien au-dessus de la moyenne. Elle jouissait d’un QI élevé, de sorte qu’on pouvait rechercher sa participation lorsque venait le temps d’effectuer un travail d’équipe ou de résoudre les difficultés de certains exercices.
Un avantage? Une valorisation? Une forme de valorisation, certes, car on lui reconnaissait des talents qui faisaient défaut à bien d’autres élèves. Mais là encore, elle sentait bien qu’on se servait d’elle. Surtout qu’on le faisait souvent sans grande subtilité.
Dans ce temps d’horreur où tout s’écroulait, les gens de bonne volonté devenaient encore meilleurs, se surpassant dans la solidarité et l’entraide. Comme si, pour atténuer la souffrance, tous les gestes de leurs vies tourmentées se juxtaposaient en autant de pièces d’une mosaïque improvisée. Une mosaïque qui risquait toujours de se disloquer mais dont on rassemblerait encore et encore les pièces, parce que c’était la seule façon de survivre au carnage, aussi honteux qu’insensé. Les forces ainsi regroupées devenaient, en pareille occurrence, la source d’énergie qui insufflait le courage de persévérer.
(À propos du caractère bouillant de la mère, Marie d’Anjou.)
- Il n’est pas question que je parte. Tu as encore quatre ans d’études à faire et je dois être là, à tes côtés, pour te soutenir.
- Que vas-tu faire alors?
- Très simple. Une belle grande chambre va se libérer au deuxième étage au cours du printemps. Eh bien, je vais aller voir la supérieure et exiger qu’elle me la cède.
- Tu crois que ce sera possible?
- Ma parole! Entre-temps, toi, tu vas intercéder en ma faveur au près du père Jean-Joseph. Tiens, tu vas transcrire la lettre que voici et la lui envoyer.
Julie nourrissait des sentiments ambivalents à l’égard de son oncle Jasmin. Il était d’une tendresse exquise avec elle. Une tendresse que son père ne savait guère lui prodiguer. Elle sentait, oui, qu’il l’aimait, qu’il la protégeait, qu’il la couvrait d’une bienfaisante chaleur. Ainsi chaque acte d’abus sexuel se noyait-il dans des effusions d’amour, qui embrouillaient ses repères et paralysaient complètement ses énergies réfractaires à de tels comportements envers elle.
Rien sur la planète n’égalait l’importance de la naissance de ce précieux trésor qui venait sceller leur amour. Elle s’appellerait Julie, nom qui lui seyait à merveille, c’était l’évidence, rien qu’à la regarder.
Comme un vase fragile, ils l’avaient ramenée à la maison et l’avaient introduite dans la chambrette, petit sanctuaire où tout avait été prévu pour l’accueil de ce bébé tant désiré, dont le moindre vagissement ferait accourir ses parents.
Sa recherche de l’âme sœur n’avait donc jamais eu de cesse. À chaque nouvelle conquête, il essayait de se convaincre que celle-là était la bonne. C’était à croire que le degré de ses attentes s’ajustait à son désir impérieux de reformer un couple durable. «On ne peut pas tout avoir dans la vie, répétait-il volontiers dans son entourage. À trop chercher l’idéal, on risque de rester seul. Après tout, je suis loin d’être parfait moi-même.»
La venue de Julie avait eu l’heur de consolider leur union, de la transformer en une vraie petite famille. L’avenir ne lui avait dès lors paru envisageable que dans l’épanouissement de cette cellule familiale. Il se plaisait à répéter que l’image de l’angle, dont les branches s’écartent à l’infini, illustrait le mieux sa vision de leur avenir ensemble.