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Citation de Cleophyre_Tristan


Rapidement, en quelques lignes, nous devons dire quelle avait été la vie de Jeannine depuis le suicide de Vilmorin.
Et d'abord, pourquoi Vilmorin s'était-il tué ?
C'est que Jeannine, qui, la veille encore, après avoir entendu les promesses de Martial, aimant quand même, aimant toujours, renaissait à l'espérance, Jeannine avait eu une révélation terrible...
Elle était enceinte...
Elle avait voulu en avoir la certitude... avait couru chez un médecin... et elle en était revenue en se disant que, cette fois, c'en était fait de son bonheur et de sa vie, et que c'était la honte jusqu'au dernier jour... Ce nouvel aveu, tombant sur Vilmorin au moment où la dernière conversation de Navarre, rapportée par sa fille, lui faisait croire encore à des jours plus calmes, enleva ce qui lui restait de courage...
Il eut un accès de folie, pendant lequel il ne réfléchit point que sa fille allait se trouver dans un isolement affreux, déshonorée et abandonnée, et il se brûla la cervelle...
Jeannine, après avoir vu son père sanglant, était restée une heure évanouie... Quand elle revint à elle, quand elle comprit quelle allait être sa vie désormais, elle s'enfuit, erra dans Paris plusieurs jours, soutenue par la fièvre, sans pensée fixe, et ce fut seulement lorsque la faiblesse la prit, et une immense fatigue, que sa surexcitation s'apaisa et qu'elle devint plus calme.
D'abord, la misère l'effraya...
Elle songea à retourner à Neuilly, dans cet intérieur confortable, au milieu de ce luxe auquel elle était habituée.
Mais la honte fut la plus forte.
Elle était courageuse; elle avait une énergie mâle; ce découragement ne dura guère.
- Retourner à Neuilly, se dit-elle, retrouver là tous ces souvenirs vivants pour ainsi dire autour de moi... Voir la pitié d'abord, tant que mon déshonneur ne sera pas connu, l'ironie ensuite et le délaissement lorsqu'on saura tout... Non, c'est plus fort que moi... Je ne pourrais pas... Je ne pourrais pas...
Elle allait d'hôtel garni en hôtel garni, vivant de la vente des bijoux qu'elle avait emportés.
Des mois s'écoulèrent; elle accoucha d'une fille.
Quand elle fut remise, ne craignant plus maintenant d'être malade, elle se fit cette horrible opération qui l'avait défigurée. Les souffrances furent atroces. On voulut l'envoyer à l'hôpital. Elle s'y refusa. Un mois après, elle était guérie. Elle changea de quartier pour se faire oublier de ceux qui l'avaient vue... Elle voulait recommencer une vie nouvelle, maintenant que, sur son pauvre visage déformé, il n'y avait plus rien de commun avec la Jeannine d'autrefois. Elle voulait aussi, maintenant qu'elle était à l'abri de tout soupçon, remuer Paris pour trouver l'infâme, faisant naître les occasions, attendant un hasard, avec la patience du sauvage.
Elle était habile de ses mains... Elle trouva de l'ouvrage... Elle en trouva beaucoup... Elle ne souffrit donc point et put élever la petite Diane, maladive et souffreteuse, qui demandait des soins constants... Ah ! Le drame funèbre des premiers temps de cette enfance, qui le dira ?...
Quand la petite vint au monde, des idées sanglantes passaient dans la tête de la mère... La haine vouée au père inconnu retombait sur l'enfant... Et cela, d'instinct, sans raisonnement...
Quand le petit être cria, elle eut un soubresaut, et, les mains sur les oreilles, presque debout sur son lit ensanglanté :
- Emportez-le !... Emportez-le !... Je ne le veux pas !... Ce n'est pas à moi !...
Et cette réflexion horrible :
- S'il pouvait mourir !...
Les premiers temps, elle refusa toujours de voir sa fille, refusa même de lui donner le sein... Mais l'enfant naît de la femme encore plus que de l'homme; ses entrailles maternelles finirent par s'émouvoir, et après bien des répulsions, des luttes douloureuses, le berceau de Diane, ce fut le sein, ce furent les bras de Jeannine... Ce ne fut pas le chaste embrassement où il semble que l'enfant n'a qu'une seule âme, une seule chair avec la mère... Ce ne furent pas les tendresses sans arrière-pensée, les sourires, les regards brillants d'amour de toutes les mères... Ce fut comme une affection inquiète où il y avait une immense pitié pour cet être né d'un crime, voué au malheur par sa naissance; ce fut parfois aussi une affection dont les témoignages avaient quelque chose de farouche... Même dans ses épanchements, on devinait la haine, non pour la petite, mais pour celui que ses yeux ne pouvaient s'empêcher de voir, derrière ce sourire d'innocente s'essayant aux premiers babils.
L'enfant grandit, au milieu des préoccupations de la mère, dans cette vie désolée, comme une fleur délicate au milieu de l'aridité nue d'un roc; et souvent Jeannine se surprenait à chercher sur ce jeune visage la ressemblance qu'elle attendait, espérant que la nature, aveuglement féroce, se servirait ainsi de la fille pour permettre à Jeannine de se venger du père.
Mais non; Diane aurait, cela était certain maintenant, tous les traits de la mère; chaque année ajoutait une indication qui enlevait un espoir à la fille de Vilmorin; elle retrouvait en Diane ses cheveux à reflets de bronze et son teint blanc, et ses lèvres ourlées, d'une carmin pareil à la fraîcheur d'une feuille de rose caressée par l'humidité de la nuit; et ses yeux bruns, au fond desquels miroitaient comme des paillettes d'or.
Et les années s'écoulaient.
Elle ne voulut confier à personne le soin d'instruire Diane; c'était pour elle une distraction et une joie de former ce jeune cœur.
- Puisqu'elle me ressemble, se disait-elle, puisqu'elle est, au physique, l'image frappante et singulière de ce que j'étais, je veux qu'elle soit bonne et douce et dévouée, ainsi que j'étais moi-même.
Et Diane répondait à ses soins.
Jeannine n'avait aucun souci de l'avenir pour l'enfant.
- Elle connaîtra maintenant la pauvreté, se disait-elle encore, mais plus tard elle sera riche...
En effet, la fortune de Vilmorin devait lui appartenir; Jeannine. elle-même, aurait pu la réclamer, se faire reconnaître... Sortir de cette gêne... Mais tels n'étaient pas ses projets.
- Quand je reviendrai dans ma famille, se disait-elle toujours, j'y rentrerai vengée et je pourrai dire ce qui s'est passé, sans crainte d'une rougeur, d'une honte, d'une défiance. Je reprendrai ma place la tête haute, non comme une fille-mère, mais comme une victime dont toute la vie a été consacrée à punir un coupable.
Elle n'ignorait pas que, bien qu'elle passât pour morte, cette fortune lui appartenait toujours et qu'elle aurait le droit, longtemps encore, de la réclamer.
Des années, l'espoir l'avait soutenue; elle avait reconstitué dans ses souvenirs les scènes qui précédèrent l'attentat; elle avait cherché, rodant aux alentours des hôtels, à chacune de ces fêtes où jadis elle allait, cherchant sur tous ces visages d'hommes, qu'elle examinait d'un œil perçant, la cicatrice indélébile de la déchirure qu'elle y avait faite.
Elle songea bien à Nertann; elle l'avait vu, la dernière fois, cette nuit-là du crime, chez Mme de Villemereux; mais la nouvelle s'était répandue dans Paris qu'à cette fête justement le baron avait été frappé d'une attaque d'apoplexie et qu'il était paralysé.
Ce ne pouvait donc être lui...
Et comme, depuis quinze ans; Nertann n'avait pas bougé de son fauteuil, elle ne songeait plus à lui, cherchait autre part, mais vainement.
La révélation de Laurence fut foudroyante.
Pendant deux jours, égarée, comme folle, Jeannine s'en allait, se parlant à elle-même, répétant :
- Nertann !... C'est Nertann !!
Et, tout à coup, une pensée lui vint :
- Mais il doit être mort !!!...
Elle courut avenue d'Eylim et n'eut pas de peine à apprendre, sous le premier prétexte venu, que Nertann vivait toujours. Ah ! Cet homme, elle voulait le voir, elle voulait se trouver à côté de lui, coûte que coûte...
Elle s'informa auprès des domestiques s'il ne serait pas possible de trouver de l'ouvrage dans l'hôtel. On l'adressa à Caroline, la femme de chambre de Josépha, qui répondit :
- Non, toutes les places sont prises, même à la cuisine... Nous n'avons besoin de personne...
Jeannine s'en allait, quand Caroline, subitement, après réflexion, la rappela : - Pourtant, dit-elle, si vous voulez que je vous conduise à madame.
- Puisque c'est inutile, dites-vous...
- C'est que, il y a peut-être un moyen... Vous m'intéressez, voyez-vous; vous êtes si laide que vous ne devez pas facilement trouver de la besogne... C'est un accident ?
- Une brûlure, oui. Mais quel est ce moyen ?
- Ça vous répugnerait-il d'être garde-malade ?
- Non... Je suis pauvre... Il faut que je gagne ma vie... Je n'ai pas le droit d'avoir des répugnances...
- Je comprends cela... C'est que nous avons un malade ici, un paralytique... La garde, chargée de veiller sur lui, nous a quittés ces jours-ci, et, dame ! Si vous voulez et si madame y consent...
- Je n'ai pas d'objection à faire, si ce n'est qu'en le gardant, je demande à travailler quand même de mon état de fleuriste...
- C'est votre affaire; je vais prévenir madame.
Caroline sortit et la vitriolée attendit, les paupières abaissées, pour cacher
l'éclat fiévreux de ses yeux.
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