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3/5 (sur 3 notes)

Nationalité : France
Né(e) le : 4/02/1942
Biographie :

Sociologue, Diplômé d'HEC, professeur des universités, Jean-Pierre TERRAIL est chercheur au laboratoire Printemps (Professions - Institutions - Temporalités), Université de Versailles – St Quentin en Yvelines.
Il est par ailleurs directeur des collections « L’état des lieux » et « L’enjeu scolaire » aux éditions La Dispute.

Source : catalogue de la BNF
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Conférence de Jean-Pierre Terrail à Nantes, le 2 décembre 2010. Partie 2.


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Jean-Pierre Terrail
Les voies de la démocratisation scolaire

Le besoin d’une élévation très significative de la formation et de la qualification des jeunes générations s’est fait ressentir, dans les différents pays capitalistes développés, dès les années 1950. La réponse qui lui a été apportée en France apparaît, avec le recul, particulièrement paradoxale.

La 3e République scolarisait séparément les enfants du peuple (voués à l’enseignement primaire) et ceux de l’élite (accueillis dans les lycées). L’« École unique » mise en place entre 1959 (avec le décret Berthoin qui porte la scolarité obligatoire à 16 ans et permettra la généralisation de l’entrée au collège) et 1975 (réforme Haby instaurant le collège unique) se proclame ouverte à tous, et récuse ostensiblement toute détermination des parcours scolaires par l’argent ou la position sociale. Ce discours sera rapidement et massivement entendu : entre 1963 et 1972, avant même donc l’émergence du chômage de masse, la proportion de parents ouvriers souhaitant que leurs enfants obtiennent au moins un bac passe de 15 % à 62 %.

D’un autre côté, les mécanismes de régulation des flux scolaires propres à l’École unique, conjuguant l’évaluation continue des élèves, leur classement et leur orientation dans un dispositif de sections et de filières hiérarchisées, vont se révéler redoutablement efficaces. Les nouveaux publics du secondaire seront en effet assez systématiquement orientés vers les nouvelles filières (moins valorisées) de l’enseignement professionnel et technologique. Au point qu’après quatre décennies, et alors même que l’École unique a permis une explosion des scolarités unique dans l’histoire, l’inégalité sociale des chances scolaires n’a pas bougé d’un pouce. Ainsi dans les années 1960 les chances d’obtention d’un bac général étaient de 56 % pour un enfant de cadre et 11 % pour un enfant d’ouvrier (45 points de différence) ; ces chances sont aujourd’hui respectivement de 72 et 22 % (50 points de différence).

On a là les ingrédients qui font de la question scolaire depuis quatre décennies une question « chaude », et qui le reste, le poids du diplôme sur le marché du travail et la hantise du chômage ne faisant rien pour atténuer son acuité. Malgré l’échec des politiques successives de lutte contre l’échec scolaire, et la réticence persistante d’une majorité d’enseignants face au principe du collège unique, la revendication populaire d’une meilleure efficacité de la transmission scolaire reste très forte et empêche tout abandon du dossier de la démocratisation de l’École.

Une perspective réaliste ?

N’est-il pas cependant quelque peu illusoire, comme on l’entend parfois soutenir à gauche (Par exemple, pour le plus récent, par Pierre Bergounioux, 2006), de prétendre changer l’École sans changer la société ? Outre le caractère réversible de cette proposition (comment changer la société sans changer l’École ?), il y a toutefois bien des raisons de ne pas réduire les inégalités scolaires à une traduction mécanique des inégalités sociales et culturelles. L’enquête Pisa de l’OCDE menée dans quarante-trois pays différents met en évidence une efficacité variable de l’École : les parcours scolaires peuvent accentuer les inégalités sociales ou, à l’inverse, les traduire de façon plutôt atténuée (comparée aux pays scandinaves, la France dispose à cet égard d’une marge de progression très confortable).

L’examen des processus en jeu conforte, quant à lui, le principe d’une relative indépendance entre action scolaire et structures sociales. Les recherches sociologiques et sociolinguistiques accumulées depuis les années 1960 ont confirmé la variation selon l’origine sociale des ressources langagières et culturelles des différents publics scolaires. Mais si ces travaux prouvent l’avantage relatif dont disposent les enfants de parents longuement scolarisés, ils ne disent rien quant aux capacités des autres. Que ces derniers soient moins avantagés n’implique en rien qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires à une entrée satisfaisante dans la culture écrite, même si elle est moins facile ou moins brillante. Et de fait, l’examen des performances intellectuelles dans les cultures orales, ou de celles des enfants d’avant l’entrée au CP, montre que l’entrée dans le langage assure par elle-même, quelles que soient les modalités culturelles de son usage, la formation des capacités à l’abstraction et au raisonnement logique qui suffisent à une scolarisation normalement réussie.

La fameuse théorie du « handicap socioculturel » ne saurait rendre compte, autrement dit, de l’échec massif aujourd’hui des jeunes d’origine populaire. L’action scolaire peut bénéficier même à ceux qui ne disposent au départ que du parler populaire des cités. Et l’on ne saurait davantage imputer leurs difficultés d’apprentissage à une absence de « motivation » : toutes les enquêtes montrent que le désamour du travail intellectuel et des savoirs de l’École n’est pas la source, mais la conséquence de difficultés scolaires précoces vécues comme insurmontables.

Démocratiser l’École paraît donc un objectif tout à fait réaliste. Et même urgent, à mesurer les dégâts sociaux provoqués par l’échec de masse. Mais comment s’y prendre ? La question appelle quelques observations préalables.

Un objectif très ambitieux

Face à la posture normative qui domine aujourd’hui les débats (telle pédagogie est la plus conforme aux besoins des enfants, au fonctionnement de l’esprit humain, etc.), il importe sans doute d’adopter une approche critique, qui s’efforce par l’examen attentif des pratiques d’identifier les obstacles à la démocratisation ; et qui n’hésite pas à prendre acte des limites des façons actuelles de procéder, fussent-elles parfaitement séduisantes sur le papier, et à en tirer les conséquences.

Depuis la mise en place de l’École unique et la modernisation pédagogique qui l’a accompagnée, une théorie de réformes partielles, une accumulation de mesures de remédiation et de discrimination positive ont cherché à réduire l’échec scolaire. Elles n’ont pas eu d’effets sensibles sur le rendement pédagogique du système. Une telle expérience, réitérée pendant près de quatre décennies, invite à beaucoup d’audace et de radicalité intellectuelles : la démocratisation scolaire est au prix, à l’évidence, d’un retour sur les principes mêmes qui organisent aujourd’hui les fonctionnements de l’École.

La revendication syndicale d’une amélioration massive du financement public de l’École, posée comme condition de sa démocratisation, apparaît totalement légitime : pour remplir leur mission de façon efficace, les enseignants (et les élèves) ont besoin de bonnes conditions de travail. Mais la question subsiste de ce que l’on fait des moyens dont on dispose. Ainsi du taux d’encadrement : le meilleur imaginable, celui qu’assurent les cours particuliers, est loin de toujours donner des résultats spectaculaires. Les 3 000 postes arrachés par la lutte de masse au ministre Allègre en 1998 en Seine-Saint-Denis n’ont pas réduit l’échec scolaire dans le département. Et le dédoublement des effectifs en classe de CP, expérimenté sur une centaine de sites par le ministre Lang, n’a produit aucun résultat significatif. En matière de démocratisation, on ne peut contourner la question de la transformation des pratiques.

Vouloir une École démocratique apparaît ainsi comme un objectif à la fois réaliste et très difficile à réaliser. Socialement, le maintien des choses en l’état peut faire l’objet d’un consensus tacite entre les classes dominantes et les classes moyennes, qui tirent plus ou moins leur épingle du jeu. Même si elles représentent près des deux tiers de la population active, les classes populaires qui auraient, elles, intérêt à changer les règles du jeu, se sentent beaucoup moins autorisées à intervenir. Il est frappant, à cet égard, de constater que les syndicats de salariés (et les partis de gauche) ont largement délégué aux organisations enseignantes le soin de définir ce qu’il convient de revendiquer en ce domaine. Politiquement, les choses ne sont pas plus simples. L’École unique a été vécue comme une façon même imparfaite de réaliser le plan Langevin-Wallon de 1946 ; la rénovation pédagogique des années 1960-1970 a été appréciée et soutenue dans son principe par les syndicats enseignants et les organisations progressistes. Suggérer aujourd’hui aux partisans de la démocratisation scolaire que celle-ci passe par un réexamen critique de ce dans quoi ils ont investi si fortement ne manque jamais de provoquer chez eux de vives crispations.

De l’École unique à l’École commune

L’École unique implique la prise en charge de la sélection sociale par l’institution scolaire. Ce n’est pas une École égalitaire mais une École de l’égalité des chances. Et pour donner à chacun sa chance, elle organise la mise en compétition permanente des élèves, au moyen de procédures d’évaluation à l’œuvre désormais dès la petite section de maternelle. L’École unique, c’est la sélection : ce principe qui dès l’origine a structuré sa conception (ce n’est pas parce qu’on ouvre le collège, notait Berthoin dans les attendus du décret de 1959, qu’on va accepter au lycée des milliers de jeunes qui n’ont rien à y faire), a deux conséquences antidémocratiques.

Quand une institution qui doit répartir des flux dans un dispositif de filières inégalement valorisées accueille des individus disposant de ressources inégales et les met en concurrence, il est inévitable que les moins dotés soient assignés au pôle des perdants, et vice-versa. La concurrence transmue la différence des ressources en échec des uns et réussite des autres, elle transforme en échec de masse des différences langagières et culturelles qui n’ont par elles-mêmes rien de rédhibitoire.

Dans un contexte concurrentiel,
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C’est cette culture de l’échec qu’il s’agit de battre en brèche pour réussir la démocratisation de l’école
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Plus que jamais la valeur émancipatrice du savoir, entendons par là d’un savoir réfléchi et critique qui ne se suffit pas de connaissances utiles, est à l’ordre du jour. Et elle l’est pour tous. Or, malgré l’urgence historique, notre école n’y fait guère droit
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Ce livre part d’une autre conviction : celle de l’exigence, dans le monde d’aujourd’hui, d’une éducation scolaire pour tous de haut niveau, une éducation qui ne vise pas d’abord à inculquer des messages, mais à former des capacités instruites de réflexion et d’analyse.
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« bien avant d’entrer dans le lire-écrire, l’enfant a appris à manier le pourquoi, le parce que et le puisque, et il est soumis à leur pouvoir de contrainte : savoir parler, c’est pratiquer le raisonnement logique, connaître et accepter sa force »
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D’un coté, en effet, la conviction dogmatique, jamais interrogée, du caractère "concret" de la pensée enfantine fait obstacle à tout réexamen des dispositifs pédagogiques en place aujourd’hui, quelle que soit l’évidence des limites de leur efficacité. De l’autre, cette même conviction soutient l’idée que la pensée enfantine ne dispose pas par elle-même, sans l’aide d’un entourage familial lettré, des ressources suffisantes pour affronter les difficultés dans la culture écrite, l’échec solaire massif des jeunes d’origine populaire étant alors peu évitable.
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Apprendre à parler, de ce point de vue, c’est se doter d’une capacité de mise à distance, d’objectivation des objets du monde et de la pensée réfléchie
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Vie mentale, langage et compétences intellectuelles » pour conclure « Parler, c’est parler de : les énoncés langagiers convoquent des objets matériels ou immatériels qu’ils désignent, décrivent, commentent, les évoquant de façon plus explicité ou plus implicite. Dire qu’ils produisent de la signification c’est rappeler ce rapport de représentation qui les associe à autre chose qu’eux, fût-ce d’autres énoncés.
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L’examen des ressources propres de l’oralité, beaucoup plus délaissé, est sans doute cependant tout aussi important, qu’il s ’agisse d’apprécier la capacité de tout un chacun à bénéficier de l’instruction scolaire, ou de concevoir l’entrée dans la culture écrite et la conduite des éléments élémentaires
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l’adhésion des jeunes dépendant de deux critères essentiels, une conduite efficace des apprentissages, qui leur donne du sens ; et un comportement des adultes à la fois déterminé et compréhensible, respectueux et dépourvu d’arbitraire comme d’autoritarisme
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