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Critiques de José-Maria Eça de Queiros (64)
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Le cousin Bazilio

Femme qui s’ennuie, finit Bovary.

Je ne sais pas si c’est une envie soudaine de Pasteis de nata, le besoin de soleil ou de récents travaux de maçonnerie, mais j’ai eu envie d’aller butiner au Portugal.

L’esprit trop tranquille pour aller me frotter à Pessoa et incapable de retrouver dans ma bibliothèque un vieux Saramago, j’ai trouvé chez les éditions Chandeigne (dont les couvertures sont des chefs d’œuvres absolus qui n’ont rien à voir avec celle proposée pour ce livre sur Babelio qui ferait même fuir un universitaire avec une veste en velours élimée), ce roman de José Maria de Eça de Queiroz (1845 – 1900), le Flaubert Portugais.

Luisa, une jeune bourgeoise de Lisbonne doit faire facer à l’absence de son mari parti pour son travail de très longues semaines. Un cousin de l’épouse délaissée, le Bazilio du titre, dandy libertin de retour du Brésil et premier amour de la belle, revient sous les azulejos pour lui réchauffer les globules. Luisa a des scrupules mais entre de prudes lectures et des galipettes dans la garçonnière de son cousin, elle ne va pas hésiter trop longtemps. Comme la belle est un peu nunuche, elle va laisser traîner quelques mots doux et sa servante, Juliana, une vieille fille acariâtre, va menacer de révéler cette faute de liaison au mari et la soumettre à tous ses caprices.

Cette petite histoire adultère doit vous rappeler quelque chose car elle partage quelques gènes gênant avec Madame Bovary mais on ne peut pas parler de plagiat. Eça de Queiroz n’est pas le perroquet de Flaubert. Le roman d’Eça de Queiros lui, ne présente pas une biographie d’une femme dopée au désir, mais une tranche de vie et de mort : la durée du roman ne dépasse pas six mois. Passade furtive de fado.

L’auteur portugais n’a jamais caché son admiration pour Gugustave mais derrière le petit refrain connu sur le désir irrésistible et de libertés trop corsetées, ce roman propose une étude des mœurs cruelle et savoureuse de la société de Lisbonne qui penche plutôt à mon sens du côté de Balzac.

Il oppose la vie douillette de bourgeois mondains obsédés par le « qu’en dira-t-on », à la misère des serviteurs.

Les seconds rôles sont très typés, mais la caricature est volontaire car elle a une ambition ironique qui apporte une dose salvatrice d’humour et de ridicule. Chacun des personnages principaux est ainsi affecté d’une sorte de double au caractère beaucoup plus forcé.

J’ai pris beaucoup de plaisir dans cette lecture et je suis très heureux d’avoir découvert cet auteur, considéré comme un géant de la littérature au pays de la Bacalhau, trop méconnu dans le nôtre.

Allez, hop, je fais ma valise… en carton. Oui, j’ai été plus touché par la disparition de Linda de Souza que par le transfert de Ronaldo au Qatar dont le montant aurait pu financer la réforme des retraites.



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Le cousin Bazilio

J’ai toujours eu un faible pour les héroïnes de la littérature du XIXème siècle qui commettent un adultère. Je pense à Anna Karénine de ce cher Lev Tolstoï, Emma Bovary de Gustave Flaubert, Luiza Mendoça de Brito Carvalho de José-Maria Eça de Queiroz, sans oublier Ana Ozores de Leopoldo Alas que je n’ai pas encore eu le plaisir de découvrir. Je les aime avec leurs défauts, leur vulnérabilité, leurs passions, leurs rêves. Elles sont tellement humaines, si éloignées de la sainteté, qu’elles engendrent, chez moi, un élan de sororité. Nous pouvons trouver en chacune d’elle un miroir, un reflet de nous-mêmes, le creuset de nos préoccupations humaines où se mêlent les désirs et les frustrations. L’adultère, rien que de très banal me direz-vous, mais sous la plume de l’un de ces talentueux magiciens, l’infidélité prend des allures de tragédies. Le drame devient fatal et ignominieux et l’esthétisme de la prose fascine.



Le maître du réalisme portugais, de son écriture enchanteresse, sait insuffler la vie à ses personnages, les caractères se dévoilent, les non-dits se suggèrent avec finesse dans une espèce de « sfumato ». L’auteur fouille le moindre recoin de l’intime, le regard est un véritable laser qui se veut le témoin d’une époque que ce soit sur le plan social comme les conditions de vie des domestiques ou sociétal telle la place de la femme dans cette fin de siècle à Lisbonne.



Bien sur, mon opinion bienveillante, ma tendresse à l’égard de ces héroïnes n’est pas du goût de tout le monde puisque le 7 février 1857, Gustave Flaubert, est acquitté alors qu’il était poursuivi au motif « d’avoir attenté aux bonnes mœurs et à la religion dans son roman, Emma Bovary ».



L’héroïne d’Eça de Queiroz se prénomme Luiza, la douce et tendre Luiza, épouse éprise de son mari, Jorge, qui habite, dans un quartier de Lisbonne, une petite rue étroite, parsemée de nombreuses fenêtres derrière lesquelles, on peut deviner des silhouettes prêtes à saisir toutes les indiscrétions. Jorge est ingénieur des Mines, il travaille pour le ministère. Le couple reçoit de nombreux amis dans cette maison bourgeoise qui possède aussi ses domestiques, Joana la cuisinière et la perfide Juliana. Ne peut-on voir cette petite rue étroite comme une métaphore de la vie lisboète de ce milieu social où évolue le couple, étroite par son côté étriqué, dissimulant ses jugements malveillants, un monde fermé qui n’a aucune ouverture sur le monde et dont il faut se méfier, le « qu’en dira-ton » étant une préoccupation majeure.



Dans la petite vie de Luiza, l’ennui s’impose, l’oisiveté envahit ses journées. La jeune femme s’évade dans les romans, imagine des voyages, voir Paris, se préoccupe de sa toilette et attend patiemment Jorge. Jorge qui décide de tout mais qui doit s’absenter plusieurs jours pour se rendre en Alentejo au grand désarroi de Luiza. C’est ce moment que choisit le cousin Bazilio, l’amour de jeunesse de Luiza, pour débarquer à Lisbonne. Ce cousin, parti faire fortune au Brésil, revient, affichant l’assurance d’un mondain. Il a tout du dandy, du séducteur dépourvu de sens moral et méprisant.



Jorge s’absente. Bazilio profite de la mélancolie que ressent Luiza, pour conquérir sa cousine. La naïveté de celle-ci, son ingénuité devant les choses de la vie, sa fragilité, son attachement à Jorge, toutes ces caractéristiques ne vont pas résister longtemps aux assauts de Bazilio.



De cette infidélité vont naître des situations sordides. Luiza, toujours sous l’effet du plaisir romanesque, peine à discerner le comportement malsain de Bazilio. A contrario, rien n’échappe à la sournoise Juliana qui va tenter de tirer profit de cette situation en exerçant un odieux chantage sur Luiza. Cette dernière s’enfonce lentement dans la dépression. Bazilio la quitte sans toutefois se préoccuper du sort de la jeune femme. Lui, le cousin, sort indemne de cette situation qui va pousser la jeune femme vers une destinée fatale.



José-Maria Eça de Queiroz possède une écriture très moderne. Il nous offre des passages d’une grande sensualité, faisant fi de la bienséance de l’époque. Il pose un regard cynique sur la société lisboète, cynique et sans concession, cruel même. La violence qui sous tend les rapports entre maître et domestique est indigne : la chambre de ces derniers figure le mépris qui existe entre ces deux classes sociales et donne l’image de l’absence de toute considération entre les maîtres et les domestiques.



Dans ce roman, l’auteur donne à penser qu’il y a comme une nécessité de se libérer des exigences de la religion, de la morale, une recherche de la liberté, d’affronter la vie et la mort sans aucun artifice, le mensonge est un piège qui se referme un jour ou l’autre alors autant être libre et conscient sans chercher à s’appuyer sur le pardon ou la prière, il ne supporte pas la moindre fausseté, pas d’hypocrisie. A souligner, Eça de Queiroz est un enfant illégitime. Sa mère épousera le substitut Jose-Maria de Almeida Teixeira de Queiroz, quatre ans après la naissance de l’auteur. On retrouve l’impact psychologique de cette naissance secrète dans ses ouvrages. Mon prochain livre sera « Le crime de Padre Amaro » et si l’esprit de Flaubert plane sur le présent récit, je présume que ce sera l’esprit de Zola que je retrouverai avec le Père Amaro.



J’ai savouré l’écriture de ce grand auteur. Toute la subtilité de ce dernier, nonobstant le regard critique, l’étude d’un milieu social et de tous ses travers, l’ironie qui affleure à chaque passage, Eça de Queiroz m’a entraînée dans les tourments de Luiza jusqu’au drame. J’ai parcouru avec elle les rues de Lisbonne sous une chaleur accablante. J’ai ressenti sa détresse, ses angoisses. J’anticipais les évènements, je sentais le regard des voisins, j’entendais les commérages. J’ai détesté Juliana, j’ai vécu cet affrontement terrible où les rôles vont finir par s’inverser tant Luiza est prête à tout pour museler Juliana. Ce combat entre ces deux femmes est une vision terrible, il véhicule l’image de deux classes sociales qui s’affrontent. Juliana est un personnage détestable, odieux mais c’est aussi tout le « sel » de ce récit. L’auteur s’amuse cruellement aux dépens de la bourgeoisie lisboète mais aussi aux dépens de son lecteur, il y a quelque chose de diabolique dans ce roman que j’ai refermé les larmes aux yeux.



En lisant ce livre, je repensais à la terrasse des Bernardini de Suzanne Prou et aux films de Chabrol. J’y ai retrouvé la même acidité, la même acuité visuelle, la même façon de nous tendre un miroir où se reflètent les mêmes passions humaines. D’ailleurs, Chabrol aimait Gustave Flaubert. Ce dernier aura marqué nos grands auteurs. La biographie que lui consacre Michel Winock m’attend.



Je vous conseille de lire le billet d’Eduardo qui, comme à l’accoutumée, nous a rédigé un billet d’une grande finesse d’analyse. J’ai écrit un retour de lecture très personnel où j’ai laissé mes émotions s’exprimer.



« J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui ». Alfred de Musset

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Les Maia

J’ai un faible pour cette littérature du 19ème voire début du 20ème siècle. C’est elle qui nous a donné nos bases littéraires et qui nous a permis, ainsi, de construire notre personnalité de lectrice ou de lecteur. Que ce soit en littérature, en poésie, au théâtre, cette période possède un immense foisonnement de styles différents où nous pouvons choisir entre le romantisme, le symbolisme, le naturalisme, le réalisme ou de « tout un peu ». Mais ce qui avant tout, à mes yeux, guide mon choix, c’est la qualité de l’écriture de tous ces ouvrages.



Depuis un certain temps, je cherchais à approfondir ma connaissance de la littérature portugaise. Quelle ne fut pas ma surprise de lire un billet élogieux de « Oiseaulire » suivi de celui de « PhilippeCastellain » sur le chef d’œuvre d’Eça de Queiros « Les Maia », paru en 1888.



Ce fut un bonheur de lecture ! Je me suis laissée bercer et envouter par le style d’Eça de Queiros à la fois lyrique et ironique, d’une très grande élégance. Le rythme est lent, il se savoure. En fin observateur, il analyse la société portugaise pendant la période de la « Régénération ». Son regard se fait critique et humoristique. Il raille avec intelligence aussi bien l’aristocratie que la bourgeoisie, la classe politique que l’église. Il pointe de la plume la décadence de ce pays vermoulu (c’est ce qu’il fait dire à l’un de ses personnages) entre la religion et la monarchie avec l’espoir d’élever le niveau de la politique. Les dialogues, dans ce livre, définissent Eça comme un libéral qui aurait aimé faire bouger les lignes de cette société repliée sur elle-même dont la classe aisée s’adonne à l’oisiveté, la classe politique au dilettantisme, trop occupée ou préoccupée par les histoire d’adultère et les secrets d’alcôve qui vont avec.



Cet extrait du livre donne le ton :



« Et du génie ! s’écria Carlos. Délicieux, n’est-ce pas ? Dites-moi donc si tout ce que je pourrais faire pour la civilisation ne vaudra jamais ce plat d’ananas ? C’est pour ces choses là que je vis ! Je ne suis pas né pour contribuer à la civilisation.- Tu es né, répliqua Ega, pour cueillir les fleurs de cette plante de civilisation que la foule arrose de sa sueur ! Au fond mon vieux, moi aussi ! »





Eça fut tour à tour journaliste puis diplomate. De ses voyages, il rapportera des éléments de comparaison qui l’autoriseront à porter ce regard critique sur son pays qu’il concrétisera par l’écriture de la saga familiale des Maia. D’abord le grand-père, Afonso de Maia, vieille aristocrate terrien, grand libéral devant l’Eternel, et surtout Carlos Eduardo Maia, son petit fils qui sera la personnalité majeure autour de laquelle, se déroulera tout le roman sans oublier la belle ville de Lisbonne. Toutes les personnes évoluant dans l’entourage de la famille Maia sont toutes parfaitement dessinées avec leurs individualités ce qui donne un aperçu de la société lisboète de cette époque.



Mais ce qui m’a le plus touchée, c’est l’écriture qui restitue parfaitement les émotions, les états d’âmes, l’intensité du bonheur de vivre, la captation de la pensée qui accompagne l’apparition du véritable amour quand bien même celui-ci se révèle impossible.



Ah un seul bémol : je ne connais rien à l'Histoire du Portugal, j'ai souvent dû me reporter à mon smartphone pour mieux comprendre le contexte, ce qui est un peu gênant.



Mais je vous laisse découvrir ce chef d’œuvre de la littérature portugaise qui a bénéficié d’une excellente traduction de Monsieur Paul Teyssier.



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Le Mandarin

Quand j'ai vu ce livre proposé par Masse critique de Babelio, c'était évident qu'il était pour moi. Je lorgne sur cet auteur portugais du XIXe siècle, depuis plusieurs années ; je voulais commencer par « le crime du Padre Amaro » mais je ne le trouvais pas… J'étais pratiquement sûre d'être sélectionnée pour le recevoir car il était noyé dans une grande liste de romans attirant l'oeil… Et Bingo !



José-Maria Eça de Queiroz (ou Queiros ) nous propose un conte philosophique, qui tutoie le fantastique Teodoro, ce petit homme ordinaire qui signe un pacte avec le diable : il suffit de tirer sur une sonnette et à l'autre bout du monde un mandarin chinois meurt, et il hérite de ses biens. Bien sûr, il provoque la mort mais, c'est si loin que cela a moins d'importance, après tout, il ne le connaissait pas, ce vieil homme, juste son nom : Ti Chin-Fu.



Teodoro profite de ses nouvelles richesses, quitte la pension de famille (qui rappelle la pension Vauquier dans « le père Goriot ») pour emménager dans un hôtel particulier où tout le monde vient se prosterner à ses pieds pour entrer dans ses bonnes grâces : du Clergé en passant par les politiques, les pauvre, toutes les classes de la société. « Pendant ce temps-là, tout Lisbonne se traînait à mes pieds… » peut-on lire P 40



Mais, la conscience de Teodoro n'est pas tranquille et le regret, voire le remords s'insinue peu à peu, lui faisant perdre le goût à sa nouvelle vie : « l'oeil était dans la tombe et regardait Caïn ». Et il commence à voir le mandarin mort partout :



« Allongé à travers de la couche, sur le dessus-de-lit, gisait la silhouette ventripotente d'un mandarin foudroyé, vêtu de soie jaune, avec une grande natte qui pendait, et, dans ses bras, il tenait un cerf-volant de papier qui semblait mort lui-aussi » P 35



Qu'importe, il va aller visiter Paris pour se changer les idées, jetant un clin d'oeil à « L'Assommoir » et Zola au passage ;



« Puis je voulus descendre encore plus bas, m'encanailler, m'abandonner aux turpitudes alcooliques de « L'Assommoir » ; combien de fois, revêtu d'une blouse, la casquette sur la nuque, donnant le bras à Mes Bottes ou à Bibi-la-Gaillarde, n'allai-je pas, dans un charivari d'ivrogne, tituber sue les boulevards extérieurs en rotant et en hurlant : « allons enfants de la patrie-e-e… » P49



Mais cela ne suffit pas, il a besoin de réparer et s'embarque pour la Chine tenter de retrouver la famille du Mandarin…



J'ai adoré ce petit roman, d'une centaine de pages, d'une écriture remarquable; je rends hommage au passage à l'excellent travail de traduction de Michelle Guidicelli.



José-Maria Eça de Queiroz connaissait Paris, les autres capitales d'Europe car il était diplomate, mais il n'a jamais mis les pieds en Chine, alors il a lu beaucoup d'ouvrages, sur la culture, la géographie et tracé un vrai itinéraire de son périple en Chine, seule la ville de Tien-Ho a été inventée de toutes pièces.



Il nous livre, à travers son héros, Teodoro, profondément athée malgré son nom, (Encore une facétie !), ses réflexions sur Dieu, l'Église, la politique, l'argent qui rend tout puissant et les relations des hommes entre eux.



Il était proche du mouvement naturaliste au départ et peu à peu, il l'a trouvé trop rigide, (trop « trash » dirait-on de nos jours) et il s'est orienté vers plus de fantaisie, de fantastique, pour le plus grand bonheur du lecteur. On retrouve des allusions fréquentes à Zola, Rousseau ; on pense aux « Tribulation d'un Chinois en Chine » mais aussi à « La peau de chagrin », ce roman De Balzac que j'adore, et bien sûr, comment ne pas penser aussi à « crime et châtiment » ….



J'aime énormément le style de José-Maria Eça de Queiroz, ce roman est un véritable coup de coeur, et un coup de foudre pour l'auteur.



Il semblerait que j'ai bien fait d'attendre car « le crime du Padre Amoro » semble ressembler beaucoup à « La faute de l'abbé Mouret » écrit dans sa période naturaliste… je vais donc privilégier les romans qui ont suivi : « Les Maïas » « le cousin Bazilio ».



Je remercie vivement les éditions Chandeigne qui m'ont offert ce roman et envoyé leur catalogue, (ainsi que des marque-pages) qui propose des livres portugais, en version bilingue (j'ai repéré ainsi deux livres de Fernando Pessoa…) mais aussi des livres de langue portugaise : Brésil, Cap Vert, Mozambique….



J'aime beaucoup la postface de Michelle Guidicelli car elle propose une analyse très pointue du texte, je me suis contentée de dire mon ressenti…



J'espère vous avoir vraiment donné envie de lire ce roman-nouvelle, car il est magistral. J'ai fait durer le plaisir au maximum, tant l'écriture est belle et je n'exagère pas (malgré cette envolée lyrique) car José Luis Borges considérait José-Maria Eça de Queiroz comme « un des plus grands écrivains de tous les temps ».



Vous l'aurez compris : un livre à découvrir absolument….

Et encore merci à Babelio et aux Editions Chandeigne
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Les Maia

Deuxième rencontre pour moi avec l'immense écrivain lusitanien, le Balzac de Lisbonne, le Zola des rives du Tage : j'ai nommé José-Maria de Eça de Queiroz ! On applaudit bien fort s'il vous plaît. En me l'offrant, mon frère m'avait bien précisé : « tu verras, il essaye de faire de la tragédie mais il n'y arrive pas ».



Et on ne saurait mieux résumer. Son écriture fluide et élégante met en scène l'aristocratie et le plus beau monde du Portugal, que pourtant un cheveu sépare des cocottes, des décavés et des traîne-savates sans le sous. Ce petit monde se côtoie, se mêle, flirt, couche, ragote, calomnie. Une matière de premier choix pour mettre peu à peu en place une terrible situation ne pouvait déboucher que sur un magnifique et dramatique dénouement. Et pas à dire, il se donne un mal fou.Mais à chaque fois… Cela se transforme en farce. On sent que c'est plus fort que lui. On l'imagine derrière sa table, mettant peu à peu place son engrenage fatal, se répétant :  « allez, cette fois ça finira mal et ça fera pleurer dans les chaumières, paroles d'athée ! »



Et puis au dernier moment un petit événement bassement terre à terre vient briser la solennelle Noirceur et la grandiose Ignominie du moment et plouf, l'offenseur s'humilie dans une lettre d'excuse pour échapper au duel, mais en prenant le temps de vérifier l'orthographe des mots, et il faut bien courir derrière le tramway pour l'attraper si l'on ne veut pas rentrer à pieds. Caramba (ou sa version portugaise) encore raté ! Qu'on imagine Monsieur Bovary dire à son épouse : « ma chère, vous partez vivre un mois avec des métayers et arracher des patates, si après cela vous voulez toujours partir avec votre amant, vous ferez comme bon vous semble » !



On range généralement Eça de Queiroz dans la catégorie des romanciers naturalistes. Un naturaliste oui, mais qui aurait fait sienne la fameuse phrase de Shakespeare : la vie n'est pas une tragédie, c'est une farce bouffonne ! »
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Le cousin Bazilio

En cette deuxième moitié du 19ème siècle à Lisbonne, Jorge de Brito, un ingénieur agricole est marié à la belle Luiza, charmante et rêveuse qui passe son temps entre thés entre amies et déplacements chez sa couturière ou sa modiste. L'arrivée de Bazilio, le cousin de Luiza, va bouleverser la vie de la jeune femme. Ce dandy, revenant du Brésil en passant par Paris, était son amour de jeunesse. Lorsque Jorge doit partir plusieurs mois en Alentejo pour son travail, Luiza est plongée dans les affres de ses sentiments contradictoires entre fidélité et fantasmes amoureux suscités par un Bazilio sûr de lui et conquérant.



José Maria de Eça de Queirós, s'empare, avec le cousin Bazilio, de la société bourgeoise lisboète de la fin du 19eme siècle en tissant une histoire à l'instar de celle d'Emma Bovary. Avec beaucoup d'humour et un esprit caustique assez piquant, il y décrit les hommes politiques, les écrivains, un futur médecin toujours mis à l'écart parce que n'ayant aucun réseau personnel et des femmes pour certaines trompant allégrement leur barbon de mari et, pour les domestiques, celles qui méprisent leur maîtresse, essayant de leur extorquer argent ou faveurs pour améliorer le tout venant. C'est donc une galerie de portraits decrivant la bourgeoisie lisboète mais qui peut s'étendre et s'apparente à la bourgeoisie européenne émergeant à la fin du 19eme siècle.

Même si l'intrigue est très vivante et décrit bien les tensions du milieu social dans lequel evoluent les personnages, elle s'essouffle sur la distance, avec pas mal de longueurs et l'humour du début s'effiloche pour se changer en un vaudeville un peu ennuyeux et en drame convenu.

Le cousin Bazilio est intéressant du point de vue social mais tourne un peu au roman bourgeois sur la fin.
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Le Mandarin

Je ne connais pas du tout la littérature portugaise. Lorsque j'ai vu ce titre dans la sélection de la dernière masse critique je me suis dit que c'était là une bonne occasion de découvrir cette littérature. D'autant plus que Eça de Queiros semble être considéré comme un auteur important au Portugal. Et puis le résumé très Faustien de ce "Mandarin" me plaisait bien. J'étais donc ravie d'avoir gagné ce livre.



En fait, plus qu'à "Faust", "le mandarin" m'a fait penser à tout un pan de la littérature française. L’œuvre de Eça de Queiros en est très imprégnée. L'auteur fait très souvent référence à la France et à ses grands écrivains. D'ailleurs le point de départ en lui-même prend sa source dans la littérature française. Le postulat de départ est une variation autour du thème du "bouton du mandarin". Cette métaphore qu'on trouve chez Balzac qui l'a lui même emprunté à Rousseau ou Chateaubriand pose ce questionnement : que ferait un individu qui pourrait à distance et sans être suspecté tuer un vieux mandarin de Chine dont la mort lui apporterait la richesse ?

A partir de cet argument, Eça de Queiros propose un conte moral et social teinté de surnaturel. L'aspect fantastique est très ténu mais ajoute un charme inquiétant au récit, tout comme le côté exotique de la partie chinoise de l'histoire.

Mais ce qui est le plus saisissant dans "le mandarin" c'est la peinture de la société et des hommes et femmes qui la composent. L'auteur se montre assez acide lorsqu'il dépeint les travers des uns et des autres. Que ce soient les cohortes de flagorneurs qui viennent s'aplatir devant Teodoro devenu riche en espérant qu'il leur jettera quelques pièces ou les diplomates de l'ambassade de Russie en Chine, ridicules de superficialité, ils sont tous méprisables. Tout comme Teodoro lui-même dont l'auteur dresse un portrait peu flatteur. Dans ces descriptions au vitriol, Eça de Queiros fait preuve d'un sens de l'humour caustique assez savoureux, ce qui n'est pas sa seule qualité. L'écriture est élégante, fluide et évocatrice. On a là tout ce qui fait l'excellence de la littérature du 19ème siècle.



J'ai donc passé un très bon moment. "Le mandarin" est un récit intelligent, subtil, divertissant, bien écrit et plein de charme.

L'éditeur a eu la bonne idée de joindre son catalogue à l'envoi du livre. Spécialisé dans la littérature lusophone ainsi que dans les récits de voyage, Chandeigne propose un catalogue très alléchant. Cette opération masse critique m'aura donc permis de découvrir un très bon auteur et un éditeur intéressant. Je remercie Babelio et les éditions Chandeigne pour cette double découverte.

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L'Illustre maison de Ramirès

Ma troisième rencontre avec le Thackeray lusitanien, le Balzac du Duro, le Théophile Gauthier de l’Alentejo : on applaudit Messire José Maria de Eça de Queirós ! Ce grand écrivain portugais, qui mériterait d’être bien plus largement connu en France, n’a pas fini de me surprendre. ‘L’illustre maison de Ramirez’ est son dernier roman, son chant du cygne.



Faisons donc la connaissance de Gonçalo de Ramirez, ultime descendant d’une longue lignée de nobles remontant aux rois Wisigoths. Il possède encore de vastes domaines, dont un palais de campagne planté à l’ombre d’une tour médiévale, dernier vestige de la forteresse de ses ancêtres. En revanche, en ce qui concerne le caractère on ne peut pas dire qu’il tienne beaucoup d’eux ! C’est un bon garçon plutôt mou, un peu rêveur, assez paresseux, non dénué de talents mais affligé d’un manque de confiance en lui pathologique. Ce qui le gêne fort pour accomplir son rêve : se lancer en politique.



Pour essayer de se faire un nom dans les milieux littéraires et journalistiques, ce qui pourrait toujours lui servir, il se lance dans la rédaction d’une grande fresque médiévale narrant les exploits de ses ancêtres. Bon, elle a déjà plus ou moins été écrite par un grand-oncle, mais jamais publiée, et le style a épouvantablement vieilli. En parallèle du livre que nous lisons s’en écrit donc un second, enchâssé dans le premier ! Avec une malice impitoyable, Eça de Queirós fait correspondre à chaque haut fait de ses ancêtres une lâcheté ou une compromission de leur descendant. Ils chargent à dix contre cent ? Il s’enfuit devant un paysan un peu bravache ! Ils se rallient, au nom de la justice, à un combat perdu d’avance ? Il s’empresse de se dédire d’une promesse pour un engagement plus avantageux !



Mais assez vite apparait une autre facette du personnage : il est riche, fêtard, dépensier, couard… Mais c’est un brave type. Il prête son cheval à un laboureur blessé qu’il a croisé sur la route, et n’est pas du tout gêné de croiser dans cette position le top du gratin de la province – et la femme sur laquelle il a des vues. Il fait jeter en prison un paysan qui l’a menacé (et devant lequel il s’est honteusement enfui), mais prend soin de son fils malade, et le fait libérer le lendemain. En somme, il a les faiblesses que ses ancêtres méprisaient, mais il a aussi les qualités qui manquaient le plus totalement à ces derniers, qui étaient bien incapables d’un mouvement de pitié ou de gentillesse !



La plume d’Eca de Queros est un véritable délice : subtile et élégante, chargée d’un humour et d’une ironie qui transparaissent à chaque page. Autour du brave Ramirez gravitent une galerie de personnages hauts en couleur, à la langue bien pendue et à l’appétit (à défaut d’autre chose) héroïque. De superbes moments, une histoire toute en subtilité, et une conclusion à méditer.
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Les Maia

Il m'a fallu un challenge pour m'attaquer à ce pavé de 800 pages que j'avais depuis longtemps sur mes étagères (il m'avait été offert) mais qui ne m'attirait pas du tout. Et pourtant quel roman à la fois roman d'amour, saga familiale, intrigues, rebondissements, chronique d'une époque, d'un pays : le Portugal, d'une ville : Lisbonne, d'une classe sociale : la bourgeoisie aristocratique et artistique mais qui pressent par certains signes qu'une page est en train de se tourner sans oublier l'écriture.



Dites-mois, mes enfants, si l'on trouve encore des gens comme ces Maia, de ces âmes de lion, généreuses et brave ! Tout semble mourir dans ce malheureux pays !...  L'étincelle a disparu, la passion a disparu.... (...) Sapristi, il fait noir que dans mon âme. (p761)



Fin du XIXème siècle - Carlos, dernier descendant de la famille Maia, personnage central du roman, a été élevé par son grand-père, Alfonso, et a bénéficié d'une enfance choyée malgré la perte de ses parents : son père s'est suicidé peu après la disparition de sa femme alors qu'il n'avait que quatre ans. Carlos devient médecin et envisage son avenir entre un cabinet médical et l'écriture de récits sur la médecine. Il noue avec Ega (dans lequel l'auteur s'est transposé semble-t-il) une amitié forte, celui-ci étant écrivain et poète, partageant avec lui espoirs, pensées et questionnements mais également leurs vies de jeunes hommes célibataires faites de soirées à refaire le monde et en particulier d'imaginer leur pays évoluer car ils le trouvent le plus souvent assez arriéré par rapport à d'autres et sur tous les points de vue. Et puis il y a les femmes et chacun va vivre des histoires plus ou moins légères jusqu'à une rencontre où le destin de Carlos (mais également Ega) et de sa famille va chaviré. Fin d'une dynastie, fin d'une époque celle de la légèreté et de l'insouciance.



Malgré la longueur et peut-être parce que j'ai un attrait pour la littérature anglaise dont l'auteur était friand, j'ai pris plaisir à arpenter les rues et les belles résidences de Lisbonne, participant à un bal costumé ou à une course hippique qui ne sont prétextes qu'à règlement de comptes entre gens de la bonne société. Les personnages sont très représentatifs du milieu avec ce qu'il faut de désœuvrement pour ceux qui ont tout reçu à la naissance, d'intrigues et de coups bas pour ceux qui rêvent de grimper l'échelle sociale sans compter les rivalités artistiques et conquêtes sentimentales dont  les femmes mariées sont la cible privilégiée du groupe d'amis (peut-être parce qu'il n'était ainsi pas question d'engagement), les cantonnant le plus souvent à des rôles de séductrices, frivoles même si certains prennent des positions opposées :



C'était à propos de la femme du secrétaire de  la légation de Russie (...) Le comte, qui l'admirait aussi, vantait surtout son esprit et sa culture. Défaut fâcheux, selon Ega, car le devoir d'une femme est d'abord d'être belle et ensuite d'être stupide. Aussitôt le comte affirma avec exubérance que lui non plus n'aimait pas les femmes savantes ; oui, la place de la femme est près du berceau, non dans le bibliothèque.... (p452)



Je ne connaissais même pas de nom J.M. Eça de Queiros (1845-1900) qui fut avocat et diplomate mais également écrivain, une

des grandes plumes de la littérature portugaise, admiratif de Victor Hugo et de la littérature anglaise et de ses codes (le check-hand est très souvent cité dans le roman)  et je dois avouer que j'ai mis, un peu de temps à le lire, pas par manque d'intérêt car j'y revenais avec plaisir mais parce qu'il aborde de nombreux sujets et qu'il demande une certaine concentration par la présence de nombreux personnages en particulier dans la "société" amicale-artistique-politique et bien séante de la vie portugaise en cette fin de siècle. Certaines épisodes sont très longuement narrés : le bal masqué et la course hippique par exemple. Au niveau du thème, on pourrait faire le rapprochement avec Le Guépard dans lequel il est également question de la fin d'un monde, celui des Salina et j'ai particulièrement aimé le personnage du grand-père, Alfonso, tendre et diplomate.



Dans une écriture élégante, descriptive mais très fluide, l'auteur règle ses comptes à la fois avec son pays mais également avec une société en mettant en évidence ses travers, en s'amusant presque à la manière d'un vaudeville des situations grotesques de chacun. S'il fait de Carlos De Maia son héros c'est finalement Ega qui se fait l'observateur privilégié d'un monde en décadence même si lui-même vit et participe à ce drame à travers un amour impossible. C'est un roman ambitieux qui explore la conscience de ses personnages, les confrontant à des choix cornéliens et une très belle histoire d'amour impossible sans oublier le contexte politique de l'époque :



Dans ce pays béni, tous les politiciens on un "immense talent". L'opposition reconnaît toujours que les ministres qu'elle couvre d'injures ont, en dehors des qu'ils font, "un talent de premier ordre !" Inversement la majorité admet que l'opposition, à qui elle reproche constamment les bêtises qu'elle a faites, est pleine de "très robustes talents !". Mais tout le monde est d'accord pour die que le pays est dans le gâchis. Il en résulte une situation ultra-comique : un pays gouverné par un "immense talent" qui, de tous les pays d'Europe, est, de l'avis unanime, le plus stupidement gouverné ! Je fais une proposition : comme les talents échouent toujours, essayons une fois les imbéciles ! (p619)



Un petit regret : dès le début j'ai pressenti ce qui allait se jouer en fin de roman,  mais connaissant peu la littérature portugaise et l'histoire de ce pays, ses codes et univers, j'ai pris plaisir à suivre les états d'âme des protagonistes avec ce qu'il faut de rebondissements, d'aventures, de quiproquos, de mensonges et d'aveux qui font de ce roman une fresque familiale avec en toile de fond le Portugal de la fin du XIXème siècle, dont on sent que bientôt il devra par la force des choses, comme dans d'autres pays, se résoudre à un autre devenir loin des acquis et privilèges, de la légèreté de certaines classes mais dont l'auteur annonce également son manque d'ambition et l'image qu'elle offre au monde.



J'ai beaucoup aimé pour l'écriture, son élégance, pour sa richesse de thèmes, son apparente légèreté qui se révèle un pamphlet d'une société et d'une époque et parce que je m'aperçois que les personnages et l'ambiance restent profondément présents en moi. 
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Le cousin Bazilio

José Maria Eça de Queirós (1845-1900), véritable monument de la littérature de langue portugaise du XIXème siècle fut un contemporain de Zola, de Flaubert et De Maupassant. Très influencé par les courants littéraires français de son époque (et notamment par Flaubert à qui il vouait une admiration sans bornes), il a introduit le naturalisme dans la littérature portugaise. Son roman «Os Maias» («Les Maia»), épopée familiale sur fond de critique sociale et de chronique de moeurs de la bourgeoisie portugaise de la fin du XIXème siècle, considéré son oeuvre majeure, est souvent cité comme un des romans les plus importants de toute la littérature de langue portugaise.



O PRIMO BASÍLIO («LE COUSIN BAZILIO» en français : l'accent aigu sur le «i» a disparu et le «s» du prénom transformé en « z » - on se demande d'ailleurs pourquoi ?) remporte dès sa parution un succès appréciable auprès du lectorat portugais et lusophone en général, devenant avec le temps un des ouvrages les plus lus et populaires de son auteur.



Roman engagé, il s'agit d'un livre incroyablement audacieux et moderne pour l'époque, notamment par la liberté de ton avec laquelle, dans une société aussi conservatrice, bigote et moraliste que la société bourgeoise portugaise de la deuxième moitié du XIXème siècle, de thèmes tels l'adultère, la condition des femmes, la sexualité féminine, les inégalités sociales et les rapports de classe seront traités.

Selon certains spécialistes de l'oeuvre d'Eça de Queirós, O PRIMO BASÍLIO serait celle qui correspondrait au mieux à la vision défendue à maintes reprises par l'auteur, de l'art en tant que "critique des tempéraments et des habitudes" et susceptible de jouer un rôle d'«auxiliaire de la science et de la conscience » des spectateurs contemporains.



Publié une vingtaine d'années après «Madame Bovary», l'intrigue du roman s'inspirerait en partie de celle du classique de Flaubert, Eça de Queirós allant même, pour rendre hommage à son grand maître, jusqu'à paraphraser l'un des passages les plus connus imaginés par Flaubert, la fameuse scène du fiacre. Et même si l'auteur portugais sera lui aussi traité d'«immoraliste» par certains de ses concitoyens, aucun procès ne lui sera tout de même intenté. Au contraire, le roman sera paradoxalement très bien accueilli par un nombre considérable de lecteurs...appartenant exactement à la même classe que ses principaux personnages, dont l'auteur dresse un portrait loin d'être flatteur!

Mais après tout, comment résister au talent d'un romancier aussi astucieux, au style aussi agréable à lire, au regard si parfaitement «clinique» et à l'ironie si subtilement distillée, capable même de faire oublier au lecteur, par le biais du comique et de la dérision de certaines situations qu'il dépeint, la profonde critique de moeurs et la cruauté impitoyable qui sourdent au fur et à mesure de son récit ? Un style, il faut l'admettre, prodigieusement osé et efficace.



Le roman s'ouvre sur le couple modèle constitué par Luísa et Jorge. Leur douce routine sera bouleversée par l'arrivée du cousin de Luísa, Basílio, de retour du Brésil où il s'était installé depuis quelques années, et où il avait soi-disant fait fortune dans le négoce du caoutchouc. le retour à Lisbonne de ce dernier coïncide avec l'absence du mari, Jorge, fonctionnaire ingénieur des mines, parti en mission de prospection dans les provinces de l'Alentejo pour quelques semaines. Basílio, aventurier doté de peu de scrupules, beau-parleur, égoïste, cynique et libertin, profitant de cette absence providentielle, s'applique à séduire sa cousine, avec laquelle il avait déjà vécu une romance juvénile avant d'avoir émigré au Brésil.

Malgré l'amour sincère que Luísa porte à son mari, l'insistance et la hardiesse de son cousin, l'impétuosité de la flamme qu'il lui déclare, l'exaltation provoquée par le souvenir de l'intensité de ses propres émois amoureux de jeune fille, la fascination exercée par le panache incroyable de ce séducteur chevronné, l'auréole et le charme du parisianisme affiché par ce dernier, voilà qui finira par miner les défenses les plus coriaces de la jeune épouse et la faire succomber à la force inouïe de ses pulsions amoureuses. L'absence de son époux devant se prolonger encore de quelques semaines, Luísa s'abandonnera de plus en plus volontiers à l'urgence dictée par son désir amoureux, alimentée considérablement par la découverte d'un plaisir sensuel et érotique jusque-là insoupçonné.



Ce dernier élément donnera à l'auteur, notamment par le biais de tournures savamment dosées, et à force de montrer-cacher, de sous-entendus et d'ellipses, l'occasion de décrire, toujours avec beaucoup de tact et d'élégance, des scènes d'ébats amoureux comprenant des pratiques sexuelles où le plaisir féminin sera mis, pour ainsi dire, dans un pied d'égalité (ou dans une égalité du pied, si vous préférez...) avec celui du mâle. Pour rappel, nous sommes en 1878!

L'on retrouvera également chez Eça de Queirós le souci de dénoncer plus généralement la condition des femmes de son temps, leur assujettissement non seulement au plaisir masculin, mais aussi au pouvoir et aux nombreux autres privilèges accordés à la gent masculine. Bien que le ridicule et l'hypocrisie des comportements féminins ou les stéréotypies de leurs attitudes affichées en société n'échappent guère non plus à cruelle ironie cachée sous la plume alerte de l'auteur, Eça de Queirós ne manifestera à aucun moment des propos aux relents ouvertement misogynes. Bien au contraire : en fin observateur des moeurs de ses contemporains, il s'astreint à décrire, plutôt de l'intérieur et sans faire de jugements «genrés», la condition des femmes et la réalité de leur statut dans la société bourgeoise lisboète de l'époque.

Ainsi, par exemple, la naïveté, voire parfois la sottise de Luísa se livrant aux rêveries où elle se voit déjà en train de vivre la grande vie à Paris avec son amoureux et riche cousin, la niaiserie avec laquelle elle peut tomber dans certains des pièges grossiers que ce dernier lui tend, sont loin d'être traités avec mépris ou comme étant des attributs intrinsèques à la condition féminine. Et comment faire autrement quand on aura toujours décidé à votre place, qu'on a considéré depuis toujours que vous étiez un être fragile ayant besoin de protection, d'être chaperonnée lors de ses déplacements, d'évoluer sous l'autorité d'un père, puis d'un mari? En tant que lecteur, la veine plutôt féministe de l'auteur m'a semblé en tout cas aller de soi.



Dans une lettre adressée à un des amis proches (Teófilo Braga), datée de 1878, Eça exprime la crainte d'en faire trop, de rajouter trop de détails à sa narration et, de ce fait, de compromettre la justesse du propos de son nouveau roman.

Il est vrai que dans LE COUSIN BAZILIO, comme souvent, me semble-t-il, dans la littérature du XIXème siècle, l'auteur prend suffisamment le temps de poser le cadre et le contexte de son intrigue, les déployant selon des conventions littéraires et dans une temporalité subjective qui ne sont plus les nôtres. Néanmoins, je crois qu'Eça de Quieirós a tout de même été un peu trop sévère envers lui-même. Personnellement, je n'ai absolument pas été gêné dans ma lecture par une surabondance quelconque de détails ou par des longueurs plus ou moins agaçantes, au contraire, plutôt frappé par la fluidité du style, par la concision et la prégnance visuelle de ses descriptions de l'architecture de la ville, des paysages et des intérieurs, je ne les ai jamais trouvées ni excessivement détaillées, ni gratuites ou superflues!

Pour le reste, c'est vrai que LE COUSIN BAZILIO n'est pas un roman d'amour centré exclusivement sur l'histoire d'une infidélité féminine. Porté par une galerie de personnages représentatifs de la petite bourgeoisie, de l'aristocratie et du petit peuple lisboètes, le roman dresse un portrait sans concessions de la société portugaise de son époque, de la dureté des rapports de domination de classe et de genre, de l'hypocrisie et de l'étroitesse d'esprit qui se cachent sous le vernis de d'une moralité douteuse et du maintien de l'ordre social.



Ainsi, l'intrigue connaîtra-t-elle un retournement surprenant quand la bonne de Luísa découvrira l'infidélité de sa patronne. Juliana, la bonne, est un personnage au profil inoubliable, magistralement dessiné par l'auteur. Emblématique aussi de cette violence larvée dans les rapports de classes, de la révolte et, le cas échéant, de la prise et exercice d'un pouvoir tout aussi tyrannique par les classes opprimées envers les classes dominantes. Juliana guette la moindre occasion d'obtenir de preuves irréfutables de l'adultère, et à force de ruse et de patience, parviendra enfin à réunir suffisamment d'éléments lui permettant d'enserrer sa maîtresse dans une toile d'araignée solidement tissée. La relation inextricable de chantage et de dépendance qui s'installera entre les deux femmes, conduisant par moments à inverser pathétiquement les rôles traditionnels de domination, permettra à l'auteur de déployer une brillante démonstration littéraire de la dialectique du maître et de l'esclave.

Cette relation occupera dès lors une place centrale dans l'intrigue du roman et donnera naissance à des situations et à de scènes d'une densité dramatique remarquable. Certes, même s'il est difficile d'éviter de penser ici à d'autres oeuvres célèbres autour de ce même thème (Jean Genet au théâtre, Pasolini ou Chabrol au cinéma...), il faut en l'occurrence reconnaître l'immense talent d'Eça à le traiter d'une manière aussi diaboliquement échafaudée et réaliste, de le disséquer sous toutes ses coutures, y compris du point de vue de l'interchangeabilité des rôles de domination, d'une façon en fin de compte dépourvue de toute dimension allégorique, comme chez Genet, ou appuyée sur une conception marxiste de la lutte de classes, comme chez Pasolini ou Chabrol.



Dans le journal que Adolfo Bioy Casares avait consacré à ses nombreuses rencontres avec Jorge Luis Borges, entre 1947 et 1989 (publié sous le titre « Borges »), nous pouvons lire le passage suivant : «Mardi, 14 juin [1955] (...)Nous avons parlé d'Eça de Queirós; nous avons dit que nous aurions aimé qu'il y ait plus de livres d'Eça ; que tout ce qu'il écrivait était agréable; qu'il était de loin supérieur à ses «maîtres», supérieur à Anatole France, voire même à Flaubert. Borges a un mouvement d'hésitation quand j'évoque Flaubert; puis il dit que Madame Bovary est une oeuvre bien moins riche que le Cousin Bazilio.»



Ce n'est que l'avis de Borges, bien sûr ! Dans tous les cas, Eça de Queirós, c'est certain, reste un grand auteur, une lecture incontournable, à rajouter impérativement à la pile-à-lire des vrais amateurs de la belle littérature produite par le XIXème siècle.



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La relique

Première rencontre pour moi avec un écrivain portugais, et on ne peut plus marquante. Messire de Queiroz nous invite là à une promenade. Non pas sur les douces rives du Duros ou parmi les fleurs de Madère ; mais dans un jardin où pousse dru l’un des plus courants et des plus laids sentiments humains : l’hypocrisie.



L’honorable Théodoric Raposo prend la plume pour nous raconter l’histoire de sa vie. Orphelin de père et de mère, il est recueilli par une vieille tante ayant atteint de le stade ultime de la bigoterie… Et fabuleusement riche. Et notre héros est prêt à tout pour capter son argent. Entendre cinq messes par jour, marmonner des patenôtres à s’en faire mal à la bouche et rester agenouillé à s’en faire des calles aux genoux, tonner contre la déchéance et le manque de moralité… Et le soir, rejoindre discrètement sa maîtresse - car le gaillard est un chaud lapin, et la vue d’un jupon suffit à le rendre fou.



Malheureusement, et malgré les prières ardentes qu’il adresse à tous les saints pour hâter son décès, la vieillarde est solidement accrochée à la vie, et songe même à léguer tous ses biens à l’Eglise. Aux grands maux les grands remèdes : pour gagner en sainteté, notre Théodoric entreprend un pèlerinage à Jérusalem ! Pleine d’admiration, sa tante lui demande de lui ramener quelque chose : une relique sainte…



Personne pour sauver l’autre, dans ce livre où le héros est prêt à toutes les lâchetés et tous les mensonges, se fait plumer par des malignes et fréquente de doctes professeurs qui vous fabriquent une authentique couronne d’épine en deux temps-trois mouvements. La fin vient adoucir ce qui, sans cela, passerait pour un manifeste d’agnosticisme et de misanthropie : mieux vaut être ami avec un athée honnête qu’un chrétien hypocrite, et vice-versa. On ne peut qu’approuver.



Un livre absorbant, magnifiquement écrit… Et qui m’a mis profondément mal à l’aise. En tant que croyant, d’une part. Mais aussi en tant que personne humaine. Si brillante est l’écriture qu’elle nous incite à réfléchir sur nous même. Qui peut se prévaloir de n’avoir jamais laissé passer un mot complaisant qu’il ne pensait guère ? De toujours placer ses actions à la hauteur de ses idéaux ? De croire et penser chaque mot qui franchit ses lèvres ? N’en prenez pas plus à votre compte que vous ne voulez ou pouvez vraiment en faire, tel est le second message du livre. Pas évident…
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La vie extravagante de Fradique Mendes

Le narrateur, dont on ignore le nom, évoque, un de ses amis, Fradique Mendes, des années 1850 à 1888. Entre Paris et Lisbonne en passant par le Caire, le jeune Fradique, à la fois dandy, curieux intellectuellement, et poète, se frottant tant aux domaines scientifiques comme qu'aux domaines artistiques, connu pour son recueil de poèmes "Les lapidarias", promène son flegme et donne son avis et ses impressions sur tous les sujets. Voyageur et philosophe, il jette sur le monde et sur ses fréquentations un regard tantôt humoristique, tantôt cynique. Rencontrant les poètes et écrivains comme Leconte de Lisle, Théophile Gautier, Baudelaire et même Victor Hugo à Guernesey, il ne se prive pas de critiquer ou remettre en cause la valeur de certains de leurs écrits ou de leurs poèmes. Tantôt extravagant, tantôt défenseur de l'élégance et de la morale, ce Fradique Mendes apparaît comme un caméléon, séduisant son auditoire et dont les nombreuses facettes permettent d'éclairer le monde qu'il traverse.



Entre le portrait dressé par le narrateur qui présente Fradique comme un être curieux de tout, intellectuel, esthète et hédoniste, mettant à profit ses voyages pour multiplier les rencontres, et les lettres écrites par Fradique lui-même sur de multiples sujets rassemblées en deuxième partie du récit, Eça de Queiros s'amuse et décrit dans une biographie imaginaire, et avec énormément d'humour, l'époque et la société dans laquelle son personnage évolue. Il réussit à souligner avec intelligence, les travers de ses semblables, la fatuité des intellectuels, écrivains et artistes, caricaturant les suiveurs qui portent aux nues ce Fradique, décrit plus comme un surhomme - l'alpha et l'oméga de son époque - que comme simple dandy. La vérité du personnage est révélée par la lecture de ses lettres qui montrent sa grande profondeur, son recul et sa lucidité.

Avec la vie extravagante de Fradique Mendes, Eça de Queiros se lance dans la biographie imaginée et presque loufoque, d'un dandy raffiné et éduqué qui traverse la fin du XIXème siècle à la rencontre des artistes, écrivains, à la découverte des grandes orientations technologiques comme le canal de Suez, la construction de la ligne de chemin de fer entre Jaffa et Israël. C'est drôle, intelligent, léger et jubilatoire mais également profond dans la satyre et la caricature, dans le regard porté sur la société de cette fin de XIXème siècle.

Un bijou d'humour et d'intelligence dans la lignée de Maupassant ou Gogol, à découvrir.
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202, Champs-Élysées

En cette fin de XIXème siècle, Jacinto, seul héritier d'une grande famille d'agriculteurs portugais, profite de la vie dans son hôtel particulier sis au 202, Champs-Élysées. Une résidence qu'il a aménagé avec toutes les commodités et les appareils les plus modernes lui permettant, pense-t-il, de simplifier et d'embellir sa vie. A la fois dandy, philosophe, épicurien, il traîne son ennui et son ironie de soirées en réceptions, souvent blasé par l'absence de désir, ne sachant plus comment apprécier sa vie. C''est grâce à Ze Fernandes, son cousin, arrivé de son Portugal natal, simple, enjoué et portant toujours son regard bienveillant mais critique que Jacinto va décider de renouer avec les domaines de ses aïeux; les deux hommes vont entreprendre le voyage qui va transformer et sortir Jacinto de sa torpeur et le révéler à lui-même.



202, Champs-Élysées est une découverte de l'œuvre de José-Maria Eça de Queiros , diplomate et écrivain portugais qui, grâce à son observation de la nature humaine, dresse le portrait d'un jeune homme à la vie dilettante, se livrant corps et âme au progrès, lui attribuant les facultés de faciliter la vie mais qui ne l'empêche pas, à terme, de tomber dans une certaine neurasthénie. Tout au long du roman que cela soit à Paris ou au Portugal, José-Maria Eça de Queiros grâce à Ze Fernandès, à la fois témoin et narrateur, dresse des portraits pleins d'esprit, très drôles, avec un humour décapant, de cette société bourgeoise, un peu décadente qui ressemble aux dandys fin de siècle comme Oscar Wilde, Oblomov ou des Esseintes. 202, Champs-Élysées est également un roman d'apprentissage avec le renaissance d'un homme qui va se découvrir entrepreneur et sortir de son état dépressif.

Un roman drôle et très humain.
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Les Maia

Les deux thèmes de prédilection d'Eça de Queiros sont indiscutablement la conscience humiliée des Portugais à l'égard de leur pays en cette seconde moitié du 19ème siècle et la passion amoureuse, surtout impossible.



Dans les salons de l'aristocratie lisboète, il est beaucoup question de l'apathie qui s'est abattue sur le pays et a stérilisé ses ressources : sans talents politiques novateurs, sans richesses appréciables malgré d'immenses colonies, incapable de développer une agriculture florissante ou une industrie viable, sans génie artistique, le Portugal vit d'emprunts qui vont le conduire à la banqueroute et pour tout le reste à la traîne de l'Europe, imitant les pays plus dynamiques jusque dans ses sociétés philanthropiques et ses manifestations sportives ; inapte aux vrais raffinements de civilisation, il échoue même à sauvegarder sa propre culture, qui se limiterait aux lâchers de taureaux dans les rues. Mélancoliques et indolents, ces messieurs en viennent à souhaiter mezza voce une mise sous tutelle espagnole et se laissent sombrer avec majesté et fatalisme en confiant leurs affaires aux régisseurs et aux banquiers.

Pour le reste, ce qui occupe cette classe oisive et encore privilégiée, c'est l'amour, bien sûr, grande affaire quand on n'a rien à faire : l'amour comme passe-temps, de préférence adultère, l'amour de scandale et de routine, mais aussi l'amour passion, l'amour fou, l'amour pour lequel on est prêt à sacrifier son avenir. Dans l'intrigue d'Eça de Queiros surgit toujours un obstacle au bonheur des amants, infranchissable : jamais celui que l'on voit se profiler, mais toujours pire. Je n'en révèlerai pas davantage.

Le style est extrêmement agréable, fluide et classique mais très alerte, souvent malicieux. La description de la nature portugaise (on a envie de partir pour Sintra toutes affaires cessantes) et des intérieurs est exquise. Les personnages ont un relief qui les fait vraiment exister, on a l'impression de connaître Alfonso, Carlos, Ega.

Queiros est considéré comme appartenant au mouvement littéraire naturaliste : "Les Maïa" comportent d'ailleurs de nombreuses polémiques opposant les personnages sur leur conception de l'art. Mais il ne s'agit pas du naturalisme d'Emile Zola dans "L'assommoir" ou "La terre", mais d'une forme plus proche de celle de Flaubert ou Maupassant.

Une très belle découverte pour moi, tout comme "La tragédie de la rue des fleurs", lue précédemment.
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Son excellence

Je retrouve aujourd’hui le cher, le merveilleux, l’unique Eça de Queiroz, l’Oscar Wilde de l’Alentejo, le Zola du bord du Duro… Et quel livre pour ces retrouvailles ! Une petite merveille d’ironie, de sarcasme et de perfidie, peuplée de quelques portraits au vitriol et d’un gros zeste d’humour, bref le pudding à l’arsenic de la littérature !



Z. Zagalo, ex-secrétaire particulier de son excellence le comte Alipio Abranhos, raconte la jeunesse et l’ascension sociale de son défunt maitre en en dressant un panégyrique qui, il l’espère, devrait lui attirer les bonnes grâce de sa veuve éplorée. Fils d’un tailleur d’une petite ville de province, petit-fils d’une dame de bonne famille s’étant mésallié, le futur comte est tiré de la pauvreté par une riche tante sans enfant, qui décide de l’adopter et de lui donner une bonne éducation. Devenu un jeune avocat prometteur, il réussit à faire un bon mariage, qui lui ouvre les portes de la haute société et du monde de la politique. Une magnifique carrière ponctuée de trahisons en tout genre s’ouvrira à lui…



Il n’y pas de mots pour décrire la mauvaise foi absolue avec laquelle le secrétaire particulier justifie toutes les fourberies, toutes les bassesses et tous les coups bas de son maitre. Il y en a tellement qu’on ne saurait laquelle choisir au milieu de ce fantastique bouquet de malignité. Que ce soit sa fréquentation des prostitués, ses diplômes obtenus grâce à la délation de ses camarades, ses flagorneries pour se faire bien voir de ses futurs beaux-parents, ses trahisons politiques, son mépris absolu pour ses administrés, tout est magnifiquement justifié comme l’accomplissement de la fierté, de la bienséance et du devoir, toutes qualité que le prince ne peut que personnifier.



La cible d’Eça de Queiroz n’est donc pas vraiment le comte, vieille canaille rouée et hypocrite, mais lucide sur son propre compte et doté d’un véritable flair. Ce sont les profiteurs, les flagorneurs, les gagne-petit qui tourbillonnent en grappes autours des puissants, essayent de récupérer quelques miettes de biens mal acquis à coup de bassesses et de flagorneries.



Je suis à chaque fois confondu par le talent littéraire de ce grand écrivain trop peu connu en France. Son défaut, si l’on peut dire, est son incapacité à se plonger dans le tragique du fait de son goût beaucoup trop prononcé pour l’ironie et de sa capacité à tout tourner en ridicule. Ici, dans ce petit bijou de fiel, il atteint de véritables sommets.
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La Capitale

Ce grand classique de la litterature portugaise raconte les déboires d'Arthur,jeune provincial ,qui débarque à Lisbonne,la Capitale,pleine d'espoirs et de rêves.Il va y être délester,de tout et rapidement:enthousiasme,talent,virginité,argent...

Un grand roman de cet ecrivain présenté comme le Balzac ou le Flaubert portugais,Borges le tenant comme "l'un des plus grands écrivains de tout les temps".
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La tragédie de la rue des fleurs

José Maria Eça de Queiros est né en 1845 au Portugal et mort en France en 1900. Successivement consul à la Havane, en Angleterre et à Paris, où il s'installa en 1889, il mena de front la carrière de littérateur et de diplomate et fut grandement influencé par la littérature française, notamment les oeuvres De Maupassant et Flaubert.

"La tragédie de la rue des fleurs" est le récit d'une histoire d'amour entre un jeune bourgeois et une demie mondaine en même temps que la peinture du milieu bourgeois et intellectuel lisboète.

La traduction de Jorge Seda Nunes et de Dominique Bussillet, essayiste et traductrice, est de grande qualité : le style est imagé, sensuel, avec des teintes naturalistes et d'autres sentimentales, au plus près des ressorts intimes qui font l'homme et la femme. Une magnifique figure paternelle (en l'occurrence celle d'un oncle), en émerge.

J'ai pris autant de plaisir à lire cette oeuvre que "La Chartreuse de Parme" De Stendhal.

C'est un grand livre très agréable à lire et rempli de la complexité des affaires humaines, individuelles et collectives. Je ne comprends pas qu'il soit si méconnu.
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La Capitale

Le roman, présenté comme écrit en 1878 par son éditeur français, n’a jamais été publié du vivant de l’auteur, mort en 1900. J’ai même rencontré la mention dans une étude, qu’il n’aurait pas été achevé. La question de savoir si l’auteur le considérait comme terminé et s’il souhait sa publication se pose donc.



Nous suivons sur environ 500 pages les destinées d’Artur, jeune homme issu d’une petite classe moyenne, fils unique. La mort de ses parents l’oblige à interrompre des études de droit, dans lesquelles il ne réussissait pas vraiment, passionné de littérature, il se consacrait davantage à des tentatives d’écriture, de journalisme. Sans oublier des tentatives de refaire le monde avec ses amis. Se retrouvant sans moyens d’existence, il doit se réfugier en province, chez des tantes aux moyens modestes. Il finit par occuper un poste de préparateur dans une pharmacie, il s’ennuie beaucoup et se désespère, lorsqu’un héritage inattendu lui permet enfin de partir pour Lisbonne, la capitale, où il rêve une éclatante réussite littéraire, une grande histoire d’amour, une brillante vie dans la bonne société et un rôle politique. Mais son voyage sera une suite de désillusions. Il n’arrive pas à s’introduire dans la bonne société, son livre de poèmes publié à compte d’auteur n’intéresse personne, aucun théâtre ne veut jouer sa pièce. Ses amours seront pathétiques, et il sera expulsé d’un cercle de républicains après une bévue. Il ne fera que manger son héritage, fortement aidé par des relations qui lui promettent de l’aider dans ses projets mais qui ne font que profiter de ses largesses sans tenir leurs engagements. Il n’aura d’autre choix que de revenir auprès de la seule tante qui lui reste et de retravailler dans la pharmacie abhorrée.



Le roman, comme souvent chez Eça de Quieros, oscille entre le réalisme, très précis, avec des pages très naturalistes, et quelque chose de satirique, voire de comique, qui met d’une certaine façon en cause ce réalisme, le fait un peu dérailler par moments. Le roman est d’autant plus savoureux que le personnage d’Artur a un parcours qui ressemble en partie à celui de l’auteur : études à Coïmbra, mêmes goûts littéraires, l’écriture, sympathies républicaines etc. Simplement, chez Artur, tout cela reste au stade de velléités, il rêve les choses sans vraiment les faire, et se laisse porter par le courant qui finit par le faire échouer. En même temps que le portrait de son personnage, Eça de Quieros dresse un tableau satirique de Lisbonne, des salons, des milieux de journalistes, d’un peu plus loin des milieux littéraires, des cercles républicains. Rien n’échappe à un constat de médiocrité et d’auto-satisfaction. Il avait plusieurs fois, en particulier dans une chronique intitulée Lisboa, dénoncé un climat délétère dans la société portugaise, qui provoque selon lui l’indolence et un manque d’énergie. Et c’est exactement le profil de son personnage dans ce roman : Artur imagine la gloire, la réussite, le bonheur, mais ne fait rien de concret pour y arriver (il n’écrit même pas après ses tentatives de jeunesse), se montre maladroit, se laisse abuser, change d’avis à tout instant. Très vite, il entre dans une sorte de routine, dans une ville où de toutes les façons il semble difficile d’arriver à quoi que ce soit, tant les gens y semblent bornés et peu capables de quelque chose qui sorte d’un quotidien banal et mesquin. Un anti-héros impuissant dans une société elle-même impuissante.



Un excellent roman d’un grand auteur trop méconnu en dehors de son pays.
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Alves et Cie

Ce court roman évoquant l'adultère aurait pu connaître une tournure dramatique, finalement c'est un vaudeville. C'est drôle comme à l'époque, les maris cocus étaient moqués... Pas très logique pourtant dans une société européenne où les gens étaient soumis à la religion catholique, et où tout péché de chair devait être banni... époque surtout où les femmes restaient au foyer, et où les hommes de la bonne société "entretenaient des petites danseuses"... Ces épouses sensuelles et dévergondées devaient être le fonds de commerce des écrivains de cette fin du 19 ème ou du début du 20 ème siècle, leur fantasme absolu pour l'époque avec le trio femme, mari et amant...

Le ton de ce livre est plutôt léger, et l'auteur nous entraîne à sa suite dans de longues promenades au travers de Lisbonne... Un texte agréable, un tantinet désuet.
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Son excellence

Pas le plus connu des écrivains portugais, déjà pas forcément les plus médiatisés, à part Paulo Coelho bien entendu. En deux mots, il s'agit de la brillante chronique de l'ascension d'un homme politique opportuniste, évidemment. Elle prend la forme d'un panégyrique ironique où, un peu comme chez Patrick Rambaud dans un contexte différent (le personnage d'Eça de Queiroz n'est pas réel), le roi est nu. Moins prolixe et documenté que "Son Excellence Eugène Rougon", le roman d'Eça de Queiroz est aussi plus désespéré, plus sévère. Aujourd'hui, alors que je l'ai lu depuis bien longtemps, à sa lumière, je vois différemment par exemple la crise grecque, qui désespère tant de commentateurs, notamment américains. Quand on le referme, il ne reste qu'un soupir. On n'est cependant pas près de faire mieux...
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