Citations de Maurice Herzog (93)
Parmi vous, beaucoup n'étaient pas nés au moment de l'Annapurna. Vous savez pourtant qu'en atteignant ce sommet, j'ai réalisé un rêve qui m'était cher. Pour la première fois dans l'histoire, un grand de l'Himalaya, le Toit du monde, était conquis. Ainsi est rempli notre but. Ainsi étaient concrétisées des années de sacrifices et de prières.
L'Annapurna, vers laquelle nous serions tous allés sans un sou vaillant, est un trésor sur lequel nous vivrons. Avec cette réalisation c'est une page qui se tourne... C'est une nouvelle vie qui commence.
La montagne nous a dispensé ses beautés que nous admirons comme des enfants naïfs et que nous respectons comme un moine l'idée divine.
L'Annapurna, pour chacun de nous, est un idéal accompli : dans notre jeunesse nous n'étions pas égarés dans des récits imaginaires ou dans les sanglants combats que les guerres modernes offrent en pâture à l'imagination des enfants.La montagne a été pour nous une arène naturelle où, jouant aux frontières de la vie et de la mort, nous avons trouvé notre liberté qu'obscurément nous recherchions et dont nous avions besoin comme du pain.
Le soleil est au zénith. Le temps est radieux, les couleurs magnifiques.
Jamais la montagne ne m'a paru aussi majestueuse que dans ces instants de grand danger.
Il fait un temps merveilleux. La neige est tombée en quantité hier. La montagne est resplendissante. Jamais je ne l'ai vue aussi belle. Notre dernier jour sera un beau jour.
Des images se succèdent dans ma tête...
La vallée de Chamonix où j'ai passé les plus belles heures de ma jeunesse, le mont Blanc qui m'impressionnait tant! Enfant, lorsque je voyais rentrer "ceux du mont Blanc", je leur trouvais un air bizarre, dans leurs yeux brillait une flamme étrange.
Il est des minutes où les actions les plus complexes se résument, se condensent et vous apparaissent avec une clarté lumineuse : ainsi cette irrésistible poussée qui a mené notre équipe ici.
Ma joie se teinte d'humilité. Ce n'est pas seulement une cordée qui a gravi aujourd'hui l'Annapurna, c'est aussi une équipe. Je pense à tous mes camarades accrochés dans les camps, dans les pentes à nos pieds et je sais que c'est grâce à leurs efforts, grâce à leurs sacrifices que nous réussissons aujourd'hui.
Nos prédécesseurs dans ces hautes montagnes défilent dans ma pensée : Mummery, Mallory et Irvine, Bauer, Welzenbach, Tilman, Shipton, etc. Combien sont morts, combien ont trouvé sur ces montagnes une fin qui était pour eux la plus belle?
Lachenal tape des pieds : il sent le gel. Moi aussi! Mais je n'y fais guère attention. Le plus haut sommet qui ait été conquis! Il est sous nos pieds!
Impossible de construire un cairn ici : il n' y a pas de pierres, tout est glacé.
Pourtant, je ne peux m'habituer à cette idée que nous avons gagné. Il me semble incroyable de fouler cette neige.
Je suis étreint par l'émotion. Jamais je n'ai éprouvé de joie aussi grande ni aussi pure.
Il est inconcevable, brusquement, de réaliser son idéal et de se réaliser soi-même.
La mission est remplie. Mais quelque chose de beaucoup plus grand est accompli. Que la vie sera belle maintenant!
Des nuages flottent à mi-hauteur. Ils cachent la douce et fertile vallée de Pokhara à 7000 mètres en dessous. Plus haut, rien!
Le sommet est une crête de glace en corniche. Les précipices de l'autre côté sont insondables, terrifiants. Ils plongent verticalement sous nos pieds. Il n'en existe d'équivalents dans aucune autre montagne au monde.
Mais oui! Un vent brutal nous gifle.
Nous sommes... sur l'Annapurna.
8078 mètres.
Notre coeur déborde d'une joie immense.
"Ah, les autres! s'ils savaient!"
Si tous savaient!