Kotoko Hachijo

Les jours qui suivirent, le changement de « Kagiura » à « Kagi » ne fut qu'une différence négligeable dans le quotidien de ce dernier. Du moins, dans un premier temps.
En effet, lorsqu'ils croisèrent I'intendant Hanzawa au réfectoire quelques jours plus tard, ce dernier lâcha d'un air impressionné :
- Dis donc ! C'est rare que Hirano donne un surnom à quelqu'un !
Ce à quoi l'intéressé répondit d'un air désinvolte :
- Bah, cest plus court, quoi.
Mais, après cette réflexion, Kagiura avait passé tout le reste de la journée à penser à cette attention *particulière* envers lui.

En l'absence de Hirano, qui rentrait toujours avant lui en temps normal, la pièce ne dégageait pas la même atmosphère ni la même odeur.
Kagiura se souvint de ces mots : « Une maison est un être vivant : quand ses habitants sont absents, elle dépérit. » C'était ce que disait toujours son grand-père, insistant pour que leur maison de campagne, qui disposait de chambres inutilisées, soit bien remplie pendant les vacances d'été. Des paroles auxquelles il n'accordait que peu d'importance autrefois : mais, à présent quil était parti de chez lui, il avait l'impression de mieux comprendre ce qu'il entendait par là.
*Quand il n'y a personne, c'est triste.*
Et plus on est de fous, plus on rit.

Cependant, au milieu du repas, les baguettes de Kagiura restèrent figées en l'air. Le plat était très bon, mais...
- Qu'est-ce qui te prend ? T'aimes pas les poivrons, c'est ça ?
Ces mots lui firent l'effet d'un choc électrique et, comme poussé par une force invisible, le garçon tenta de remuer ses baguettes. En vain.
- En effet...
Penaud, Kagiura baissa la tête, mais Hirano le regardait d'un air plus songeur qu'agacé.
- Va falloir t'endurcir d'ici la fin du lycée. Allez, je te les prends. «Hop ! » Une aura de lumière semblait envelopper Hirano tandis qu'il attrapait prestement la nourriture mise de côté avec ses baguettes. Kagiura était étonné qu'il fasse preuve d'une telle bienveillance avec un garçon d'à peine un an plus jeune que lui.
- Merci...
Après avoir mastiqué un moment, Hirano se contenta de dire que c'était délicieux. Kagiura était si sûr de se faire réprimander que la gentillesse de son geste le toucha encore davantage.

Hirano, cette personne si importante, si chère à ses yeux, avait dit qu'ils étaient amis. Une vague de joie se répandit dans son corps tout entier et ces mots qui venaient du fond du cœur franchirent ses lèvres - cette fois accompagnés d'un sourire rempli de bonheur :
- Je suis vraiment heureux de t'avoir rencontré, Hirano.

- Pour ton anniversaire.
En prononçant ces mots, Kagiura lui tendit le petit sac. Les yeux de Hirano s'écarquillèrent.
- Hein?
D'abord, la surprise. Puis il regarda l'horloge à nouveau et se mit à pouffer.
Le premier août, minuit pile.
II s'efforçait de ne pas élever la voix pour ne pas réveiller la maisonnée, mais il avait mal au ventre à force de se retenir de rire - tout était si bien calculé qu'il n avait rien vu venir. Kagiura fut d'abord visiblement confus devant l'hilarité de Hirano, mais en le voyant tenir fermement le cadeau entre ses mains, un sourire satisfait apparut sur son visage.
- Joyeux anniversaire, Hirano.

En réalité, le sourire narquois de Niibashi montrait qu'il avait bien compris. Cela faisait assez longtemps que Kagiura faisait l'éloge de son colocataire sur un ton dégoulinant d'affection.
- Ah... Je crois que je l'aime beaucoup...
Au cours de ces derniers jours, les preuves du contraire s'étaient envolées les unes après les autres.
- Ça se voit à des kilomètres, et toi t'es pas sûr ?
- Ouais, « je crois » ! Parfaitement !
En répétant ces deux mots à voix haute avec insistance, il avait l'impression de pouvoir encore se voiler la face.

- Ces boucles d'oreilles te vont vraiment bien, Hirano.
Un sourire rempli de fierté étira le visage de Kagiura : il savait qu'il avait fait le bon choix.
- C'est parce que tu les as choisies, Kagi.
On ne pouvait pas dire qu'ils étaient ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais Kagiura était la personne qui passait le plus de temps en sa compagnie, tous les jours, entre son retour à l'internat et son départ à l'école le lendemain matin.
Si quelqu'un pouvait lui trouver les boucles d'oreilles parfaites, c'était bien lui.

“Say you’ve got someone who wakes you up in the morning, eats all your least favorite foods for you, helps you study, is kind to you, and when they suddenly break into a smile, it takes your breath away. It would be hard not to like a person like that, right?” Kagiura asked, adding that this person even visited you on summer vacation.

Niibashi looked a little exasperated. “Kagiura! Are you mooning over your girlfriend first thing in the morning? This is an all-boys school—you know that kind of talk puts a target on your back!”

Tandis que Kagiura cachait son visage avec son journal, mortifié, Hirano tentait de s'excuser entre deux hoquets.
- Oh là là ! Je te jure, je veux une femme aussi adorable que toi pour quand je me marierai !
À cet instant, le temps sembla se figer.
- ?!
Kagiura se raidit et le journal lui tomba des mains.
- Ah, c'est l'heure du repas. Allons-y !
*Est-ce qu'il se rend compte de ce qu'il vient de dire ?*
Il lui avait porté un coup direct, comme si de rien nétait.
Pétrifié de stupeur, Kagiura arriva en retard au diner.

- [... ] Kagiura... Au fait, c'est un peu long à prononcer. Est-ce que je peux t'appeler Kagi ?
Surpris par cette question qui sortait de nulle part, Kagiura le regarda d'un air perplexe.
- Hein ? Ah, oui, si tu veux. Se demandant ce qui lui prenait tout à coup, Kagiura inclina la tête d'un air confus puis, sous le regard de Hirano, sortit de la chambre pour rejoindre la salle de bains.