Longtemps, elle le cherchera, elle croira parfois reconnaître la lueur verte dans un oeil inconnu, elle croira retrouver le goût de la source dans le baiser échangé. Mais toujours elle se heurtera au même obstacle : la peur ancrée en elle, la peur inavouable, insurmontable de l'enfant face au dard.
Pendant des siècles et des siècles, les pédophiles ont abusé et joui des enfants en presque totale impunité. En ces années 1950, ces pervers ordinaires n'avaient guère à craindre de la justice. Au reste, le principe prévalant de l'époque était de laver son linge sale en famille -lieu de la plupart des crimes, comme vous le savez ; le linge pouvait d'ailleurs rester longtemps à stagner et puer dans la panière, ça ne changeait rien à la croyance. De même, le silence était d'or ; on apprenait aux femmes, dès leur plus jeune âge, la discrétion. Rien ne servait de dévoiler, de mettre sur la place publique ces façons impudiques d'hommes un peu trop portés sur la chose.
Elle aurait l'impression de salir leur fille candide, comme si parler de l'une souillait l'autre. Mais n'est-ce pas lui le malpropre, l'immonde ? Pourquoi est-ce elle qui la ressent cette souillure ? Pas lui!
En détruisant son innocence, le cousin a peuplé son monde de prédateurs. "Tous coupables!", comme le proclame l'intraitable inspecteur de Melville, dans le cercle rouge. "N'oubliez pas, tous coupables!"
Ils confondent pouvoir et érection. Humilier, rabaisser les filles est une façon d'affirmer leur puissance.