Le pire restait à venir. Il arriva deux jours après le diner d'lrène, lorsque le pape le convoqua à 21 heures pour lui confier qu'il avait décidé d'agir immédiatement. II fallait régler la question des femmes en comnmençant par le sommet de la hiérarchie, scanda Ignace, sans élaborer de réformes progressives, sans immobilisme diplomatique. Il s'agissait ainsi de démanteler la résistance de la curie, conformément aux indications qu'il avait déjà données au lendemain du conclave.
- Il est nécessaire, indispensable même, de remplacer le secrétaire d'Etat, et pour cette charge, C'est une femme que je veux.
- Mais Saint-Père..., bafouilla Gregorio, qui faillit s'étrangler.
- Et je veux la nommer cardinale. Dans l'histoire de l'Église, il y a bien eu des cardinaux qui n'avaient même pas été prêtres...
L'Eglise n'a pas cherché à définir en quoi consiste réellement, de son point de vue, la différence féminine. Voilà la question-clé, et c'est de sa réponse (ou de son manque de réponse) que découle la marginalisation des femmes dans le monde catholique.
Un seul document, Mulieris dignitatem, aborde ce problème. Il s'agit d'une ode au génie féminin centré sur la maternité qui propose une image idéalisée et romantique, et incontestablement flatteuse, de la femme - de manière peut-être d'ailleurs un peu trop emphatique. Aujourd'hui pourtant, les femmes catholiques évoquent ce document avec une certaine lassitude : tant de louanges n'ont en effet été suivies d'aucune avancée concrète favorisant une présence moins sacrifiée des femmes dans la vie de l'Église. Si bien que le document, quand on le regarde après coup, a presque des accents de railleries.
L'Eglise ne peut sortir du scandale des abus sur les mineurs - comme de celui des violences contre les religieuses qui apparait enfin au grand jour - si dans une nécessaire réaction elle ne met pas les femmes à contribution en leur confiant des postes de responsabilité.
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Les relations vivantes et suivies avec les religieuses nouées grâce aux rencontres et aux lettres, ainsi qu'aux échanges avec les trois sœurs membres de la rédaction, nous mettaient souvent en présence d'une réalité déroutante par rapport à la sensibilité "féministe" catholique en général. En voici un exemple: en mai 2016, lorsqu'en réponse à la demande des supérieures générales réunies en assemblée mondiale, le pape François a décidé d'affronter une fois encore le problème du diaconat féminin en constituant une commission ad hoc - ce qui laissait espérer une ouverture institutionnelle pour les femmes - , nous avons été submergées de lettres, voire d'appels téléphoniques, pleines d'inquiétude.
Ce qui semblait être, en théorie, un progrès pour les femmes dans l'Église faisait peur aux missionnaires: depuis des décennies, elles remplissaient le rôle de diaconesses dans des lieux perdus où le prêtre passait une fois par an pour consacrer les hosties et célébrer la messe, aussi ne voyaient-elles pas le projet d'un bon œil. Elles craignaient que le diaconat ne soit accordé qu'aux femmes qui avaient suivi un cours de théologie approprié et réussi les examens le sanctionnant. A elles qui remplissaient cette fonction depuis de si nombreuses années, que resterait-il? [....]
Telle était la réalité, plus complexe et surprenante que toute discussion théologique, qui se manifestait et révélait la situation paradoxale qu'aurait créé une nomination institutionnelle. Naturellement, dans la réalité, le danger de l'accès des femmes au diaconat n'existait pas, on l'a vu, parce que leur consécration comme diaconesses était jugée trop proche du sacerdoce et donc périlleuse.
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Évacuer la procréation de la sphère de la productivité humaine signifie qu'on la considère comme une forme d'esclavage, une sorte de travail déshonorant. Et cela touche aussi toutes ces activités de soins qui lui sont liées, ces activités féminines par tradition, comme l'éducation des enfants, le soin des malades et des personnes âgées. Toutes ces choses qui, dès qu'on le peut, sont aujourd'hui confiées à des personnes qui se trouvent en bas de l'échelle sociale, des personnes incapables ou dans l'impossibilité d'accéder à d'autres métiers. De cette manière, tout ce qui constituait autrefois le rôle féminin se voit monnayé et déprécié. Il est naturel alors que les jeunes femmes cherchent à échapper à un tel sort, sans penser qu'on leur refuse ainsi la possibilité de créer de nouveaux et profonds rapports humains. Et l'on finit par vivre dans une société inhumaine, qui ne reconnaît plus la valeur de la solidarité, de la gratuité, de la richesse d'une réciprocité non monnayée.
Il faut pourtant bien admettre qu'on ne peut plus proposer aux jeunes d'aujourd'hui l'idée traditionnelle selon laquelle la femme serait née pour se résigner, pour montrer son courage en supportant la souffrance. De nos jours, on n'admire le courage des femmes que si elles luttent contre cette résignation, dont je viens de parler, que si elles manifestent leur volonté de "vivre leur propre vie".
La chose est complexe mais une chose est claire: on ne peut y apporter de solution en discutant seulement de théologie. A plusieurs reprises, le pape François a affirmé la nécessité "d'une théologie approfondie de la femme", ce qui signifie, nous le savons, une anthropologie théologique où la femme est l'objet et non le sujet. Ce serait donc une théologie écrite par des hommes pour les femmes, ce qui n'a donc rien à voir avec la théologie féministe qui est approfondie depuis quelques années par des chercheuses dont les qualifications et le sérieux sont indiscutables.
Cette exclusion va de pair avec la continuelle exaltation du "génie féminin", invoqué d'ailleurs comme antidote à une transformation de l'identité féminine dans le sens d'une masculinisation toujours plus accentué et donc d'un effacement de la différence sexuelle. Mais même si la nécessité et la beauté du "génie féminin" sont sans cesse proclamées et invoquées dans les documents ecclésiastiques, il semble de fait que l'Église réussisse aisément à s'en passer, restant donc enfermée dans un monde masculin replié sur lui-même.
Mais en séparant la théologie de l'histoire et en en faisant une sorte de fétiche, on risque de perdre aussi le sens de son développement dans le temps, et son lien avec les contextes culturels et sociaux dans lesquels elle a été élaborée. Concrètement, le danger est celui d'une idéologisation excessive engendrant des théories de plus en plus éloignées de la réalité, comme dans les anciennes élaborations gnostiques qui revenaient régulièrement, en oubliant que le christianisme se fondé sur la croyance en l'incarnation et est donc enraciné dans l'histoire.
Justement, c’est pour le bien de l’Eglise que vous devez réagir et vous battre ! Personne ne vous accordera quoi que ce soit, si vous ne l’exigez pas, avec fermeté. Tu vois, c’est comme pour la liberté : personne ne te la donne, tu dois la prendre, c’est tout. Vous avez le devoir de modifier l’état actuel des choses : on ne trouve des noms de femmes que les avis de décès de l’Osservatore romano en tant que mères de quelque cardinal…
L'Eglise est maintenant confrontée à une double mission: d'une part, devenir plus parfaitement masculine et féminine, et d'autre part, sauver les valeurs féminines, sans maintenir les femmes dans le gynécée des qualités attrayantes et passive, d'où elles veulent sortir afin d'être traitées simplement et authentiquement comme des personnes.