L'encre et le sang, Henri Pichette
lu par l'auteur
DIMANCHE
Un arbre est là-bas, qui vous fait un geste ;
Le temps d'y courir, il vous donne un fruit.
Un peu de soleil brûle sous la veste,
L'ombre d'un ruisseau m'arrive à doux bruit.
Un million de cieux....foin des passeports !
Je ne veux réver qu'à la force verte,
Aux oiseaux élus dont l'âme a pris corps.
-Sur la liberté ma bouche est ouverte.
La poésie est d’aujourd’hui depuis toujours.
Ode à la neige ( extrait)
la légère
candide
capricieuse
tourbillonnante
ouatée
poudreuse
neige dont j'aime
la lente lente
chute
(" Odes à chacun")
Au soir,
L'endormement des petits oiseaux.
Dans le reposoir du rosier sauvage
L'aiguille libellule immobilise la gaze des ailes.
Un effet de lune bombe la face de l'étang .
Reste d'un feu de jardinier,
Mille braises tremblantes
Rêvent leur fumée .
(" Poèmes offerts")
dents de loup
ATTAQUE
Gifles !
Coups de poing et de couteau !
Magnéto !
Seringues !
Docteurs mortifiants !
Canons, canons, canons, canons, canons !
J'ai un fulguritum au creux de l'estomac
Et mon cerveau fourmille d'apatrides,
C'est l'exode long.
C'est la déportation lente.
C'est l'hécatombe montante.
Il gèle dans mon cœur,
Il cendre au front de ma jeunesse.
Ossuaire… suaire… suaire… suaire…….
Je dormais pour apprendre à mourir.
Je rêvais de la vie.
Bah ! faut-il courir si vite pour atteindre le bout du
monde ?
1948
p.31
Au soir,
L'endormement des petits oiseaux.
Dans le reposoir du rosier sauvage
L'aiguille libellule immobilise la gaze des ailes.
Un effet de lune bombe la face de l'étang.
Restes d'un feu de jardinier,
Mille braises tremblantes
Rêvent leur fumée.
![](https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/31Z7S5DQY5L._SX95_.jpg)
Laisse-moi te dire : j’ai besoin d’être voyagée comme une femme. Depuis des jours et des nuits tu me révèles. Depuis des nuits et des jours je me préparais à la noce parfaite. Je suis libre avec ton corps. Je t’aime au fil de mes ongles, je te dessine. Le cœur te lave. Je t’endimanche. Je te filtre dans mes lèvres. Tu te ramasses entre mes membres. Je m’évase. Je te déchaîne
Le Poète : Je t’imprime
L’Amoureuse : je te savoure
Le Poète : je te rame
L’Amoureuse : je te précède
Le Poète : je te vertige
L’Amoureuse : et tu me recommences
Le Poète : je t’innerve te musique
L’Amoureuse : te gamme te greffe
Le Poète : te mouve
L’Amoureuse : te luge
Le Poète : te hanche te harpe te herse te larme
L’Amoureuse : te mire t’infuse te cytise te valve
Le Poète : te balise te losange te pylône te spirale te corymbe
L’Amoureuse : l’hirondelle te reptile t’anémone te pouliche te cigale te nageoire
Le Poète : te calcaire te pulpe te golfe te disque
L’Amoureuse : te langue le lune te givre
Le Poète : te chaise te table te lucarne te môle
L’Amoureuse : te meule
Le Poète : te havre te cèdre
L’Amoureuse : te rose te rouge te jaune te mauve te laine te lyre te guêpe
Le Poète : te troène
L’Amoureuse : te corolle
Le Poète : te résine
L’Amoureuse : te margelle
Le Poète : te savane
L’Amoureuse : te panthère
Le Poète : te goyave
L’Amoureuse : te salive
Le Poète : te scaphandre
L’Amoureuse : te navire te nomade
Le Poète : t’arque-en-ciel
L’Amoureuse : te neige
Le Poète : te marécage
L’Amoureuse : te luzule
Le Poète : te sisymbre te gingembre t’amande te chatte
L’Amoureuse : t’émeraude
Le Poète : t’ardoise
L’Amoureuse : te fruite
Le Poète : te liège
L’Amoureuse : te loutre
Le Poète : te phalène
L’Amoureuse : te pervenche
Le Poète : te septembre octobre novembre décembre et le temps qu’il faudra
DENTS DE LOUP
LE JOUR ET LA NUIT
Une sourcelette bruit.
Un âne couleur de châtaigne brait.
On a mis sécher du linge de corps et des langes
à même les gramens du pré.
Une brebis mécheuse broute, flanquée de son
agneau les oreilles roses de soleil.
Il semble au sein du jour que tu soit en
enfance.
Il y a des kilos de charité aux branches des
pommiers.
Quand à ici — Pigalle ! Gay Paris ! — ô Ville-
Lumière ! tes gens qui passent appartiennent à quel-
que race grise, et moi, dont la muse est une va-nu-
pieds, je vois en filigrane dans la lune d'un billet
de banque la face de la mort-qui-rit-de-toutes-ses-
dents.
1949
p.37
![](/couv/sm_CVT_Dents-de-lait-dents-de-loup_7759.jpg)
Aux aurores des temps naifs.
Je me rappelle la naissance de la mémoire.
La source de la mer était pure d'aucun naufrage. Nul n'avait pris le deuil sur les misères de la neige; pas d'idée noire à la tête chenue; la mort était vierge.
Le pleur de joie, perle de la plus belle eau et d'un très pur orient, roulait sur la joue encore hirsute de l'ancêtre.
Quelquefois, nous croyions caresser l'horizon, quand c'était l'échine d'un mastodon endormi, rassasié.
Les éveils, les sommeils, alternaient à merveille.
La branche feuillait et fleurissait sans ignorance; le fruit effectuait la moitié du geste cueillant. La brise dans les saules suscitait des douceurs de salicioal; et le rossignol, en l'absence de toute mélancolie, chantait, ami ému en toute chose, l'amour lunisolaire.
Le cœur aimait son sang et les sèves et les ondes, autres sangs.
Ni magistère, ni panacée, seule la nature!
Les chevaux de l'apocalypse étaient alors quatres poulains fringants, sur l'herbe fleurie gambadant, avec juste ce qu'il faut de gracieuse maladresse. Et de chacun vous pouviez voir la bouche légère, mouillée en suffisance de salive limpide, et les naseaux comme des roses, et le même atome de sérénité au fond de l'oeil.
1. LA GÉNÈSE
La scène est aux portes
d'une ville haute de ciel.
aurore
le poète
Depuis la première pulsation du monde je tournais sur moi-même je pensais comme une circonférence Intérieurement le barouf me fut toujours intolérable Je faisais chambre commune avec la monotonie Les sons me parvenaient sans que je pusse les classer J’avais une peur bleue de l’espace Je n’insisterai pas sur la froideur du parcours ni sur l’antipathie des soleils croisés à toute allure Cependant que des mouvements d'eaux d'algues d'herbe d'arbres de sable de fluides et d'ingrédients annonçaient qu'il naîtrait un corps de tout cela Par les fissures de la solitude le sang s’infiltra et désormais circule…
p.25