Un livre, c'est un compagnon, on peut l'emporter partout. C'est partir très loin sans bouger. C'est...
La librairie a ouvert aux clients, mais David est resté. Il fait mine de consulter un gros ouvrage, dont il ne pourrait dire le titre, car il s'intéresse surtout au monde qui l'entoure. Il y a une odeur à laquelle il n'avait jamais pris garde jusque-là. C'est celle du papier, mais pas seulement. De l'encre, peut-être, de la poussière aussi. "Du savoir, se dit David, ce doit être ça : l'odeur du savoir." Elle anesthésie, donne envie de ne plus bouger, de s'asseoir et d'écouter les mots. De lire.
- Voyez-vous, un train qui part à l'heure, ou pas, c' est le destin. Par exemple, il rate sa correspondance, elle ne l'attend plus, et ce couple qu'ils auraient pu devenir n'existera pas. Les enfants qu'ils auraient dû avoir, eh ben, il n'y en a pas. Ils ont failli exister, mais le train n'était pas là. Peut-être que lui va sombrer dans l'alcool, elle dans la prostitution…
- Vous exagérez !
- Un peu, un peu, je force le trait. Ou le gars qui aurait dû décrocher ce boulot, mais comme il rate le rendez-vous, c'est l'autre qui l'a. Mais c'est peut-être aussi sa chance, il va vivre une autre opportunité bien plus intéressante, ou se mettre à son compte et faire fortune. On ne prend pas suffisamment en compte tout ce qui peut changer selon qu'un train part ou non à l'heure.
Un livre, c'est un compagnon, on peut l'emporter partout.
- Un rustre ?
- Oui, un type sans classe, sans finesse. Un bourrin. Un gros nase.