Louise Cooper

Je ne prends certainement pas fait et cause pour le Chaos, et je n’aime pas plus cette situation que quiconque. Cependant, il semble évident qu’il n’y a rien à faire dans l’immédiat pour la faire évoluer. Il est clair que vous et le Seigneur Ailind êtes aussi puissants l’un que l’autre, ce qui ne devrait pas nous surprendre, vu qu’il s’agit sans doute de l’essence même de l’Équilibre. Et, comme vous le disiez, vous avez au moins un objectif commun : détruire l’usurpatrice qui menace chacun d’entre nous. (

Si au plein cœur de cette crise nous ne savons pas mieux faire que de nous laisser aller à des chamailleries et à des crises de colère, reprit-elle, alors, quel que soit notre dévouement, je crains que nous n’ayons que peu d’espoir.

C’est une mauvaise habitude que, contrairement à ce que les mortels peuvent penser, nous autres du Chaos choisissons généralement d’adopter. Telle est notre nature, Haut Initié, comme tu le saurais si tu avais appris ton catéchisme un peu plus objectivement.

Les esprits des deux adversaires avaient quitté le monde des mortels pour s’affronter dans une incroyable dimension ; le premier mortel assez stupide pour s’interposer serait immédiatement balayé et réduit en poussière.
Personne ne fut en mesure d’évaluer combien de temps avait duré ce défi silencieux. Pour certains, seuls quelques instants s’étaient écoulés ; pour d’autres, c’était comme si une vie entière avait passé tandis que les deux adversaires se tenaient face à face, muets, immobiles, dans ce conflit pourtant terrifiant. Même si le feu et les flambeaux brûlaient parfaitement, ils semblaient n’avoir aucune puissance ; de longues ombres coulaient au travers de la salle, dessinant des motifs évocateurs des pires cauchemars ; les imaginations les plus débridées saisirent même les échos effroyables de rires surnaturels et de murmures monstrueux.

La voix majestueuse du Vortex, semblable aux cris d’un millier d’âmes torturées, se heurta à leurs sens ; le hurlement strident de l’ouragan qui accompagnait et dominait l’orage fit trembler les fondations du Château. Des éclairs écarlates, émeraude et argentés déchirèrent le firmament en s’abattant sur la salle ; ses occupants paniqués se bousculèrent en un tableau vivant sauvage et destructeur. Et surplombant le tout, haut dans les cieux déchaînés, les immenses bandes sombres de couleurs ténébreuses s’enroulaient inexorablement en parcourant le monde.

Tout dépend de la durée de la crise, répondit-il. Dieu merci, toutes les caravanes rapportant l’impôt sont arrivées ici avant que nous soyons effectivement assiégés, nos réserves hivernales sont donc à leur niveau habituel. Cependant, il est vrai que nous recevons généralement d’autres dîmes au printemps, dès que le temps s’améliore suffisamment pour rendre les Montagnes de nouveau praticables. Mais cette année… comme vous le dites, nous ne pouvons être sûrs de rien.

Pour des raisons qui lui appartenaient, Ailind, Seigneur de l’Ordre et frère d’Aeoris, tenait à garder secrète sa présence dans le monde des mortels. Et même s’il avait gagné l’amitié des Adeptes, il avait aussi veillé à ne pas exercer son influence – du moins pas publiquement.