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Citation de Cleophyre_Tristan


Sous les arbres, un va-et-vient incessant; il y avait là les mondaines les plus connues et les membres des clubs les plus aristocratiques de Paris.
Parmi les vendeuses qui restaient à leur boutique, attendant les clients, on qui circulaient à travers les promeneurs, leurs marchandises dans de petits paniers ornés de rubans et de fleurs, on citait et l'on se montrait la générale Moniez, qui offrait des ombrelles chinoises et des éventails; la duchesse de Ménerville, drapée dans les plis d'une robe de satin blane sur laquelle s'enroulaient des guirlandes de violettes naturelles; un grand chapeau de paille, orné d'une plume blanche, encadrait son délicieux visage, éclairé par des yeux bleus aux cils recourbés. La duchesse vendait des cigarettes de tabac d'Orient, dont chacune s'enlevait à coups de billets de banque.
On se montrait encore, parmi les plus éblouissantes, Mm de Legaud-d'Osnoy, Mme d'Halton, Mme Lampreni, l'amirale Gray, la comtesse de Vaudre, ja marquise de Bry-Ferrand, la baronne de Mesvray, la marquise de Montdivonne, Mm Farjas de Montfaure, la femme du richissime banquier, la comtesse de Thillay, la comtesse de Leurieux-Croisy, Mm Nérat, la vicomtesse de Noirpont, Mhe Manoury et la blonde et indolente Rondil-Dhercourt, la femme du député.
Mais, sans contredit, celles de toutes qui obtenaient le plus de succès, dont les boutiques étaient environnées d'une véritable foule d'admirateurs passionnés, étaient la grande et brune Josépha, la femme du baron Nertann, qui, depuis quelques jours, étonnait Paris de sa beauté altière et orgueilleuse; et Jeannine, la fille du peintre Vilmorin, une mignonne enfant de dix-huit ans, aux yeux étonnés, d'une profondeur étrange, dans lesquels ruisselaient comme des paillettes d'or.
Josépha était habillée d'un court mantelet en velours frappé couleur de feu. Cinq rangées de dentelles noires sur des transparents de soie blanche et un chapeau fait de bouillonnés mauve complétaient sa toilette. Au premier aspect, c'était une sensation. Elle semblait, de la tête aux pieds, enveloppée de rayonnements. On crut d'abord à des diamants énormes auxquels s'accrochaient, autour d'elle, les rayons qui tombaient des lustres. On se trompait.
Dans ses cheveux, cette bizarre jeune femme avait piqué des épingles soutenant des globules de verre où étaient enfermées des lucioles, à la mode malabare. Cela lui faisait une auréole de feu.
Quant aux diamants, c'étaient des escarbots apportés de Yucatan, sur la côte du golfe du Mexique. Ils avaient six pouces de long et leur couleur était admirable : c'était une robe d'or rouge, relevée de marques d'un noir d'ébène. Les contours du corps étaient irisés et les pattes envoyaient la lueur diamantée du ver Iuisant. Josépha les avait attachés sur des rubans de satin dont elle avait varié la couleur; des chaînes d'or, si fines qu'elles étaient presque invisibles et du travail le plus délicat, les retenaient.
Elle vendait des bibelots d'Orient dans un bazar décoré à la mauresque.
Jeannine Vilmorin était en face, très occupée à débiter gravement du lait à dix et vingt francs la tasse.
En élégance, elle ne le cédait certes pas à Josépha, et sa toilette, sans être aussi étrangement recherchée, était aussi originale. C'était un costume avec peinture aquarelle en gaze lilas, tout fleuri de bouquets de roses-thé, de paquets de pois de senteur lilas et rose et de grappes de réséda doré, avec feuillage produisant un délicieux méli-mélo de fleurs, se drapant en casaquin Trianon, avec paniers de laitière sur une jupe de moire lilas plissée à gros plis creux. Sur les masses de ses cheveux châtains, qui avaient des reflets de bronze, était crânement posé un chapeau Galathée en paille blanche, orné de lilas avec un rappel de roses-thé en guirlande.
Le bazar mauresque et la laiterie étaient très achalandés, et plus d'un passant, sans y prendre garde, avait été de fond en comble dévalisé au profit des pauvres.
Le défilé qui séparait les deux boutiques était un délicieux coupe-gorge : cinquante et cent louis pour un sourire!...
Et pourtant, au milieu de cette gaieté, de cette fête de la charité, de ces ravissantes femmes, de ces mondains raffinés, se préparait le premier acte du drame inouï que nous avons entrepris de raconter et dont les annales judiciaires n'offrent qu'un seul exemple.
Un groupe de jeunes gens, parmi lesquels un grand garçon mince et frêle, blond, à l'œil doux, Martial Navarre, passait et repassait entre les deux boutiques, devisant et fumant.
Et Josépha, distraite et préoccupée, ne répondait plus aux demandes incessantes dont on l'accablait, négligeait les intérêts des pauvres et ceux de sa coquetterie, pour ne regarder qu'un seul homme, qui semblait pour elle unique au monde.
Et cet homme était Martial Navarre.
Elle l'avait rencontré quelques jours après son arrivée à Paris et s'était mise à l'aimer d'un amour violent, passionné, quasi sauvage, qu'irritait encore l'indifférence du jeune homme, peut-être même l'ignorance où il était du sentiment qu'il avait inspiré.
Elle regardait Martial et n'obtenait pas de lui le moindre signe d'intérêt. Tout à coup, la foule s'écoula brusquement, délaissa le bazar mauresque et la laiterie, envahit deux ou trois guignols, un théâtre forain sur le devant duquel les meilleurs acteurs comiques de Paris faisaient la parade, entoura une voiture de charlatan, où Mangin et Vert-de-Gris bonimentaient avec des calembours, et prit d'assaut un cirque minuscule.
Martial Navarre, seul, resta.
Et quand les deux boutiques furent désertées par les clients, il s'approcha de la laiterie et se mit à causer avec Jeannine Vilmorin.
Josépha, assise, comme abimée, la tête en avant, ne les perdait pas de vue; les mains entrelacées, les doigts s'étreignant, le corsage violemment soulevé, elle semblait vouloir essayer d'entendre ce que se disaient, en face d'elle, les deux jeunes gens.
Eux oubliaient où ils étaient, et, debout l'un auprès de l'autre, se considéraient, les yeux dans les yeux, ne cherchant pas avec des phrases banales à raviver une conversation qui s'alanguissait, trouvant même, dans leur silence, une éloquence plus intime pour se dire mille choses qu'ils comprenaient et ne s'avouaient pas.
Deux ou trois qui passaient virent ce jeu de scène, sourirent et jetèrent un coup d'œil du côté de Josépha.
Celle-ci s'en aperçut, et sur son pâle visage apparut une lueur rouge, pendant que son front se ridait.
Alors que les boutiques étaient abandonnées, elle resta dans la sienne, et ce fut seulement lorsque Martial quitta la jolie fille qu'elle s'en alla et le suivit, dans les allées, où peu à peu les lustres et les lanternes maintenant s'éteignaient.
Quant à Jeannine, elle s'était assise dans le fond de la laiterie, ne voulant pas se mêler à la foule, indifférente à ce qui l'entourait, le regard perdu, souriant à des souvenirs ou à des espérances.
Au moment où Martial allait entrer dans un des théâtres en miniature qui garnissaient la terrasse, Josépha se trouva devant lui.
Elle, la fière et hautaine baronne, qui avait jusque-là repoussé toutes les
avances, avait accueilli orgueilleusement, sans un sourire, toutes les adulations, semblait craintive, et ce fut presque en tremblant qu'elle murmura, s'essayant à être gaie :
- Monsieur Navarre, offrez-moi donc votre bras !
Il obéit, sans empressement; et peut-être que la jeune femme, si elle eût fait attention, eût remarqué sur sa figure comme une nuance de mécontentement. de gêne plutôt.
Mais elle ne le vit pas : l'amour l'aveuglait.
Alors, elle l'entraîna sous les arbres, là où il n'y avait plus personne.
Ils marchaient, causant de la fête. Elle usait de coquetterie à son égard, mais il ne remarquait rien, soit que son parti fût pris, soit que réellement il ne vit pas les avances qu'elle faisait.
Ils s'arrêtèrent auprès du mur qui fermait le jardin du côté de la place de la Concorde. Comme Martial voulait continuer, elle laissa tomber sa main sur son bras, et leurs regards se rencontrèrent.
- Monsieur Navarre, dit-elle - en hésitant, sachant bien que ce qu'elle allait demander était en dehors des convenances, mais ayant fait litière de toutes les exigences du monde, de toutes les réserves imposées aux femmes. dominée qu'elle était par une impétueuse passion, - Monsieur Navarre, après avoir fréquenté mes salons pendant plus d'un an, depuis que je suis à Paris, pourquoi, tout à coup, n'êtes-vous plus venu, sans motif apparent, malgré les invitations, et elle appuya sur le mot, malgré les invitations pressantes que je vous ai fait porter ?...
Et comme il se taisait, toujours gêné :
- Est-ce que vous me craignez ? dit-elle, ses grands yeux noirs chargés de lueurs, pendant qu'un sourire indécis, d'une timidité qui faisait trembler ses lèvres, découvrait des dents étincelantes de jeune louve.
- Peut-être, répondit Martial gravement, sans chercher une galanterie, peut-être est-il vrai que je vous crains !
- Pourquoi ?
- Parce que vous avez une beauté si troublante que je ne serais pas sûr de ne point vous aimer...
Elle frissonna; puis, les yeux demi-clos :
- Vous l'ai-je défendu ?
- Le défendre serait inutile. On ne peut vous voir ou vous approcher sans être ému profondément par le charme de votre personne.
- Comment dois-je prendre vos paroles ?
- Pour l'expression sincère de ce que je ressens lorsque je suis auprès de vous.
Il mit dans ces derniers mots une intention qu'elle comprit, car elle répondit :
- Mais lorsque vous êtes loin ?...
- Je n'oublie pas, mais j'échappe à votre fascination. Alors, j'évite toutes les occasions qui peuvent me ramener en votre présence...
Elle resta un moment interdite.
Cette franchise l'étonnait.
- De telle sorte, fit-elle, que vous auriez mieux aimé, tout à l'heure, ne pas me rencontrer ?...
- Oui, dit-il nettement.
Elle se mordit les lèvres avec tant de violence que le sang jaillit.
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