Interview de Jean-Baptiste Comby sur "La question climatique - Génèse et dépolitisation d'un problème public."
Rien, ou presque, dans l’histoire sociale des promoteurs des enjeux climatiques ne les incline à agir sur les causes structurelles du problème, lequel est pourtant généré par l’ordre social capitaliste. Ce dernier est mis à l’abri de la critique. Et avec lui les logiques qui assurent aux dominants leurs privilèges. Or les définisseurs autorisés de la question climatique appartiennent aux groupes privilégiés. Ils ne cherchent donc pas à transformer l’ordre social mais plutôt à l’améliorer pour rendre durable sa désirabilité.
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3. « La subordination des institutions en charge de l'environnement à des logiques, des raisonnements et des intérêts marchands contribue à expliquer pourquoi l'action publique amorcée par le Plan climat de 2004 s'appuie principalement sur des dispositifs incitatifs qui, comme l'explique Alain Desrosières lorsqu'il caractérise l’État néolibéral, "sont pensés dans les termes de la théorie microéconomique : comportement de l'agent individuel rationnel, préférence, utilité, optimisation, externalités. Un exemple typique de cette forme de législation fondée sur des justifications issues de la microéconomie est la création d'un marché des droits à polluer, supposé plus efficace que des règlements fixant des seuils de pollution à ne pas dépasser". Ces dispositifs correspondent aux crédits d'impôts, aux prêts à taux zéro, aux bonus-malus et autres mesures visant à infléchir les comportements d'achat des individus et qui forment l'armature centrale de la politique publique française de "lutte contre" les changements climatiques. » (pp. 104-105)
6. « Alors qu'a l'aube du XXIe siècle les "altermondialistes" donnent de la voix et les commentateurs patentés se gargarisent de l’émergence d'une "société civile" censée limiter l'hégémonie des logiques marchandes, l'accentuation des problèmes écologiques n'a pas suffi à remettre profondément en cause l'emprise du capitalisme sur l'organisation des sociétés. Car ce n'est pas une diversification des cadres de pensée dominants que révèle la médiatisation accrue de la question climatique, mais bien les processus au gré desquels les définitions conformistes des problèmes deviennent les plus récurrentes et les plus accessibles dans les espaces conventionnels du débat public. » (p. 207)
1. « Dans l'état actuel du champ médiatique, la valorisation des enjeux environnementaux implique la neutralisation de leur arrière-plans normatifs. Les points de vue qui persistent dans l'esprit de l'écologie politique et persévèrent dans la critique du progrès technique ou de l'accumulation sans limites et à tout prix du capital ne sont plus audibles dans les médias généralistes français. L'ascension des thématiques environnementales dans les médias illustre donc les manières dont le champ journalistique peut participer à une construction dépolitisée du monde social. Le traitement médiatique de l'environnement permet ainsi de questionner à nouveaux frais la double dépendance caractéristique du champ journalistique, laquelle permet de comprendre les logiques structurelles qui conforment la plupart des productions symboliques aux attentes tant du marché que du politique. » (p. 65)
2. « Relativement hétérogène, l'expertise climatique se caractérise également en France par la multipositionnalité d'agents qui, à l'instar des médiateurs culturels décrits par l'historien Christophe Charle, agissent comme des "hommes doubles", étant "à la fois les représentants (au sens politique) du social au sein de la sphère culturelle (ici scientifique) vis-à-vis et inversement des représentants de la culture (ou ici de la science) vis-à-vis de la société globale". Les positions qu'ils occupent ont en commun d'être proches des lieux de décision politique, lesquels semblent exercer un véritable pouvoir d'attraction sur certains experts. Cette configuration n'incite donc pas ces derniers à émettre des propositions susceptibles de questionner l'ordre social dans la mesure où, d'une part, cela pourrait se révéler disqualifiant et, d'autre part, ils tirent eux-mêmes des gratifications des structures établies. » (p. 79)
4. « La gestion des risques, notamment par les institutions internationales, ne saurait toutefois garantir une telle politisation comme l'indique en creux le primat accordé, depuis une quinzaine d'années, à la notion de "résilience" sur celle de "vulnérabilité". Cette évolution lexicale illustre comment le questionnement qui, de l'amont des catastrophes, posait le problème de la protection des populations défavorisées par la société, a glissé à l'aval, où la préoccupation dominante est celle des capacités individuelles à se relever. Cette transformation atteste ainsi une orientation idéologique qui impute le malheur des victimes non pas aux caractéristiques de l'organisation sociale, mais à leurs propres défaillances morales. » (p. 148)
5. « Quoique de façon assez schématique, il ressort de ces interprétations que les individus les plus respectueux de la planète seraient ceux dont le mode de vie est structuré par un volume important de capital culturel et un niveau relativement bas de capital économique. Mais, dans la mesure où l'accumulation des ressources culturelles est généralement facilitée par – et orientée vers – un enrichissement matériel, sans doute faut-il se demander avec Grégoire Wallenborn et Joël Dozzi si, "du point de vue environnemental, il ne vaut pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé". » (p. 176)