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Citation de Cleophyre_Tristan


Ce projet inouï, dans son horreur, ne pouvait naitre que dans la tête d'une femme comme Josépha...
Ces êtres faibles ont souvent des barbaries sans nom.
Une fois ce projet conçu, elle songea à l'exécuter.
Cependant, et comme c'était là un moyen suprême, elle résolut de ne l'employer qu'après avoir épuisé toutes les chances qui lui restaient d'éloigner Jeannine de Martial Navarre.
Elle eut une entreprise hardie.
Un jour, elle s'en alla à Neuilly, frapper à la porte de la jolie maison isolée qu'habitait le peintre Vilmorin avec sa fille.
Ce n'était pas seulement Vilmorin qu'elle voulait voir, mais surtout et avant tout Jeannine. Comme elle se rencontrait souvent dans le monde avec elle, cette visite, qui du reste n'était pas la première, n'avait donc rien qui pût paraître étrange. Aucun bruit fâcheux ne courait sur la baronne, et Vilmorin ne pouvait songer à s'inquiéter d'une liaison toute mondaine, qui n'allait pas au delà des fêtes où il menait sa fille.
L'aveugle, justement, était sorti en voiture, avec un valet de chambre dévoué, le vieux Ned, qui était chargé de veiller sur lui, et jamais ne le quittait; le bois était proche, et c'était là, quand il faisait beau, qu'il passait la plus grande partie de ses journées.
Quand on introduisit Josépha, Jeannine était seule au salon; elle ne fut pas trop surprise à l'entrée de la jeune femme, et comme elle n'avait aucune raison pour lui faire mauvais accueil, elle s'avança vers elle avec empressement et lui tendit la main.
Mais, si près de sa rivale, Josépha sentait s'aviver, se décupler sa haine; ses yeux flamboyaient; elle eut comme un vague désir de sauter comme une bête fauve sur la frêle enfant sans défense, de la mordre sauvagement, de faire couler son sang, de lui entourer le cou de ses mains nerveuses, et de la voir, sous son étreinte, palpiter dans les convulsions de l'agonie...
La tentation fut si forte, un moment, qu'elle eut peur d'y céder, et recula...
Et Jeannine resta devant elle, la main tendue.
- Non, dit Josépha, je ne suis pas votre amie.
Alors, interdite, Jeannine demanda :
- D'où vient cette émotion, madame ? Remettez-vous. Est-ce à moi que vous voulez parler, ou bien est-ce mon père que vous désirez voir ?
- C'est vous, mademoiselle, vous d'abord, et votre père ensuite, si je ne réussis pas auprès de vous...
- Je vous écoute...
- Vous allez vous marier, mademoiselle, dit Josépha d'une voix si tremblante qu'elle était presque inintelligible, vous allez vous marier avec M. Martial Navarre... Eh bien ! Ce mariage ne se fera pas, ce mariage est impossible !
- Pourquoi, madame ?
- Parce que j'aime Martial et parce qu'il est mon amant.
Jeannine, bouleversée, pâlit, mais elle était aussi énergique que Josépha, quoique plus chétive en apparence; elle se redressa, la lèvre dédaigneuse, et l'or de ses yeux bruns eut une lueur rutilante.
- Moi aussi j'aime M. Navarre, et qu'il ait été ou non votre amant, je suis aimée de lui.
- En êtes-vous certaine ?
- Oui. Quant à ses maîtresses, je ne veux pas y penser. Le passé du mari n'appartient pas à la femme; seul, Martial aura le droit de me demander compte de mon passé. Quant à vous, madame, je vous plains, s'il est vrai que votre amour soit profond.
- Gardez votre pitié, mademoiselle... Car je vous trouve plus malheureuse que moi, si vous avez le triste courage d'épouser un homme dont le cœur ne sera pas à vous complètement...
- J'ai confiance en Martial, vous dis-je, et je suis sûre que, du jour où notre mariage a été décidé, il a rompu avec ses anciennes liaisons...
Josépha eut un rire de démon.
- Avec ses anciennes liaisons, peut-être, mais, à coup sûr, il en a formé de nouvelles...
- Vous mentez ! dit Jeannine, violente...
- Je jure que je dis la vérité...
Et se rapprochant de la jeune fille, comprenant que cette jeune âme était atteinte, qu'elle l'avait blessée cruellement :
- Savez-vous pourquoi Martial s'est battu ?
- À la suite d'une querelle dans un cercle, avec le baron, votre mari.
Elle haussa les épaules.
- Il s'est battu pour une femme !
- Et cette femme ?
- C'est moi ! J'étais sa maîtresse depuis la veille...
Et comme Jeannine restait anéantie :
- Oui, Martial vous aime, et, malgré cela, il m'aime aussi. Qu'êtes-vous auprès de moi ? je vous le demande : êtes-vous aussi belle, aussi ardente, aussi jalouse ? Vous voilà demi-morte après ce que je vous ai dit ! Vous aimez doucement, comme une fillette, vous parlez aux fleurs, vous rêvez d'amour et vous effeuillez des marguerites; moi, j'aime furieusement, de toutes mes fibres, de tous mes nerfs; il n'y a pas en moi une goutte de sang qui ne soit à Martial. Donneriez-vous votre vie ? Non ! Moi, on me jetterait dans des tortures horribles, que je tendrais les bras vers lui et que je crierais encore : « À toi ! À toi toujours ! Jusqu'en enfer, s'il le faut ! ». Il n'y a plus que lui au monde pour moi, et je suis prête à tous les crimes et je braverais les hommes et Dieu pour avoir Martial; il me possède et je le veux. C'est pour vous dire cela que je suis venue... Parce que vous auriez continué de dormir dans votre sérénité. Ah ! Vous vous trompez, ma fille, si vous croyez que l'amour est fait de calme... L'amour, quand il est fort et vrai, vous brûle jusqu'aux os, l'amour fait vivre aussi... L'amour est tout, bonheur, malheur, désespoirs et jouissances... Et vous croyez, vraiment, aimer votre fiancé... Ah ! Tenez, c'est moi qui ai pitié de vous !
- Non, dit Jeannine, je ne l'aime pas comme vous... J'entrevois l'amour comme un sentiment plus calme, mais aussi vivace, qui a, lui aussi, ses angoisses; qui est fait, comme le vôtre, de dévouements et de sacrifices, mais qui ne rend pas méchant, qui vous inspire, au contraire, des bontés inépuisables, des indulgences infinies, qui vous fait vivre avec un autre dans les mêmes pensées, les mêmes désirs, les mêmes craintes, les mêmes espérances, si bien que la vie à deux n'est plus qu'une seule vie, où tout est confondu, joies et peines, où l'on ne peut être gai si l'autre est triste, d'où la jalousie est absente, parce que chacun est sûr de ne point faillir.
- Vous n'aimez pas !...
- J'aime, et du plus profond de mon âme, et ce que vous m'avez dit m'a cruellement frappée...
- Alors, vous le voyez, vous êtes jalouse !...
Jeannine fit un effort sur elle-même pour contenir l'émotion qui l'envahissait :
- Non, dit-elle, je suis sûre que Martial est à moi... Je ne puis vous croire...
Et Josépha, avec un éclat de rire :
- Interrogez-le, ou faites-le interroger par votre père. Il n'aura pas l'audace de nier; s'il est arrêté par la crainte de me compromettre, dites-lui bien que c'est de moi que vous tenez le secret de ses amours !!...
Elle sortit triomphante, laissant Jeannine désolée.
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