Jules Mary

Elle fut étincelante de verve, séduisante de grâce, et tel était son empire sur elle-même que ses yeux étaient redevenus limpides, son visage reposé; les rides brutales, nées d'une impression forte, avaient disparu de son front.
Elle gagna sa cause. On fut trompé et l'on resta.
Pourtant, elle était loin d'être remise, et, pour qui l'eût connue, il eût été facile de voir qu'il lui fallait tout son courage, et un courage surhumain, pour attacher de l'intérêt, fût-ce même en apparence, à ce qui se faisait ou se disait autour d'elle.
Sentant la faiblesse la reprendre, voulant y échapper à tout prix, elle se leva, fit quelques pas dans le salon, offrit le thé, chercha des distractions; puis, comme de nouveau la sueur mouillait ses tempes et que des frissons lui montaient des pieds à la tête, voilaient ses yeux, la faisaient chanceler, elle se dirigea vers un paravent chinois derrière lequel, sur une table en laque, étaient une boîte à ouvrage et des flacons de vinaigre.
Comme elle s'y était prise adroitement, on n'avait pas devinė son malaise. Personne ne la regarda.
Elle respira violemment un des parfums, qui dissipa sa faiblesse; elle était séparée du salon par les feuilles du paravent, très haut, en soie brochée, à paysage et à personnages chinois, de telle sorte qu'elle disparaissait com- plètement aux yeux de ceux qui étaient là, bien qu'elle ne quittat point le salon.
Le paravent cachait une porte qui donnait sur les appartements intérieurs.
Tout à coup cette porte s'ouvrit doucement, avec des précautions infinies...
Cinq minutes s'écoulérent.
Dans le salon, la conversation continuait, générale, pleine d'animation, quand soudain un soupir profond, pareil à un sanglot, fit régner là un silence de mort.
Les hommes se regardérent... Les femmes n'osèrent pas bouger. M. de Harly-Haucourt se précipita vers le paravent, s'arrêta, les bras levés et laissa échapper un grand cri :
- Baronne ! Baronne !
Les autres accoururent.
Les hommes, dans le premier mouvement, sous la première impression, reculaient. Madame de la Roche-Maubué et madame de Villemereux étaient tombées évanouies.
C'était un épouvantable spectacle !
La porte, que masquait le paravent, était ouverte toute grande et, pliée en deux, sur la table de laque, son flacon d'odeur dans sa main crispée, Josépha Nertann, morte, était étendue !
Un ruisseau de sang descendait de son cou sur la table, tombait goutte à goutte sur le tapis, et doucement coulait vers le paravent qui le retenait, et s'élargissait; la robe était toute maculée; les épaules étaient sanglantes. Une horrible blessure, coupant l'artère carotide et causant la mort instantanée, avait désarticulé le cou, qui pendait inerte... Et la table seule retenait le corps, qui, dans cet affaissement, gardait son élégance et toute sa grace.
Les reins ployés, presque brisés par une courbure brutale, faisaient valoir la richesse de la taille renversée en arrière... Les seins violemment serrés semblaient vouloir crever le corset... Et les jupes relevées laissaient entrevoir leurs broderies, la cheville et les pieds chaussés de bottines mordorées. La figure était hideuse... Le sang bouillonnait en sortant de la plaie... Une pâleur cadavéreuse était répandue sur ce visage si merveilleusement beau... Les yeux gardaient l'impression d'une épouvante indicible... Le nez, aux narines rétrécies, était allongé, et entre les dents un bout de langue tumėfiée apparaissait.
Dans la plaie, jusqu'à la garde, un petit poignard d'or massif, à poignée ornée de diamants, restait, sans retenir le sang.
Elle était morte, du coup, sans un cri.
Elle avait poussé un soupir seulement, un råle, qu'on avait entendu, qui avait donné l'éveil.
Et ç'avait été son adieu suprême à la vie !
Ceux qui se trouvaient là étaient braves et pourtant l'audace d'un pareil crime les fit trembler. Car c'était un crime, on ne pouvait hésiter à le croire : la porte entrouverte indiquait par où était venu l'assassin et ne laissait pas de doute.
Et puis la direction du poignard dont la pointe ressortait par la gorge, dont la poignée était plantée près de la nuque, rendait inadmissible la supposition d'un suicide.
Josépha avait été frappée, et frappée par derrière, avec une force effrayante.
Elle s'était retournée sur le coup, en tombant sur la table, et c'est dans ce mouvement que la mort l'avait surprise.