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Citation de michelekastner


Une fille faisait la moue quand je récitais ma documentation, cette suite de décrets atroces : "Tout ça est vrai. Mais... On était tellement sûrs que ça ne changerait jamais qu'on s'organisait pour durer, on avait cette vigilance intérieure, pas un instant on n'oubliait que ce qu'on nous faisait réciter était faux. Du coup, on se sauvegardait une vie en dehors de l'Etat. Le communisme ? Mais personne n'y croyait, enfin, pas même les sécuristes ! Alors que maintenant... Ils y croient ! Ils en veulent ! Ils sont prêts à tout pour entrer dans votre Union européenne, à genoux devant saint Libéral, ils sortent du boulot à 23 heures, tout ça pour quoi ? Je ne suis pas partie en vacances depuis six ans ! Mes parents eux, sous Ceaușescu, allaient à la mer et à la montagne, au restaurant, au concert, au cirque, au cinéma, au théâtre ! Tout le monde gagnait plus ou moins la même chose, les prix n'augmentaient presque pas ! Ils avaient constamment peur, c'est vrai, peur qu'on ne les entende dire des choses interdites, aujourd'hui, on peut tout dire, seulement personne ne nous entend... Avant, on n'avait pas l'autorisation de sortir de Roumanie, mais aujourd'hui, personne n'a les moyens de quitter le pays... Ah, la censure politique est terminée, mais pas de souci, elle a été remplacée par la censure économique ! Avec ce régime pseudo-libéral qui fait mine de cajoler tandis qu'il empoisonne, on l'ingère parce qu'il n'a pas tout à fait le goût d'un ennemi, on finit par y croire, et à la fin, dans quel état ça vous laisse ? Vidée ! Le communisme a détruit le pays ? Mais aujourd'hui, des sociétés canadiennes chassent les habitants de leur village et s'apprêtent à faire exploser nos montagnes pour explorer les gisements de gaz de schiste, avec la bénédiction du gouvernement roumain, un sacré contrat ! Ceaușescu a démoli la ville, disent nos parents ? Mais cette nuit, à 4 heures du matin parce qu'ils craignent les opposants, les promoteurs ont fait tomber une ancienne halle, un lieu historique de Bucarest... Pour le remplacer par quoi ? Un supermarché ou des bureaux. C'est quoi votre modèle ? Crever de faim dans la rue ou mourir de solitude dans son appartement ? L'ennui à crédit ? Parvenir-réussir-arriver ? Où ça ?? J'en ai marre d'être obligée de vous désirer, le rêve occidental, ah, ces pauvres crasseux de l'Est à qui vous ne cessez de faire la leçon avec votre merveilleuse démocratie idéale, ça va, on a compris !"
"Ecrivez-le s'il vous plaît, avant, personne n'avait envie de regarder ces émissions idiotes et patriotiques à la télé, du coup, on sortait, on vivait dehors, pas recroquevillés chacun chez soi, on partait à la campagne tous ensemble, écrivez-le, oui, on avait peu de produits, mais quinze sortes de café, vraiment, pourquoi ? On faisait de la musique et de la danse gratuitement, vous avez noté ça ?" s'inquiétaient-ils, garder la trace de ce versant-là et pas que les témoignages amers de leurs parents, leur terrible version, les tickets de rationnement, la surveillance, le froid, la peur. Je notais pour prendre acte, je notais la ville, les gens, le pays, les mots, comme s'il y avait eu quelque chose là-dedans, des indices, je notais, chaque commerçant m'accueillait d'un "spuneti ?" (dites-moi ?), que je traduisais par avouez, dites ce que vous avez à dire, je pensais sans cesse à ça, est-ce qu'elle avait dit ce qu'elle avait à dire, est-ce que je l'avais entendue. Je prenais note de ce pays qui vous a fabriquée, arborée et que vous avez quitté le 28 novembre 1989.
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