Pour la poésie française, le XXe siècle s'annonçait sous les plus heureux auspices. Le prestige de Mallarmé et de Rimbaud, autour de 1900, était immense, et on considérait alors que la poésie, qui apparaissait comme le cœur même de l'esthétique de la modernité, voyait s'ouvrir devant elle un avenir radieux et se trouvait aussi en mesure sinon de régner seule en tout cas de conférer un statut inférieur à tous les autres genres littéraires, coupables d'utiliser la langue de " l'universel reportage ", étiquette infamante. Ainsi, Breton et Valéry firent état, on l'a vu, de leur mépris pour le roman, — genre devenu à leurs yeux caduque. Et Breton récusa aussi le théâtre. Pareil optimisme ressemblait beaucoup à de l'aveuglement. L'esthétique moderne se révélera en effet, à moyen terme, calamiteuse pour la poésie, comme cela deviendra patent après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque s'installera une coupure avec le public et lorsque la poésie à laquelle rêvaient Breton ou Valéry ne se cultivera plus que dans de tout petits cénacles d'initiés, dépourvus d'audience et totalement ignorés du plus grand nombre. Comment en est-on arrivé là ? Et comment les dadaïstes, les surréalistes et même Paul Valéry ont-ils contribué à altérer et à dégrader la poésie dans l'esprit des lecteurs ?
Partie 3, FONDATION ET RÈGNE DE LA MODERNITÉ, C : De l'affaire Dreyfus à Mai '68, 4) La poésie.
Au XVIIIe siècle, par exemple, les philosophes avaient déjà utilisé l'Antiquité classique contre le christianisme : guide de toutes les nations et de tous les âges, la Grèce était considérée comme un modèle de culture émancipée de tout dogme religieux; et aux Grecs reviendrait l'honneur d'avoir découvert la primauté de la raison. Cette admiration professée pour la Grèce n'allait cependant pas sans réserves: les superstitions antiques et les dieux de la mythologie représentaient, aux yeux de Voltaire notamment, le produit de l'imagination puérile d'une humanité encore au berceau. Il reviendra au XIXe siècle - et particulièrement à Nerval - de réhabiliter le polythéisme des Anciens et de faire succéder une grécité des mystères à la grécité "solaire", ou d'or, célébrée par la France classique. (p.152-153)
Les philosophes du XIIIe siècle se sont employés par leurs écrits à renverser de son piédestal la religion chrétienne pour élever une statue à la triade formée par la raison, la science et le progrès. p.79
Fidèle au passé, l'écrivain romantique ne peut guère que se trouver en conflit avec la société européenne du XIXe siècle, assoiffée de progrès, insoucieuse de ses racines et de ses origines. A l'encontre des impératifs d'ordre, de propreté, d'uniformisation, de symétrie ou de modernité, la volonté de perpétuer ce qui subsiste du passé est aussi une revendication de liberté. (p.226)
Une fiction permet parfois d'expliquer la réalité mieux qu'une savante dissertation historique. - p.101