Parmi les écrivains les plus illustres du XVIIe siècle, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Bossuet, Boileau, Mme de Sévigné, Mme de Lafayette, figure La Bruyère. Avec Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle, il a tendu au public de son époque un miroir qui nous reflète toujours. Bien des comportements de la société de Louis XIV ressemblent aux nôtres. Les temps changent, pas le fond des hommes.
Jean-Michel Delacomptée explore ce miroir et ce que ses reflets disent de nous.
De La Bruyère lui-même, on sait fort peu de choses. Quels milieux fréquentait-il ? Était-il misanthrope, misogyne ? A-t-il aimé ? Était-ce un orgueil blessé ? Quelle était la morale de cet auteur si grave et pourtant si drôle ?
Jean-Michel Delacomptée brosse le portrait captivant de ce classique de notre littérature. Il ouvre ainsi une porte dérobée dans les Caractères, dont il rappelle avec force l?intemporelle grandeur.
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C'est bien peu de chose que l'homme, et tout ce qui a fin est bien peu de chose. Le temps viendra où cet homme qui nous semblait si grand ne sera plus, où il sera comme l'enfant qui est encore à naître, où il ne sera rien. Si longtemps qu'on soit au monde, y serait-on mille ans, il en faut venir là. Il n'y a que le temps de ma vie qui me fait différent de ce qui ne fut jamais : cette différence est bien petite, puisqu'à la fin je serai encore confondu avec ce qui n'est point, et qu'arrivera le jour où il ne paraîtra pas seulement que j'aie été, et où peu m'importera combien de temps j'aie été, puisque je ne serai plus. J'entre dans la vie avec la loi d'en sortir, je viens faire mon personnage, je viens me montrer comme les autres ; après, il faudra disparaître. J'en vois passer devant moi, d'autres me verront passer ; ceux-là mêmes donneront à leurs successeurs le même spectacle ; et tous enfin se viendront confondre dans le néant.
Ma vie est de quatre-vingts ans tout au plus ; prenons-en cent : qu'il y a eu de temps où je n'étais pas ! qu'il y en a où je ne serai point ! et que j'occupe peu de place dans ce grand abîme de temps ! Je ne suis rien ; ce petit intervalle n'est pas capable de me distinguer du néant où il faut que j'aille. Je ne suis venu que pour faire nombre, encore n'avait-on que faire de moi ; et la comédie ne se serait pas moins bien jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre. Ma partie est bien petite en ce monde, et si peu considérable que, quand je regarde de près, il me semble que c'est un songe de me voir ici, et que tout ce que je vois ne sont que de vains simulacres.
Méditation sur la brièveté de la vie.
Je n'ignore pas, Chrétiens, que la science ne soit un présent du ciel, et qu'elle n'apporte au monde de grands avantages : je sais qu'elle est la lumière de l'entendement, le guide de la volonté, la nourrice de la vertu, l'amie de la vérité, la compagne de la sagesse, la mère des bons conseils ; en un mot, l'âme de l'esprit, et la maîtresse de la vie humaine. Mais comme il est naturel à l'homme de corrompre les meilleures choses, cette science, qui a mérité de si grands éloges, se gâte le plus souvent en nos mains par l'usage que nous en faisons.
PANÉGYRIQUE DE SAINTE CATHERINE.
L'imagination aide beaucoup l'intelligence.
C'est une entreprise hardie que d'aller dire aux hommes qu'ils sont peu de chose. Chacun est jaloux de ce qu'il est, et on aime mieux être aveugle que de connaître son faible ; surtout les grandes fortunes veulent être traitées délicatement ; elles ne prennent pas plaisir qu'on remarque leur défaut : elles veulent que, si on le voit, du moins on le cache. Et toutefois, grâce à la mort, nous en pouvons parler avec liberté. Il n'est rien de si grand dans le monde qui ne reconnaisse en soi-même beaucoup de bassesse, à le considérer par cet endroit-là.
SERMON SUR LA MORT, Premier point.
Quoique Dieu et la nature aient fait tous les hommes égaux en les formant d'une même boue, la vanité humaine ne peut souffrir cette égalité, ni s'accommoder à la loi qui nous a été imposée de les regarder tous comme nos semblables. De là naissent ces grands efforts que nous faisons tous pour nous séparer du commun et nous mettre en un rang plus haut, par les charges ou par les emplois, par le crédit ou par les richesses.
Oraison funèbre de Henri de Gornay.
Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.
Le bonheur humain est composé de tant de pièces, qu'il en manque toujours.
" Le monde se réjouira, " dit le Fils de Dieu ; " et vous, mes disciples, vous serez tristes. " Qu'est-ce à dire ceci, Chrétiens ? Le monde, les amateurs de biens périssables, les ennemis de Dieu seront dans la joie : encore ce désordre est-il supportable ; mais vous, ô justes, ô enfants de Dieu, vous serez dans l'affliction et dans la tristesse ! C'est ici que le libertinage que l'innocence ainsi opprimée rend un témoignage certain contre la providence divine, et fait voir que les affaires humaines vont au hasard et à l'aventure.
SERMON SUR LA PROVIDENCE.
L'hérétique est celui qui a des idées personnelles.
Je ne suis venu que pour faire nombre, encore n’avait-on que faire de moi ; et la comédie ne se serait pas moins bien jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre.
Méditation sur la brièveté de la vie.