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Citations de Jean-Paul Demoule (61)


La seconde grande rupture de l'histoire humaine, l'apparition de sociétés inégalitaires et hiérarchisées, se pose en des termes comparables. En Europe, c'est au Vème millénaire que certaines tombes deviennent plus riches que d'autres, avec des objets de prestige et des parures de pierre et de métal. C'est aussi le moment où certains villages se fortifient, où les traces de violence (blessures, massacres, incendies) se généralisent. De fait, tout l'espace européen est désormais colonisé et il n'existe plus de terres libres alors que, à ressources naturelles égales, la démographie ne cesse de croître. L'accumulation dans les tombes de cette nouvelle richesse suppose une capacité technique mais aussi économique pour la produire et pour la soustraire au plus grand nombre. Elle suppose également une capacité de manipulation idéologique de la part de ces nouvelles élites afin de persuader le reste de la société, numériquement majoritaire, d'accepter cette "servitude volontaire". Là encore, ces phénomènes inégalitaires ne sont pas apparus dans toutes les sociétés humaines.

Chapitre 3, "L'aventure humaine au crible de l'archéologie"
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On considère ainsi l'invention de l'agriculture et de l'élevage comme l'un des deux évènements majeurs de l'histoire humaine, avec la révolution industrielle du XIXème siècle. Et l'on a classiquement opposé, comme le faisait par exemple l'archéologue Gordon Childe dans les années 1930, les sociétés des chasseurs-cueilleurs du paléolithique, considérés comme des "prédateurs", aux sociétés de "producteurs" des agriculteurs néolithiques. Mais qu'en est-il sur la longue durée, si l'on considère que l'agriculture a certes apporté aux hommes une plus grande sécurité alimentaire mais provoqué aussi une explosion démographique qui n'est plus maîtrisée ? C'est ce que posait dès 1964, dans "Le geste et la parole", le préhistorien André Leroi-Gourhan, de manière encore prophétique à l'époque, à propos de l'Homme néolithique : "Son économie reste celle d'un Mammifère hautement prédateur même après le passage à l'agriculture et à l’élevage. A partir de ce point, l'organisme collectif devient prépondérant de manière de plus en plus impérative et l'Homme devient l'instrument d'une ascension techno-économique à laquelle il prête ses idées et ses bras. De la sorte, la société humaine devient la principale consommatrice d'hommes, sous toutes les formes, par la violence ou le travail. L'Homme y gagne d'assurer progressivement une prise de possession du monde naturel qui doit, si l'on projette dans le futur les termes techno-économiques de l'actuel, se terminer par une victoire totale, la dernière poche de pétrole vidée pour cuire la dernière poignée d'herbe mangée avec le dernier rat."

Dix ans plus tard, avec le premier choc pétrolier de 1973, la prophétie devient peu à peu banalité : les sociétés de "production" ne sont en fait que des société de "prédation" à plus grande échelle, aux prises avec la surconsommation de richesses et et d'énergies non renouvelables. De fait, l'archéologie peut retrouver des indices d'aspects pas toujours positifs de l'impact humain sur l'environnement.

Chapitre 3, "L'aventure humaine au crible de l'archéologie"
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Le progrès technique n'est par ailleurs pas irréversible et des techniques peuvent se perdre, telle la moissonneuse gallo-romaine poussée par un animal : le Moyen-âge l'abandonnera pour revenir au fauchage manuel. Ainsi le développement des techniques entretient d'étroits rapports avec le fonctionnement social.
Les Romains savaient réaliser des machines complexes pour la guerre, la construction ou la meunerie, et les Grecs connaissaient même le principe de la machine à vapeur ; mais la généralisation de l'esclavage, main d’œuvre abondante et peu coûteuse, a bloqué mentalement ces sociétés et les a empêchées de développer un machinisme plus élaboré ; elle a de même privé de pouvoir d'achat ladite main-d’œuvre servile, qui aurait pu être sinon un puissant stimulant pour l'économie. Les civilisations arabe et chinoise, plus avancées techniquement que l'Europe occidentale à la fin du Moyen-âge, ont perdu ultérieurement leur avantage. Les ethnologues nous montrent que des sociétés géographiquement proches utilisent des techniques différentes, non parce que certaines seraient plus efficaces, mais justement pour se démarquer l'une de l'autre.

Chapitre 3, "L'aventure humaine au crible de l'archéologie"
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Leroi-Gourhan eut une influence considérable sur la préhistoire et l'archéologie de la seconde moitié du XXème siècle, et pas seulement sur les méthodes de terrain - qui rompaient aussi avec la tradition des fouilles bénévoles jusque-là majoritaires en France. Il renouvela entièrement l'étude de l'art préhistorique en posant que chaque grotte fait système et n'est pas une accumulation désordonnée de peintures. Enfin il exposa une philosophie d'ensemble sur l'évolution de l'Homme, notamment dans ses rapports à la technique.

Chapitre 1, "L'invention du passé"
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Dans tous les cas, ces ouvrages d'archéologie fantastique témoignent d'un singulier mépris, confinant au racisme, pour les civilisations antiques, les jugeant incapables d'avoir élevé elles-mêmes ces singuliers et admirables monuments.
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Le plus ancien animal jamais domestiqué ne l'a pas été pour sa viande : il s'agit du loup, qui, au fil des générations et des sélections, est l'ancêtre de toutes les races de chien actuelles, du caniche nain au saint-bernard. Ce sont des groupes de chasseurs-cueilleurs qui l'ont domestiqué, de manière certaine autour de -10000 ans, dans tout le nord de l'Eurasie, du Japon à l'Angleterre, mais aussi au Proche-Orient - mais peut être bien avant : on en discute. Le cas du chien prouve que la domestication n'a pas toujours été un processus de prise de contrôle brutale sur une espèce animale. Les meutes de loups et les groupes d'hommes chassaient de la même façon : en bande. Leur association a rendu la chasse plus efficace.
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Étudier le passé, c'est perpétuer la longue chaîne de ceux qui ont vécu avant nous pour jouer notre rôle dans la continuité des groupes humains. Les hommes comme les sociétés ont besoin de la mémoire, non seulement pour satisfaire leur curiosité, mais pour s'assurer de leur place dans le monde, pour se reconnaître dans la suite infinie des générations.
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C'est souvent parce qu'ils se sont battus au nom de mythes, au nom d'entités mythiques, que les humains ont provoqué et provoquent encore les plus grands drames de l'histoire. Il est un peu plus difficile, mais beaucoup plus sain, de comprendre plutôt que de croire.
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Le 3 mars 2011, le président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, prononça au Puy-en-Velay un discours sur l’identité française, invoquant l’histoire et même l’archéologie. Avant lui, ses deux prédécesseurs s’étaient également exprimés sur l’archéologie et l’histoire de la France, François Mitterrand au mont Beuvray en 1985, et Jacques Chirac au palais de l’Élysée en 2005 – ce qui n’était jamais arrivé auparavant de la part de la plus haute autorité de l’État. Et ce qui n’arriva d’ailleurs plus, à ce jour, de la part de ses successeurs.
On sait que le musée du Louvre, installé dans le palais des rois de France et au centre de la capitale du pays, ne contient pas d’objets archéologiques trouvés sur l’actuel territoire français. On sait aussi que les fouilles du Grand Louvre, qui au début des années 1980 ont marqué un tournant radical dans l’histoire de l’archéologie préventive métropolitaine, sont à peine visibles dans la muséographie du musée, un peu comme un remords caché. On sait que les objets archéologiques métropolitains ont été depuis l’origine (c’est-à-dire depuis Napoléon III) relégués au château de Saint-Germain-en-Laye, laissé presque en l’état depuis lors. On sait enfin qu’aucun des « grands travaux présidentiels », incontournable institution de la Ve République, n’a jamais pris pour objet la réfection de ce musée maintenant dit d’« archéologie nationale », ni la création d’un autre musée sur le même thème, sis dans la capitale et comparable dans son ampleur et son ambition au musée d’Orsay, à celui du Quai Branly ou à la Cité des sciences – ou tout aussi bien aux grands musées archéologiques et historiques nationaux que l’on trouve dans la plupart des capitales de l’Europe et au-delà…
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Ce ne sont pas des Gaulois hauts en couleur mais barbares, vivant dans des huttes au milieu des forêts, qui auraient été civilisés par leurs vainqueurs ; ce sont des sociétés prospères, à l'économie et aux techniques inventives et dynamiques, possédant villes et battant monnaie, qui furent intégrées avec succès dans un empire naissant, qu'elles fécondèrent d'autant. (p.129)
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Comme on sait, le mot "travail" vient du latin tripalium, qui désignait un instrument de torture destiné aux esclaves.
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L’actuel confinement dû à la nouvelle épidémie, joint à un télétravail partout où il est possible (et qui tend à se généraliser par ailleurs) n’est finalement que l’ultime aboutissement, emblématique, du destin d’homo sapiens à partir du moment où il a décidé de devenir sédentaire. Fallait-il, dans ce cas inventer l’agriculture ? Il n’y a pas, banalement, de fatalité des techniques, mais seulement de ce que les sociétés en font. C’est ce que montreront, ou non, les mois à venir
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p63 La cuisson (de la nourriture) permet de réduire le coût énergétique de la mastication et de la digestion et permet à l'organisme d'extraire plus de calories, notamment de la viande.
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L'invention de l'agriculture et de l'élevage, il y a environ dix millénaires, fut sans nul doute l’évènement le plus décisif pour l'humanité.
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Une autre forme de violence particulière, également cérémonielle, est celle des sacrifices humains, volontaires ou subis. Ils ne sont pas toujours aisés à identifier, et restent parfois discutés. Un des cas les plus évidents réside dans ce qu'on appelle les "morts d'accompagnement", ceux que l'on retrouve dans la tombe d'un personnage visiblement important, ou à proximité immédiate.
[...] L'archéologie en a retrouvé plusieurs exemples, comme dans la tombe du Néolithique italien, creusée dans le tuf à Ponte San Pietro près de Viterbe : un homme d'une trentaine d'années est déposé au centre de la cavité, le visage peint à l'ocre rouge, accompagné d'une hache de guerre en pierre et d'une autre en cuivre... Le corps d'une femme au crâne fracassé, gît à ses côtés, recroquevillé contre la paroi.
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On peut conclure de ce panorama que si la violence semble attesté à toutes les époques de la préhistoire et de l'histoire, de par l'agressivité mal contrôlée de certains mâles humains, la guerre telle que nous la connaissons, y compris chez les sociétés traditionnelles, n'est le propre que de sociétés déjà nettement hiérarchisée, à savoir en Europe celles dites de l'Age de bronze, à partir du IIIe millénaire au plus tôt. La guerre est indissociable de l'émergence des chefs, et elle s'accompagne de nouvelles représentations idéologiques exaltant en retour les chefs et les armes. Les guerres sont-elles désormais l'horizon indépassable de l'humanité, malgré tous les traités de paix et toutes les procédures d'arbitrage ? On peinerait à trouver, depuis la Seconde Guerre mondiale, la plus meurtrière de l'histoire humaine, plusieurs années de paix consécutives sur l'ensemble du globe. Les armes ne sont-elles pas l'un des commerces, légaux comme illégaux, les plus prospères de la planète ?

p. 157
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Ces "premiers Français" sont des immigrants. Ils sont venus, en lentes étapes, d'Afrique ou leur espèce a émergé progressivement il y a environ un million et demi d'années, se différenciant des Homo habilis, les premiers à fabriquer des outils indiscutables. (p.22/23)
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Il y a dans toute société une aspiration à l'autochtonie et un refus de venir d'ailleurs, revendication qui peut parfois prendre de tragiques tournures, alors même que l'histoire humaine n'est faite que de migrations.
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La suite est connue. Les humains ne cesseront de croître en nombre, avec trois conséquences toujours en œuvre, dont l’archéologie observe les débuts : une course indéfinie au progrès technique (de la charrue aux pesticides) pour nourrir de plus en plus de bouches sur une planète finie ; des tensions entre communautés humaines désormais confinées sur des territoires limités, engendrant une perpétuelle course aux armements (des épées de bronze aux missiles de croisière) ; des inégalités sociales croissantes (des tombeaux mégalithiques du néolithique jusqu’aux vingt oligarques actuels qui possèdent autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité).
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L'archéologie ne se fait plus seulement avec des objets et des murs mais avec le moindre vestige que les techniques de laboratoire sont capables de faire parler.
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