Citations de Jean Grosjean (198)
INATTENDU
Inattendu se montre le matin
à travers les effeuillements des nuits.
Les étourneaux dansent au bord d'un ciel
dont les constellations se sont terrées.
J'entends grincer les grilles d'autrefois.
Ah les jardins désertés par la nuit.
L’écriture est l’art d’omettre. Dire ce n’est pas tout dire. On ne voit les astres qu’à cause du vide. On entend le langage par ses silences. Ce qu’on laisse entendre parle.
MÉLANCOLIE
L'ensoleillement des jardins d'automne avec leurs derniers dahlias. L'effeuillement tranquille des arbres et tout le reste hors de portée. La luminosité de l'absence. L'âme de la dépossession. Et la buée des larmes.
L'ombre tourne sous le hêtre
sans que le soleil descende.
Le soleil stagne au zénith
les pommiers plient sous leur charge.
La respiration d'une herbe,
le chemin secret des taupes,
la fumée droite et tranquille
d'un hameau qui brûle au loin.
Sous le silence on entend
un autre silence.
QUIÉTUDE
L’éblouissement solaire s’étale sur les éteules et les coteaux soutiennent les bords du ciel. Mais la quiétude des apparences cache mal les impatiences du temps. Ni la paix de l’âme n’empêche la chute du jour.
Le soleil s’incline dans les flamboiements des nuages. Les hirondelles se croisent au-dessus de nous. L’ombre nous gagne comme un attendrissement.
PUISSANCE DES NOSTALGIES
L'octobre comme un navire
va vers les derniers rivages.
Je me penche au bastingage
avec un cœur qui chavire.
Ah ne venez pas, cyclones,
secouer les parois du monde,
l'âme oscille assez déjà.
J'arrive au bord de la falaise,
c'est la terminaison du temps.
Mes derniers pas sur la planète
ne font pas retourner l'oiseau.
Jamais le jour ne fut si beau
avec ses arbres que mordorent
les automnes et les crépuscules.
Nous déjeunons sous un reste d'ombrage
parmi les brises au langage inaudible
en qui se perd le peu que nous disons.
Le ciel n'est plus voilé que dans nos yeux.
Laissons voguer l'abeille encore
quand déjà ce n'est plus pour nous.
( Extrait de "Attention au départ" )
Ainsi va
La neige après les frimas
traîne encore le long des bois
Les nuées d'un hiver en fuite
s'attardent sur l'horizon.
Les chemins douteux du ciel
les chemins boueux du monde
le ruisseau du jour abreuve
les troupeaux d'instants.
Ma vie pareille à la tienne
aussi simple qu'insoluble .
LE TEMPLE
Les nuages déploient leurs courses au-dessus de nous sans voir que notre vie est un travail interminable criblé de fêtes éternelles.
Ce chemin le long de la barrière où se penchent des fleurs d'iris ne mène pas au temple, il est lui-même le temple. Et ta main sur mon épaule avant que j'aie pu tourner la tête.
SI VITE
On a frôlé les villages du monde,
on s'arrache à ces jours qu'on n'a pas vus,
on s'écarte de soi. Tout va si vite.
Juste eu le temps de m'essuyer les mains.
J'aurais aimé avoir longtemps vingt ans
comme un busard qui plane.
Les travaux
Bientôt la nuit. Je suis las des travaux.
Penché sur eux comme un saule sur l’eau
je les vois fuir et rider mon image.
Mais ne me prenez pas l’amour de toi.
Tant que tu vis je ne serai pas mort.
La senteur entêtante des premières giroflées entrait par la porte comme un mélange de joie, de deuil et de doute.
Les respirations du ciel
sur l'étendue des jardins
Les nuages sur les maisons
comme des toitures.
Une ondée soudaine suffit
à tendre en l'air l'arc-en-ciel.
Le brasier solaire
se rallume sur le pays.
L'arbre sur le mur
laisse luire son feuillage.
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Emily Dickinson, quand elle dit : « Je ne suis personne », elle veut dire : « Je ne suis pas un personnage, je ne suis pas publique ». Elle précisera: « Comme ce doit être triste d’être une grenouille qui ne cesse de clamer son nom dans un marécage (et le marécage « trouve cela admirable ! »).
Elle dit donc : « Je ne suis personne », mais aussitôt elle s’adresse à une présence muette et réelle, infigurable mais écrasante, innomée mais intime : « Toi, qui es-tu ? Personne non plus ? » Bien sûr, tu ne te fais pas de propagande, tu laisses tes prophètes se contredire, ton messie même aura l’art d’être méconnu des siens et détesté des autres.
« Alors » (éclair d’une révélation, d’un bout à l’autre du ciel comme le jour du Fils de l’homme) « alors », dit-elle, « nous voilà deux ». La dépossession du poète a soudain découvert son prototype absolu.
Mais, cri du cœur, affolement d’une sainteté involontaire : « Ne le dis pas ». Que l’illumination imprévue reste secrète. Il n’est d’extase qu’à l’insu de tous.
Puis tout de suite une immense confiance, une joie qui ne peut s’exprimer que par une symbiose d’ironie et d’humour : « On nous chasserait », dit-elle, cruelle pour la société des humains. Et d’ajouter, adorable, presque wallonne : « tu sais ».
Études. À LEUR INSU, p. 100
Adieu le cornouiller sanguin,
le muflier rouge sur la pente,
l’éventail du mirobolant,
les degrés de l’escalier courbe
et l’art du chemin transversal.
Les sueurs, les travaux et les pluies
n’ont donc fait ce jardin tranquille
avec son balustre à sédum
entre la rose et les fraisiers
que pour le quitter comme un rêve.
Le vent caressait les feuillages
ici moins tristement qu’ailleurs.
Quitter ce lieu me fend le cœur
et c’est de mourir que je meurs.
Pas besoin qu'on le renseigne
Les oiseaux d'avril les plus gais
me réveillaient pour les entendre.
Maintenant qu'est venu l'été
je ferme en plein jour mes volets.
Et je guette à travers les fentes
le temps qui passe.
Il doit savoir que je l'épie
et que je sais qu'il sait ma vie.
Sans un regard pour ma fenêtre
le temps avec son pas qui tape
a l'air de ne pas me connaître
mais je vois trop qu'il rit sous cape.
(extrait de "Almanach") - p.13
Chaleur torride entre les champs de blé.
Là-bas aboie le chien des Breniquet.
On voit stagner sur le bois les nuages
Et pas un souffle d'air pour qu'ils voyagent.
(" Nathanaël ")
C’étaient des jours de grand vent.
Les ombres des arbres
se tordaient les mains par terre.
Mais aujourd’hui les feuillages
sont en suspens dans les branches.
L’air respire à peine.
Les ombres couchées dans l’herbe
ont désappris les tornades.
Je vous en conjure,
ne réveillez pas les ombres.
Variations, p. 63
RÉPITS
Feuillages, feuillages mobiles dans l'air,
errants sous les cimes des nuages,
envols d'oiseaux, errance des graines,
taches mouvantes du soleil par terre.
Mais les soudains repos des souffles,
tout le ciel qui retient son souffle,
les mains apaisées des feuillages,
l'immobilité des nuages,
l'odeur stagnante d'une fleur surprise,
le cri bref d'un oiseau très loin,
l'ombre d'une pierre.
(extrait de "Heures") - p. 99
Carrière d’astre
La lune crie à toutes les fenêtres, personne ne l’entend. Elle se baisse un peu. A travers les arbres elle guette encore une table de nuit ou des cailloux. Puis elle s’enfuit sur la rivière parmi ces éclairs d’écailles que font les poissons dans l’eau. Alors on entend le silence des saules.