On appellera "théâtre politique" tous les spectacles à contenu ou à connotation politique, quelle que soit la scène (qu'elle soit publique ou privée) et quel que soit le discours défendu (réactionnaire ou révolutionnaire). Le "théâtre militant" est celui qui défend ouvertement une idéologie, une cause, généralement celle des opprimés. Le "théâtre contestataire" se définit par trois traits : il défend aussi une cause politique mais en filigrane, privilégiant l'esthétique par rapport à l'idéologie; il est crée dans des conditions particulières, qu'il s'agisse de la production financière proprement dite ou du travail de répétition; enfin, cette esthétique se caractérise par des signes scéniques précis : le jeu des acteurs, la mise en scène, la scénographie prennent un sens politique. Le théâtre contestataire ne se caractérise pas par son discours politique mais par le signe théâtral lui-même, qui se charge d'une connotation politique. C'est la différence essentielle entre théâtre militant et théâtre contestataire.
Parce que ses revendications ne sont plus matérielles mais avant tout identitaires, le théâtre contestataire ne s'affiche pas ouvertement comme théâtre militant. Il n'est pas sous-tendu par un discours idéologique, il livre ses propositions directement dans son esthétique. Son répertoire d'action est plus souple et plus inventif.
La censure naît en même temps que le théâtre, en Grèce antique. Elle persiste, tout particulièrement dans les régimes autoritaires. Car le théâtre sait remettre le pouvoir en question et le critiquer, en ironisant sur la conduite des dirigeants, en suscitant le rire des foules. Il peut renverser les barrières sociales le temps d'une représentation, ou lors des fêtes carnavalesques. Il peut tout aussi bien s'institutionnaliser, appuyer le pouvoir en place, conforter l'ordre social. S'il est souvent utilisé à des fins politiques et/ou pédagogiques, il peut être aussi impitoyablement censuré, en raison de sa force corrosive et des craintes qu'il suscite.
Le théâtre est un monde à la fois concurrentiel et affectif.
L'objet « théâtre contestataire » ainsi circonscrit répond donc à trois critères : la défense d'une cause politique en filigrane ; un mode de production et/ou de création spécifique ; et des signes scéniques à connotation politique.
Mais le rire n'est possible que sous certaines conditions. C'est une forme d'expression ambiguë, qui peut servir tout aussi bien à délégitimer les élites au pouvoir, en les caricaturant par exemple, qu'à renforcer leur domination. Et il peut être aussi utilisé, instrumentalisé, pour produire des émotions susceptibles, à terme, de rallier les spectateurs à une cause.
Peut-on tout représenter au théâtre ? Comment parler de la répression exercée par la dictature ? Comment mettre en scène des expériences de torture, des viols, des meurtres, de manière suffisamment choquante pour heurter le public et le faire réagir, tout en gardant une relative distance pour qu'il ne quitte pas la salle face à des scènes insoutenables ?
Le théâtre contestataire est une conjugaison du théâtre dramatique et du théâtre épique, qui mêle émotions et prise de conscience réflexive. Il est donc vain d'opposer raison et émotions, identification et distanciation. Bien au contraire, éprouver des émotions fortes peut permettre d'atteindre un degré plus élevé de conscience politique.
Une analyse sémiologique rigoureuse d'une pièce de théâtre contestataire demande à se pencher sur tous ces signes corporels : combien y a-t-il d'acteurs sur le plateau ? Comment se déplacent-ils ? Que font-ils ? Ce qu'ils font est-il autorisé ou non dans l'espace public ? Autant de questions qui constituent un premier pas dans l'analyse.
Le théâtre contestataire ne doit pas se réduire à son contenu idéologique. Il exige un bouleversement des formes théâtrales.